J'ai beaucoup aimé
Titre : Destin trafiqué (篡改的命)
Auteur : DONG Xi
Traduction : Baoqing et Elsa SHAO
Parution : en chinois en 2015
en français (Actes Sud) en 2022
Pages : 368
Présentation de l'éditeur :
L’histoire d’une famille paysanne qui cherche coûte que coûte à échapper
à sa condition pour rejoindre le monde fantasmé de la ville et s’élever
dans l’échelle sociale. Une comédie humaine au style alerte, une
histoire vivante d’oppression et de résistance écrite dans une langue
chatoyante, dépourvue de pathos, burlesque et drôle malgré sa noirceur.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
Lorsque, né pauvre dans la campagne chinoise, Wang Changchi réussit le gaokao, le concours réputé le plus difficile au monde durant lequel, après des années d’intense préparation, des millions d’étudiants sous pression se disputent l’accès aux universités du pays, le jeune homme réalise le vœu le plus cher de ses parents, eux qui, depuis sa naissance, ont tout sacrifié pour que leur fils échappe à leur misérable condition paysanne et accède au graal d’une carrière administrative en ville.
Pourtant, un autre lui ayant volé sa place en usant de corruption, sans relations et trop désargenté pour lui aussi jouer de pots-de-vin, Changchi se retrouve manœuvre sur des chantiers de construction, trimant pour un salaire de misère, aussitôt englouti dans le loyer de son abject dortoir collectif, quand ses employeurs ne disparaissent pas sans lui payer son dû. Victime d’un accident du travail qui le laisse infirme, pour subsister il se fait remplaçant d’un homme riche en prison, doit se résigner à ce que son épouse fasse « des massages de pieds » la nuit et, dans son obstination à réclamer une indemnisation, se voit floué avec la complicité de juges corrompus, puis menacé par la police pour un crime que l’on voudrait lui faire endosser.
C’est ainsi qu’à peine entrouverte au prix de tant d’efforts, la porte vers une vie meilleure se reclaque violemment au nez de Changchi, les rejetant lui et les siens dans une cascade de déboires qui, malgré leurs efforts obstinés, les conduit irrémédiablement à l’abîme, comme aspirés par la fatalité du destin de pauvres dans cette Chine socialiste où, en vérité, rien ne protège les humbles des pratiques les plus outrancièrement capitalistes, et où la corruption dévoie le fonctionnement des règles sociales.
Alors, puisque dans ce pays « la justice n’existe pas, [que] tout se joue le jour de notre naissance [et qu’]on n’a pas franchi la ligne de départ qu’on a déjà perdu », Changchi ira jusqu’au bout de la logique. Lorsque lui aussi se sacrifiera pour le bonheur de son fils, ce sera en trichant avec le destin. Puisque ce dernier s’avère préfabriqué, il fera de son tout jeune enfant, en le confiant à l'adoption, un oeuf de coucou au sein-même de la très riche et bourgeoise famille de son ancien employeur...
Etonné qu’un roman aussi ouvertement critique à l’égard de la Chine ait pu y paraître, l’on s’immerge avec curiosité dans cette histoire dont les résonances burlesques et sardoniques ne font qu'en rendre plus désespérée l’amère noirceur. Fétus de paille dans un jeu pipé aux mains des puissants, les citoyens lambda, sans parler des paysans méprisés, n’y ont droit qu’à la résignation d’un destin sans espoir, frelaté dans l’oeuf quoi qu'ils fassent... (4/5)
Pourtant, un autre lui ayant volé sa place en usant de corruption, sans relations et trop désargenté pour lui aussi jouer de pots-de-vin, Changchi se retrouve manœuvre sur des chantiers de construction, trimant pour un salaire de misère, aussitôt englouti dans le loyer de son abject dortoir collectif, quand ses employeurs ne disparaissent pas sans lui payer son dû. Victime d’un accident du travail qui le laisse infirme, pour subsister il se fait remplaçant d’un homme riche en prison, doit se résigner à ce que son épouse fasse « des massages de pieds » la nuit et, dans son obstination à réclamer une indemnisation, se voit floué avec la complicité de juges corrompus, puis menacé par la police pour un crime que l’on voudrait lui faire endosser.
