jeudi 4 février 2021

[Boquel, Anne] Le berger

 


 

 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le berger

Auteur : Anne BOQUEL

Parution : 2021 (Seuil)

Pages : 288

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Lucie est conservatrice d’un petit musée de l’Oise. Rien ne va vraiment mal dans sa vie, rien ne va vraiment bien non plus. Le jour où une amie l’embarque dans un groupe de prière, son existence prend une couleur plus joyeuse. Elle se sent revivre. D’autant que le Berger et maître à penser de la communauté lui fait intégrer le cercle restreint des initiés. Sans le mesurer, elle consacre bientôt toute son énergie à la Fraternité, négligeant son entourage. L’incompréhension gagne ses proches, qui, désarmés, la voient s’éloigner d’eux. Mais, lorsqu’ils s’en inquiètent, leurs questions se heurtent au silence.Dans son désordre enfiévré, jusqu’où Lucie poussera-t-elle le zèle ?

Premier roman captivant, poignant portrait d’une jeune femme en plein désarroi, Le Berger dépeint sans complaisance la réalité sordide des mouvements sectaires, tout en s’interrogeant sur la quête de spiritualité dans nos sociétés individualistes.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Anne Boquel vit et enseigne à Lyon. Elle a coécrit avec Étienne Kern plusieurs essais remarqués sur la littérature et les écrivains.


 

Avis :

A bientôt trente ans, Lucie, conservatrice d’un petit musée de l’Oise, s’étiole dans une existence morne et solitaire. Invitée par une amie dans un groupe de prières, elle découvre une communauté qui prend bientôt une place essentielle dans sa vie, surtout lorsque Thierry, le leader, la fait entrer dans son cercle d’initiés. L’emprise de la secte se resserre peu à peu sur Lucie…

Pas à pas, le récit est une glissade lente et subreptice vers un danger que Lucie ne voit pas. Aussi stupéfait et impuissant que les quelques proches de la jeune femme, le lecteur assiste à son parcours, comme aimanté par l’influence insidieuse qui entreprend de l’envelopper et d’annihiler chez elle toute volonté de s’échapper. Les mécanismes de manipulation utilisés ressemblent au déploiement d’une toile d’araignée, où viennent librement s’engluer des victimes, d’abord attirées par l’espoir de combler les manques plus ou moins conscients qui pavent leur existence, puis de plus en plus incapables de résister à la paralysie grandissante qu’on leur inocule savamment. L’insertion dans la secte est une entreprise de démolition : manipulations et chantage affectifs, isolement par éloignement des proches, éviction de tout centre d’intérêt en dehors d’une doctrine basée sur l’obéissance pure, mise en place de routines contraignantes et hypnotiques, anéantissement physique par le jeûne et autres sévices, annihilation de la volonté et de la personnalité par une emprise humiliante et asservissante… Le résultat sur les plus fragiles est proprement terrifiant.

Le roman ne juge ni n’explique. Il se contente de montrer la progressive descente aux enfers de ces personnes tombées dans les mains de gourous machiavéliques et sans scrupules, entièrement occupés à sucer leurs victimes jusqu’à la moelle. L’on referme ce livre avec le sentiment de n’avoir jamais aussi bien compris le pouvoir et les pratiques des sectes, ici à visée purement vénale, mais complètement extrapolables à toutes sortes d’endoctrinements, notamment terroristes… Et l’on ne peut ensuite que s’interroger sur le vide et les manques, affectifs et spirituels, qui semblent marquer tant d’existences, dans notre ère scientifique et matérialiste…

D’une facture sobre et agréable, ce roman factuel et précis sur les méthodes de vampirisation employées par les sectes s’avère intéressant et instructif. Un livre à mettre entre toutes les mains, pour sensibiliser et prévenir. (4/5)

 

Citations :

Tu te demandes peut-être pourquoi je me suis mis en colère tout à l’heure. Ma colère, petite sœur, est toujours le reflet de la volonté divine. Véronique sert fidèlement les projets de la Fraternité, mais elle a contrevenu à une règle essentielle, qui consiste à obéir en tous points, et quelles que soient les circonstances, aux règles prescrites.

On savait bien quel type de personnalités, ces gens-là visaient. Des êtres vulnérables, faibles ou fragilisées par la vie qui cherchaient un refuge, une protection, des repères, enfin, et qui les trouvaient auprès d'escrocs prêts à abuser d'eux par tous les moyens, en les coupant de leur famille, de leurs amis, et en leur offrant des solutions simplistes.

Le caractère répétitif, presque hypnotique du discours délivré par le Berger le rendait très simple à saisir.

Lorsque Lucie avait demandé comment la communauté se finançait, Mariette avait haussé les épaules. Beaucoup d'entre eux faisaient des dons réguliers, il y avait des ventes caritatives organisées régulièrement, et puis Thierry vendait ses livres et ses brochures, avec un certain succès. (...)
Et puis, avait ajouté Mariette, lorsqu'on entrait à la Fraternité, on prenait vite l'habitude de se débarrasser du superflu : c'était tellement plus simple, grâce à Thierry, de distinguer l'essentiel, et de monnayer ce qui pouvait l'être pour aider la communauté à survivre dans les meilleures conditions.

Ce qui lui restait d'instinct de conservation l'avait poussée à préserver la seule chose qui lui restait intacte : sa soumission absolue aux volontés de Thierry.

Marcher dans la rue sans courber l'échine, oser regarder les gens dans les yeux, dire bonjour à voix haute, cesser de se mettre à trembler à la moindre manifestation de l'imprévu ; c'étaient ses victoires, les preuves minces et tangibles d'un retour à l'équilibre dont on ne pouvait savoir combien de temps il prendrait.

 

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