samedi 25 mai 2019

[Brasseur, Diane] La partition






Au-delĂ  du coup de coeur đź’“đź’“đź’“

Titre : La partition

Auteur : Diane BRASSEUR

Année de parution : 2019

Editeur : Allary Editions

Pages : 448








 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :   

Un matin d’hiver 1977, Bruno K, professeur de littĂ©rature admirĂ© par ses Ă©tudiants, se promène dans les rues de Genève. Alors qu’il devise silencieusement sur les jambes d’une jolie brune qui le prĂ©cède, il s’Ă©croule, mort.

Quand ses deux frères Georgely et Alexakis apprennent la nouvelle, un espoir fou s’Ă©vanouit. Le soir mĂŞme, ils auraient dĂ» se retrouver au Victoria Hall Ă  l’occasion d’un rĂ©cital de violon d’Alexakis. Pour la première fois, la musique allait les rĂ©unir.
La Partition nous plonge dans l’histoire de cette fratrie Ă©clatĂ©e en suivant les traces de leur mère, Koula, une grecque au tempĂ©rament de feu.

Elle dĂ©couvre l’amour Ă  16 ans, quitte son pays natal pour la Suisse dans les annĂ©es 20 et refera sa vie avec un homme de 30 ans son aĂ®nĂ©. Une femme intense, solaire, possessive, dĂ©chirĂ©e entre ses pays, ses fils et ses rĂŞves. Une Ă©pouse et une mère pour qui l’amour est synonyme d’excès.



Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur :

Diane Brasseur est romancière et scripte pour le cinĂ©ma. Elle est l’auteure de Les FidĂ©litĂ©s et Je ne veux pas d’une passion, publiĂ©s chez Allary Éditions et traduits dans huit pays.



Avis :

Je remercie NetGalley et Allary Editions pour cette lecture qui s’est avĂ©rĂ©e un immense coup de coeur.

Le roman s’ouvre sur l’imminente rĂ©union tant attendue de trois frères sĂ©parĂ©s par la vie, et qui pourtant ne pourra avoir lieu. La mort vient en effet de cueillir Bruno K, l’aĂ®nĂ© cinquantenaire, sur le trottoir qui le menait au concert de son frère Alexakis. C’Ă©tait le soir oĂą, enfin, la fratrie devait se retrouver.

Ils sont trois, nĂ©s de 1922 Ă  1931, de mère grecque et de père suisse pour les deux premiers, belge pour le benjamin. C’est toute leur vie que nous allons dĂ©couvrir dans ce rĂ©cit Ă  rebours, celui de trois enfants d’abord, sĂ©parĂ©s et ballottĂ©s entre trois pays, au rythme de la vie tumultueuse de leur mère Koula et des Ă©vènements de leur siècle. Et on peut dire que rien ne fut ordinaire dans leur existence, que ce soit celle de Bruno, contaminĂ© in utero par la syphilis paternelle, de Georgely, abandonnĂ© en Suisse par sa mère contrainte de choisir entre ses fils lors de sa fuite loin de son mari, ou d’Alexakis, nĂ© deux fois : en 1931 en Egypte, mais officiellement en 1932 en Grèce après le divorce et le remariage maternels, et qui porta, tant pis, les robes roses prĂ©vues pour la fille tant dĂ©sirĂ©e.

Si le rĂ©cit se dĂ©roule du point de vue de l’aĂ®nĂ© Bruno, le personnage central est vĂ©ritablement Koula, mère possessive et dĂ©vorante, femme solaire au tempĂ©rament entier et volcanique qui la porte Ă  tous les excès. Elle qui rĂŞvait des stars et de la cĂ©lĂ©britĂ©, mena sa vie avec la passion tragique d’une vĂ©ritable diva, Ă©clipsant son entourage dans l’ombre de son aura, car comment trouver sa place auprès d’un tel astre sans s’y brĂ»ler ?

