mardi 16 février 2021

[Abad, Hector] La Secrète

 


 

J'ai aimé

 

Titre : La Secrète (La Oculta)

Auteur : Hector ABAD

Traducteur : Albert BENSOUSSAN

Parution : en espagnol (Colombie) en 2014,
                   en français en 2016 (Gallimard)

Pages : 408

 

 
 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Ce roman est une histoire d'amour : celle d'une famille d'origine juive, les Angel, pour une ferme cachée au cœur des Andes, La Secrète. Sur cette terre luxuriante, vaste forêt tropicale devenue riche plantation caféière, plusieurs générations se sont succédé depuis un siècle. Trois voix singulières, celles des trois derniers enfants de la lignée, vont alterner pour nous faire découvrir les destins et les rêves qui se sont croisés à La Secrète.
Antonio, le fils, jeune violoniste, quitte la Colombie pour vivre pleinement son homosexualité à New York, mais n'oublie pas pour autant le lieu magique de ses origines. Entre deux répétitions, il réécrit la chronique des pionniers qui s'installèrent sur ces versants et y introduisirent la culture du café au XIXe siècle. Pilar, l'aînée, est la gardienne du logis et de l'héritage ; elle a promis de ne jamais vendre la ferme et est prête à toutes les compromissions pour cela. Eva, enfin, la brebis galeuse, incarne la fantaisie, le désir d'indépendance, mais également la force et le courage nécessaires pour affronter les menaces des narcotrafiquants, guérilleros et autres paramilitaires.
Les lecteurs de L'oubli que nous serons (Éditions Gallimard, 2011) retrouveront ici toute la finesse et la sensibilité dont Héctor Abad fait preuve lorsqu'il conte la vie intime d'une famille. Mais La Secrète est aussi une histoire à peine voilée de la Colombie contemporaine : l'épopée d'un pays qui, après des années de guerre civile, réapprend à vivre.
 

 

Un mot sur l'auteur :

Né en 1958 à Medellin, en Colombie, Hector Abad est un journaliste, romancier et traducteur d'auteurs italiens (Gesualdo Bufalino, Italo Calvino, Leonardo Sciascia). 
Il a connu l'exil de nombreuses années après l'assassinat, en 1987, de son père (éminent professeur et grand défenseur des droits de l'homme). 
Ses livres, traduits dans de nombreuses langues, ont reçu plusieurs prix littéraires. Il est aujourd'hui considéré comme l'une des figures majeures de la littérature colombienne contemporaine.
 

 

Avis :

En pleine jungle, au coeur des montagnes de la province d’Antioquia au nord-ouest de la Colombie, la Secrète est la demeure des Angel depuis un siècle et demi et l’arrivée des premiers colons dans la région. Anita, ultime pierre angulaire de la famille, vient de mourir, laissant la demeure et ses plantations de tecks et de caféiers à ses trois enfants. L’aînée Pilar, gardienne des lieux et des traditions familiales, s’est toujours consacrée à la sauvegarde de la propriété et a promis sur le lit de mort de son père de ne jamais vendre le domaine. Antonio, violoniste exilé à New York pour y vivre son homosexualité au grand jour, revient régulièrement passer ses vacances à la Secrète à laquelle il est viscéralement lié. Eva, femme émancipée attachée à son indépendance, a pris la maison en grippe depuis qu’elle y a échappé de justesse aux représailles de racketteurs. Quel sort la fratrie va-t-elle décider pour la Secrète ?