C’est ainsi qu’à peine entrouverte au prix de tant d’efforts, la porte vers une vie meilleure se reclaque violemment au nez de Changchi, les rejetant lui et les siens dans une cascade de déboires qui, malgré leurs efforts obstinés, les conduit irrémédiablement à l’abîme, comme aspirés par la fatalité du destin de pauvres dans cette Chine socialiste où, en vérité, rien ne protège les humbles des pratiques les plus outrancièrement capitalistes, et où la corruption dévoie le fonctionnement des règles sociales.
Alors, puisque dans ce pays « la justice n’existe pas, [que] tout se joue le jour de notre naissance [et qu’]on n’a pas franchi la ligne de départ qu’on a déjà perdu », Changchi ira jusqu’au bout de la logique. Lorsque lui aussi se sacrifiera pour le bonheur de son fils, ce sera en trichant avec le destin. Puisque ce dernier s’avère préfabriqué, il fera de son tout jeune enfant, en le confiant à l'adoption, un oeuf de coucou au sein-même de la très riche et bourgeoise famille de son ancien employeur...
Etonné qu’un roman aussi ouvertement critique à l’égard de la Chine ait pu y paraître, l’on s’immerge avec curiosité dans cette histoire dont les résonances burlesques et sardoniques ne font qu'en rendre plus désespérée l’amère noirceur. Fétus de paille dans un jeu pipé aux mains des puissants, les citoyens lambda, sans parler des paysans méprisés, n’y ont droit qu’à la résignation d’un destin sans espoir, frelaté dans l’oeuf quoi qu'ils fassent... (4/5)
Citations :
Il dut se résoudre à aller voir Xingze, lequel fut ravi de le revoir. Il lui tapa sur l’épaule, lui servit du thé et lui proposa de rester déjeuner. Mais dès que Changchi commença à parler d’emprunter de l’argent, le visage de son hôte s’assombrit. Il est vrai que sa femme et lui avaient accumulé une petite somme grâce à leurs privations, mais c’était pour leur garçon qui allait bientôt entrer au jardin d’enfants. Comme ils n’avaient pas de permis de résidence urbain, ils avaient dû faire jouer leurs relations pour trouver un établissement. Et faire jouer ses relations, ce n’est pas prononcer un discours de dirigeant politique : pas de paroles en l’air, il faut des espèces sonnantes et trébuchantes. Changchi voulut connaître la somme, il répondit qu’il fallait entre cinquante et cent mille yuans pour un jardin d’enfants de qualité, et un minimum de dix ou vingt mille pour un établissement quelconque. Changchi ne s’était jamais imaginé qu’il aurait à dépenser de telles sommes pour le jardin d’enfants. C’était terrible ! Après cela, il se sentait trop gêné pour réitérer sa demande mais, ne voyant pas d’autre issue, il étouffa ses scrupules et bégaya qu’il lui rendrait l’argent dès qu’il aurait gagné le procès. Mais l’autre lui répliqua que de tels procès étaient comme les poupées russes auxquelles jouait son fils : quand on croit avoir gagné, il y a toujours un nouveau procès qui s’ouvre derrière. Même quand tu as l’espoir de gagner un procès, tu n’as pas les moyens de le faire. — Quand nos parents, les larmes aux yeux, nous ont mis sur la route de la ville, ce n’était pas dans l’idée que nous ferions des procès à ces gens-là, car pour ça, il faut des relations, et nous ne sommes pas de taille. Notre seul atout, c’est notre force de travail. Il faut que nous utilisions notre force pour gagner l’argent que les riches ont dans leurs poches. Sois réaliste : trouve-toi un autre chantier où être maçon, au lieu de perdre ton temps et ton argent avec des procès, que tu n’as d’ailleurs aucune assurance de gagner.