Le rĂ©cit a de tels accents d’authenticitĂ© et est Ă©maillĂ© de tant de dĂ©tails qui ne s’inventent pas, qu’il paraĂ®t la remembrance d’une saga familiale vĂ©ritable : ce qu’il est sans doute d’ailleurs, Ă  lire, Ă  la fin du livre, les remerciements de l’auteur Ă  son père pour les courriers conservĂ©s, alors que chaque chapitre s’ouvre sur des extraits de lettres. On a dès lors l’intuition, peut-ĂŞtre fausse, que l’auteur, franco-suisse, pourrait ĂŞtre une descendante de Georgely ou de Bruno.

Quoi qu’il en soit, la narration, habilement construite, est captivante : en nous faisant entrer dans cette histoire par la fin, l’auteur installe d’emblĂ©e le lecteur dans une tension tragique qui ne se relâchera pas, contrebalancĂ©e par une lĂ©gèretĂ© de ton teintĂ©e d’humour qui donne au rĂ©cit une tonalitĂ© douce-amère : celle du souvenir, du temps passĂ©, de l’inĂ©luctabilitĂ© du destin et de la mort qui vient sceller Ă  jamais les sĂ©parations et les regrets.

L’Ă©criture est dĂ©licieuse, les mots admirablement choisis, le ton toujours parfaitement juste dans cette Ă©vocation si profondĂ©ment empathique. C’est avec une infinie tendresse que s’y mĂŞlent constamment rire et larmes, dans une simplicitĂ© et une Ă©conomie de style qui exaltent l’Ă©motion. La partition est une pĂ©pite, une lecture d’autant plus marquante qu’elle vous va droit au coeur. (6/5)




Citations :

« Tu voudrais tellement que je devienne cĂ©lèbre, que tous les yeux soient braquĂ©s sur ton enfant, que toutes les bouches ne prononcent que son nom. Mon avenir, maman, veux-tu que je te dise en quoi il consiste ? Et oui maman, je n’ai plus les ambitions que tu m’attribues. Il m’a semblĂ© que l’essentiel n’Ă©tait pas de devenir un « grand homme », un homme cĂ©lèbre, tout cela est si relatif. J’ai prĂ©fĂ©rĂ© essayer de devenir un homme complet. Un homme simplement. »

Alors que les joueurs entraient sur le terrain, Ă  moins de deux kilomètres Ă  vol d’oiseau, Ă  table et en famille, dans sa cuisine, Paul Peter K se rĂ©galait d’un potage de lĂ©gumes. « Navet, poirreau, patate, courrrge… », avec lenteur et en dĂ©tachant chaque syllabe Koula Ă©numĂ©rait les ingrĂ©dients. Elle regardait son mari droit dans les yeux. En soufflant sur le liquide brĂ»lant, Paul ne se doutait pas que sa femme lui servait pour dernier repas, une soupe d’insultes.

Chez un grand musicien, le jeu est devenu si transparent, si rempli de ce qu’il interprète, que lui-mĂŞme on ne le voit plus, et qu’il n’est plus qu’une fenĂŞtre qui donne sur un chef-d’Ĺ“uvre.

Bruno K se bouchait les oreilles avec les mains parce que les hurlements de son frère lui faisaient mal aux tympans et au cĹ“ur. Comment calmer un enfant de 7 ans qui n’a pas vu sa mère depuis quatre ans ? On lui avait promis, elle serait lĂ , dans le train. Depuis une semaine on lui rĂ©pète : « Mama sera lĂ  pour fĂŞter Pâques. » « Dans trois jours Mama arrive. » « Demain. » Que faut-il lui dire maintenant ? « Ta Mama n’est pas venue parce qu’elle garde ton petit frère, l’autre, celui que tu ne connais pas, Ă  Liège. » « Ta Mama n’est pas venue parce qu’elle n’en avait pas le courage. » Cyntho a bien essayĂ© de lui donner « une demi-douzaine de baisers de la part de ta petite maman » mais qu’est-ce qu’il en a Ă  fiche Georgely des baisers de la bouche de ce vieux monsieur qui parle l’allemand avec l’accent français. « Une demi-douzaine » comme si c’Ă©taient des Ĺ“ufs.

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