lundi 2 octobre 2023

[Ammi, Kebir Mustapha] A la recherche de Glitter Faraday

 


 


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Titre : A la recherche de Glitter Faraday

Auteur : Kebir Mustapha AMMI

Parution : 2023 (Project'îles)

Pages : 262

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

Guidé par un désir impérieux, un écrivain se rend en Amérique à la recherche d’un certain Glitter Faraday. Il veut retrouver un manuscrit qui a été confié à cet homme il y a plus de quarante ans à Alger, à l’époque où la ville accueille de nombreux mouvements de lutte et de libération, parmi lesquels les Black Panthers. Alger la blanche, l’effervescente, est alors la capitale des révolutions et du premier festival panafricain, porteuse en clair-obscur d’espoirs aussi intenses et profonds que les inévitables déconvenues qui jalonnent les luttes et les exils. Désormais, vieux et abîmé, Glitter vit dans la rue comme de nombreux Noirs à San Francisco. Il ne sait pas ce qu’est devenu ce manuscrit. Mais il a gardé des souvenirs précis de son séjour à Alger et il va illuminer cette histoire de bout en bout. Comme dans une partition de jazz où chacun a son rythme à imposer, Glitter va guider, à sa manière, le narrateur au-delà de sa quête.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Kebir Mustapha Ammi est romancier, dramaturge et poète. Il a enseigné à Albuquerque aux Etats-Unis et il est notamment l'auteur de Partage du monde, de Le ciel sans détours, des Vertus immorales et de Mardochée aux éditions Gallimard. Ben Aïcha, son dernier roman, est paru en 2019 chez Mémoire d'encrier et le poème Le vieil homme en 2021 chez Al Manar.

 

Avis :  

Ecrivain algérien, le narrateur se rend aux Etats-Unis pour y retrouver un manuscrit, remis à la fin des années 1970 à un certain Glitter Faraday, un Noir américain qui vécut quelques temps à Alger. Mais l’homme qu’il finit par rencontrer n’est plus que l’ombre de lui-même : à quelque soixante-cinq ans, cet ancien vétéran du Vietnam est un homme abîmé, à qui la ségrégation raciale a fait payer très cher son amour pour une femme blanche. S’il n’est plus en possession du manuscrit, perdu corps et biens semble-t-il, ses souvenirs, entre Amérique profonde et Algérie post-indépendance, vont révéler au lecteur des faits historiques méconnus et le jeter, en même temps que le narrateur, dans un road trip à travers les Etats-Unis d’aujourd’hui. Car, en réalité, le manuscrit a circulé de main en main. A mesure des rencontres jalonnant le jeu de piste pour le retrouver, l’on va comprendre toute sa valeur...

A la fin des années 1960, l‘Algérie fraîchement indépendante est devenue la Mecque de la lutte contre l’impérialisme. Les révolutionnaires du monde entier s’y rencontrent, le point d’orgue de la période s’avérant en 1969 le Festival panafricain d’Alger où se pressent des activistes de tout poil, mouvements afro-américains en tête, mais aussi journalistes, intellectuels, artistes, comme Nina Simone, Manu Dibango ou le jazzman Archie Shepp. Pourchassés par le FBI, les militants du Black Panther Party y trouvent refuge. Alors, après avoir failli périr lynché dans le sud des Etats-Unis, Glitter Faraday, le personnage central du roman, choisit de rejoindre lui aussi cette terre de fraternité. Malheureusement pour lui, l’utopie ne dure qu’un temps, l’Algérie des généraux réprimant de plus en plus violemment les alternatives démocratiques à sa dictature. Les dissidents nationaux sont bientôt réduits au silence et, en 1972, les Black Panthers sommés de quitter le territoire.