Alternant constamment les voix de chacun des frère et sœurs et leurs récits des liens indéfectibles qu’ils ont noués avec la maison de leur enfance, le roman retrace peu à peu l’histoire de cette famille et, à travers elle, celle du pays tout entier. Terre de pionniers conquise de haute lutte sur la forêt et la montagne, réceptacle de l’attachement viscéral de générations qui se sont éreintées à la domestiquer, la Secrète a traversé avec les Angel tous les soubresauts du pays. Guerres civiles et coups d’état, affrontements entre libéraux et conservateurs, vagues successives d’« envahisseurs » : guérilleros marxistes, paramilitaires, narco-trafiquants et, en dernier lieu, compagnies minières et promoteurs immobiliers … Jusqu’ici, la famille a su plier et rebondir, parfois en payant le prix fort, et rien n’a pu la déraciner de ce lieu défendu bec et ongles contre les agressions, autant humaines que naturelles et climatiques. Pourtant, après tant de péripéties et de dangers traversés, l’éclatement de la dernière génération ainsi que l’envie d’une vie libre et confortable pourraient bien, assez ironiquement, mettre un terme à l‘épopée de la Secrète, rattrapée, comme tant d’autres grandes demeures devenues trop lourdes pour leurs propriétaires, par les contraintes économiques et par l’urbanisation.

Si j’ai apprécié le versant historique du roman et la connotation nostalgique d’un récit que le passage du temps, le poids du destin et la cruauté du hasard imprègnent d’une saveur douce-amère, j’ai trouvé lassante la lenteur d’un texte qui semble souvent tourner autour de son sujet. Même si sa lecture nécessite quelque effort, ce livre aux accents sans doute autobiographiques reste indéniablement une œuvre intéressante sur l’ambivalence humaine entre attachement aux racines et envie d’émancipation, besoin d’ancrage et rêve de liberté. Une chose est sûre : l’exilé ne retrouvera jamais intact ce qu’il a laissé… (3/5)

 

Citations :

Maman avait une théorie qui avait toujours guidé sa vie, et c’est que les vieux doivent acheter la compagnie des autres. Une fois, je l’ai entendue dire au téléphone à tante Mona, sa sœur :
- Écoute, Mona, je sais que nous les vieux on doit payer pour ne pas rester seuls, et c’est l’argent le mieux dépensé au monde. Aussi il ne faut pas donner de notre vivant l’héritage aux enfants, mais le leur lâcher petit à petit pour ne pas nous retrouver toutes seules et abandonnées dans un asile.

Ne pas avoir de terre, c’est comme ne pas avoir de vêtements, comme ne pas avoir de quoi manger. De même que pour vivre il faut de l’eau, de l’air et un foyer, nous sentons ici qu’il faut aussi une terre, sinon pour y vivre, du moins pour y mourir.

Jon m’a appris ce que veut dire nostalgie. Nostos, en grec, m’a-t-il dit, signifie « retour », et algos, « douleur » ; tout comme la myalgie est la douleur des muscles, la nostalgie est la douleur du retour. Tous les voyages, tous mes voyages, sont des retours, comme l’a dit un poète de mon pays.

La vie ne tient qu’à un fil, et dans l’air il y a des ciseaux qui volent au vent.

Nous n’étions plus des paysans comme grand-père, mais nous conservions le dernier arpent de sa terre, pour honorer sa mémoire, peut-être, et surtout pour le bonheur d’y assister au lever du soleil, de sentir ce que l’on éprouve — c’est une chose profonde et ancienne — quand on est dans un lieu que l’on sait à soi et d’où personne ne peut vous déloger. Je crois que c’est ce qui se passe partout, et c’est pour cela que les gens se tuent en Israël, en Ukraine et en Syrie.

La chance et la malchance ; l’effort et le mérite et la chance ; la chance et la bonté ; la sécheresse ou les inondations. Personne ne devrait être fier de ce qu’il a ni avoir honte de ce qu’il n’a pas : l’enchaînement des faits, la roue de la fortune, tout est si difficile à définir et à savoir. Les idéologies et les religions nous apprennent l’indignation ou le ressentiment ; elles désignent d’un doigt sûr les coupables : le capital, le péché, la paresse, l’alcool, l’envie, la cupidité. Il y a un peu de ça ; mais il y a aussi beaucoup de hasard, purement et simplement la chance ou la malchance.


 

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