lundi 30 octobre 2023

[Schmitt, Eric-Emmanuel] La rivale

 



 

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Titre : La rivale

Auteur : Eric-Emmanuel SCHMITT

Parution : 2023 (Albin Michel)

Pages : 144

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« La Callas ? Vous verrez : bientôt plus personne ne se souviendra d’elle... »
Qui parle ? Une certaine Carlotta Berlumi. Le nom de cette mystérieuse vieille dame n’évoque rien à personne, pourtant elle soutient mordicus qu’elle connut son heure de gloire à la Scala et fut la plus grande rivale de Maria Callas. À l’entendre, la cantatrice grecque parvint, à force de manœuvres et de combines, à la jeter aux oubliettes, mais elle lui rendit la monnaie de sa pièce en précipitant sa chute. Carlotta prend-elle ses désirs pour des réalités ? A-t-elle trouvé en Callas le bouc émissaire de ses échecs, l’explication magique de ses déboires et de ses frustrations ?
A travers ce cocasse et inoubliable personnage, Éric-Emmanuel Schmitt brosse, avec un humour et une malice incomparables, le portrait en creux d’une Maria Callas méconnue. Et nous convie, en expert de la musique et des méandres de l’âme, dans les coulisses clandestines de l’opéra et du cœur humain.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Dramaturge, romancier, nouvelliste, essayiste, cinéaste, traduit en 45 langues et joué dans plus de 50 pays, Éric-Emmanuel Schmitt est l’un des auteurs les plus lus et les plus représentés dans le monde. Le Cycle de l’invisible s’est vendu à plus de 10 millions d’exemplaires dans le monde. Il a été élu en janvier 2016 à l’unanimité par ses pairs comme membre de l’Académie Goncourt.

 

Avis :

Maria Callas aurait eu cent ans le 2 décembre 2023. Passionné de musique autant que d’écriture, Eric-Emmanuel Schmitt nous en dresse un saisissant portrait en creux, au travers de la mémoire malade et jalouse d’une rivale aigrie.

« Cette grosse Grecque avec ses lunettes de myope, mal fagotée, boutonnée, boudinée, flanquée d’un mari sénile » ... Une « illusionniste » masquant à grand peine les stridences et le manque d’homogénéité de sa voix sous « son personnage d’étoile fantasque » ... Ce n’est pas La Tebaldi, dont la polémique a rapporté la supposée rivalité avec La Callas, mais la soprano imaginaire Carlotta Berlumi qui, encore de ce monde, n’en finit plus de honnir celle qui, dans son esprit, lui a volé la gloire de toute la hauteur de son imposture. « La Callas ? Vous verrez : bientôt plus personne ne se souviendra d’elle… », affirmait-elle avec assurance lorsque les deux femmes n’en étaient encore qu’à leurs débuts. Et pourtant, force est de constater que, si l’étoile de l’une n’a rien perdu de son éclat, l’autre en est aujourd'hui réduite à chercher vainement son nom dans les dictionnaires de l’art lyrique. En vérité, aveuglément enfermée dans sa conception classique du chant et de l’opéra, l’orgueilleuse Carlotta n’a dans son déni jamais pris la mesure des bouleversements qu’était en train d’imposer Maria Callas, autant tragédienne que cantatrice, et bientôt icône véritable. 

Le procédé narratif ne manque pas de sel, qui, avec en point d’orgue un bien ironique dénouement, finit par battre les détracteurs de la Callas à leur propre tribune. Car il y en eut, aussi passionnés que ses aficionados, occasionnant des disputes à la mesure de l’impact de la diva sur l’art lyrique. Avant de leur clouer le bec en laissant le dernier mot à la voix inoubliable de l’artiste, le récit de toute évidence biaisé par l’échec et la jalousie de l’une de ses contemptrices tourne peu à peu en ridicule ces rumeurs chagrines, au final bien incapables d’écorner l’inaltérable et triomphante figure de la « moderne » cantatrice. Plus l’aigre Carlotta s’enfonce dans son dépit, plus La Callas acquiert d’aura additionnelle. Et c’est là que ce court roman, presque une nouvelle, déçoit : en fait d’antithèse à la hauteur de la diva, la rivale, bientôt ridicule et pitoyable à en friser la stupidité, manque par trop de profondeur pour demeurer tout à fait convaincante.

Au bémol près des aspects les plus caricaturaux de cette bien naïve rivale, reste un livre éminemment agréable qui, à l’occasion de ce prochain centenaire de la naissance de La Callas coïncidant fort opportunément avec l’approche des fêtes de fin d’année, ne manquera pas de garnir le pied de bon nombre de sapins, mélomanes ou non. (3,5/5)

 

Citations :

Deux institutions règnent sur le cœur des Italiens : l’Église et l’Opéra. Quand ils ne sont pas émus par les vitraux, ils le sont par les rideaux.


Les atouts de la Scala ? Son public et son passé ! s’exclama Enzo. Son public chevronné, expert, exigeant – certains diront injuste. Son passé, car l’excellence attire l’excellence. Tous les grands chanteurs, toutes les grandes chanteuses, mesdames et messieurs, ne caressent qu’un rêve : fouler les planches de la Scala. Un engagement ici équivaut au prix Nobel de l’art lyrique ! Ces murs ont accueilli Caruso, Gigli, Flagstad, Del Monaco, Schwarzkopf, Pavarotti, Sutherland, Caballé, Domingo… et surtout, maintes et maintes fois, la Divine, la sublime Callas !


[La vieille femme] était complètement peinte, accumulant des coloris intenses, noir aile-de-corbeau sur les cheveux, marron terreux pour les sourcils en circonflexe, beige rosé en fond de teint, carmin sur les lèvres, azur sur les paupières fripées. L’ensemble avait autant d’allure que d’outrance, sorte de défi improbable qui niait la décrépitude tout en l’affirmant. Si les couleurs vives prenaient bien la lumière, elles accentuaient les rides, les sillons et la fatigue d’une peau où par endroits les grains de poudre s’accrochaient comme de la poussière.


– Elle n’avait pas le contre-ut. Comment chanter l’air du Nil en l’absence de contre-ut ? Elle était obligée de passer la chiffonnette.  
– Passer la chiffonnette ?
– Elle feignait de monter vers le contre-ut avec un glissando, en opérant un port de voix, et elle s’arrêtait juste quand il fallait le tenir. Elle passait la chiffonnette.


– Moi, j’ai manqué de courage, je le déplore : lâchement, j’ai vieilli. Aujourd’hui, c’est trop tard.  
– Trop tard pour quoi ?
Le nez de Carlotta se plissa, rayé de ridules.
– Pour mourir jeune !

 

 

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