C’est ainsi que notre homme, « une belle révolution ayant été détournée par des tyrans et des prévaricateurs », se voit contraint de regagner le Sud américain et les persécutions qui l’y attendent. Du monde meilleur dont il rêvait, ne subsistent plus que les souvenirs d’un paradis perdu et un manuscrit taché de sang, arraché à la destruction. Un manuscrit alors encore loin d’avoir terminé son voyage, puisque de ce moment jusqu’à nos jours, comme la quête du narrateur écrivain va peu à peu le retracer, son cheminement de récipiendaire en récipiendaire contribuera, de façon on ne peut plus symbolique, à transmettre la flamme de l’espoir et de la lutte contre l’injustice et l’oppression, toujours autant d’actualité. « Il n’avait jamais cessé de penser à Alger. Je n’avais pas le droit de lui dire qu’il ne restait rien de cette pauvre ville et que ses principes, joyeusement estropiés par des soudards et leurs affidés, avaient fondu comme neige au soleil. » Sans parler des Etats-Unis, bientôt sous la coupe de « l’homme aux cheveux jaunes », où les protagonistes ne cesseront de se trouver en butte aux crimes et aux persécutions des suprémacistes blancs.

Tout en rendant hommage aux artistes engagés depuis les années 1960 pour la cause antiraciste aux Etats-Unis, en particulier les musiciens et les écrivains dont à la fois les constantes références au jazzman Charlie Mingus et le fil rouge d’un manuscrit circulant sous le manteau soulignent la puissance vectorielle, Kebir Mustapha Ammi reprend le flambeau face à l’éternelle violence de la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Comme le manuscrit sauvé, puis transmis de main en main dans cette histoire, ce livre est une invitation à ne pas perdre espoir. (4/5)

 

Citations : 

Dans un poème qui circulait sous le manteau, Sellam avait osé dire que les nouveaux maîtres étaient aussi méprisables que les anciens et que la vraie révolution devra être un jour de se débarrasser des soudards et de leur clique, qui ont confisqué les idéaux de tout un peuple ! Cela lui avait valu les pires tourments qui soient. Au lendemain de l’Indépendance, il avait eu le mauvais goût d’adresser une lettre ouverte aux Français, pour leur dire qu’il n’avait aucune haine à leur encontre. Un juge, d’une perversité crasse, en avait pris prétexte pour jeter le discrédit sur Sellam. Il avait déformé à dessein son propos pour affirmer que Sellam était un collabo et qu’il était inacceptable qu’un tel homme continue de vivre dans l’impunité la plus totale. Ce juge, un rallié de la dernière heure, était rompu dans l’art de jouer des coudes. Il avait su gagner, au lendemain de l’Indépendance, une place de choix, dans l’organigramme de la nouvelle nation. Il faisait la pluie et le beau temps. Sellam était sa bête noire. Il avait fait détruire ses œuvres et interdit aux éditeurs de le publier. Il lui avait ensuite fait abîmer les mains pour l’empêcher d’écrire, mais Sellam continuait de répéter sans cesse, du matin au soir, qu’il faudrait libérer, un jour ou l’autre, ce pays devenu exsangue sous les coups répétés de ses fils. Peu de temps après, des hommes masqués allaient le mutiler jusqu’au point où il ne pouvait plus parler. L’Algérie s’était laissé enfoncer dans les ténèbres. Les héros de la veille avaient jeté leur idéal aux orties, ils avaient un autre visage, leurs valeurs s’accommodaient de toutes les infamies.

Archie Stepp raconte quelque part la grande amitié qui l’a uni à Ted Joans, à Alger, et il parle des « exilés », le bar mythique qui avait dû fermer un jour, comme le lieu d’une incomparable fraternité. Il dit qu’aucune ville n’a jamais réuni comme Alger tous les enfants d’Afrique. Pour sûr, Alger était le lieu au monde où on pouvait se sentir chez soi d’où qu’on était. La guerre qui avait embrasé un pays pendant huit ans, et permis à un peuple de se libérer, n’avait laissé trace d’aucune haine. C’était le pays des hommes libres. Puis la ville, autrefois si bienveillante, est devenue un cauchemar. Le bar les « exilés » a été bouclé. Tout le monde est parti . Petit Ahmed est allé grossir les rangs des déshérités, avant de disparaître, et Sellam a été abattu dans une ruelle obscure.


 

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