Prenons la ville la plus proche, Canton. Pour y aller à deux, les billets de train vous coûteront quatre cents yuans. Il faudra compter deux mille au minimum pour les prélèvements, mille pour les tests. Il faut penser aussi à l’hébergement et aux repas. Le voyage coûtera au bas mot quatre mille yuans, et c’est sans compter les imprévus. Les hôpitaux sont immenses, les patients y grouillent comme des fourmis. Pour faire les prélèvements, tu risques d’attendre, qui sait pendant combien de jours ? Et chaque jour, ce seront des dépenses supplémentaires, autant de billets de banque partis en fumée. En tout ce ne sera pas moins de cinq mille yuans qui vont y passer avant même que le procès ne commence. Mon Dieu, où penses-tu trouver autant d’argent ? En plus, ce procès t’a déjà fait perdre un mois de salaire, au moins quatre à cinq cents yuans. Donc, en comptant le salaire, ce procès t’aura coûté cinq mille cinq cents yuans, sans compter les frais de procédure et d’avocat. Autant dire que tu ne tireras aucun profit de cette affaire. Et puis, qui peut prédire la durée du procès ? Sans parler d’années, tu risques de ne pas même tenir un ou deux mois. Écoute, de nos jours, dans un procès, c’est à celui qui a le plus d’argent et de relations. Tu n’as ni l’un ni l’autre.
Mais, après avoir travaillé autant comme peintre, vu tant de maisons de riches, leur mobilier, je les envie et je suis en colère. Je suis un être humain comme eux, pourquoi y a-t-il de tels écarts entre mon niveau de vie et le leur ? Ne travaillerais-je pas assez ? Serais-je moins intelligent qu’eux ? Non, la seule cause est que je suis né à la campagne. Depuis le moment où ma mère m’a conçu, j’étais parti pour perdre. Mon père a eu l’ambition de changer mon destin, moi aussi j’ai serré les dents et tout fait pour y arriver, mais tu as vu toi-même ce que ça a donné. Arriverons-nous à y changer quelque chose ? Peut-être quelques changements quantitatifs, une poignée de yuans en plus, mais il n’y aura pas de changements qualitatifs. Un bœuf reste un bœuf, un cheval sera toujours un cheval, ils ne deviendront jamais des phénix, même si on les conduit à Pékin ou à Shanghai.
Le concours d’entrée à l’université a été supprimé en 1966 à la suite de la Révolution culturelle. Les lycéens ont été envoyés massivement à la campagne pour être “rééduqués”. Entre 1970 et 1976 (excepté 1971, année blanche), des étudiants ont été recrutés mais sur critères politiques. En 1977, l’année où le concours a été rétabli, 270 000 candidats ont été reçus, avec un taux de réussite de 4,7 %. Jusqu’en 1980, ce taux n’a pas dépassé 10 %.
Tu sais que des gens se blessent sur des chantiers mais ne touchent pas le moindre dédommagement. Ils ont beau crier leurs doléances pendant des années, un panneau accroché au cou, ils finissent dans une cellule de prison sans qu’on sache comment. Qu’est-ce que le préjudice moral ? C’est un truc brandi par les Occidentaux mais difficile à appliquer. Car ces nouveautés des Occidentaux sont bien souvent corrompues ou décadentes, et ne conviennent pas forcément à la situation chinoise.
“La pauvreté fait changer, le changement libère, la liberté fait durer.’’ [Livre des mutations]
Pourquoi je n’aurais pas eu le droit de donner mon enfant pour lui assurer la vie heureuse que je ne pouvais pas lui donner ? Aujourd’hui il se déplace en voiture de luxe, il habite dans une grande maison, il fréquente la meilleure école, tu peux lui donner tout ça ? J’ai fini par comprendre qu’il existe deux visions de l’amour, une vision étroite et une vision large. Quand on a une vision étroite, on garde son enfant avec soi, et sa vie ressemblera à la tienne, à la mienne, ou à celle de Liu Jianping, Xingze ou Zhang Hui. Dans la vision large, on lui donne les moyens de vivre heureux, de devenir quelqu’un, on lui enlève tous les soucis.
— Récupère-le, ou je ne suis plus ton père.
— Pourquoi vouloir abattre un bananier qui est sur le point de donner des fruits ? Dazhi mène maintenant la vie que tu aurais voulu lui donner, je me trompe ? C’est comme ces pots de fleurs dans la rue, ce n’est pas nous qui les arrosons, mais cela ne nous empêche pas de les apprécier.
Coucou ! Ta chronique fait envie, et le sujet a tout pour me plaire ! Ça a l'air assez incisif effectivement : ça a vraiment été publié en Chine aussi ?! Est-ce que ce qui est décrit est réaliste, plausible, du coup ? Ou édulcoré, masqué ?
RépondreSupprimerNon, Lybertaire, rien n'est édulcoré et c'est une vision très noire de la société chinoise de l'auteur partage ici.
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