mercredi 24 février 2021

[Petitmangin, Laurent] Ce qu'il faut de nuit

 




Coup de coeur 💓

 

Titre : Ce qu'il faut de nuit

Auteur : Laurent PETITMANGIN

Parution : 2020

Editeur : La Manufacture de Livres

Pages : 198

 

  

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

C'est l'histoire d'un père qui élève seul ses deux fils. Les années passent et les enfants grandissent. Ils choisissent ce qui a de l'importance à leurs yeux, ceux qu'ils sont en train de devenir. Ils agissent comme des hommes. Et pourtant, ce ne sont encore que des gosses. C'est une histoire de famille et de convictions, de choix et de sentiments ébranlés, une plongée dans le cœur de trois hommes.
Laurent Petitmangin, dans ce premier roman fulgurant, dénoue avec une sensibilité et une finesse infinies le fil des destinées d'hommes en devenir.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Laurent Petitmangin est né en 1965 en Lorraine au sein d’une famille de cheminots. Il passe ses vingt premières années à Metz, puis quitte sa ville natale pour poursuivre des études supérieures à Lyon. Il rentre chez Air France, société pour laquelle il travaille encore aujourd’hui. Grand lecteur, il écrit depuis une dizaine d’années. Ce qu’il faut de nuit est son premier roman.

 

 

Avis :

Depuis le décès de son épouse, le narrateur élève seul ses deux fils dans cette petite ville de Lorraine. Cheminot à la SNCF et encarté à gauche, il voit avec la plus grande incompréhension son aîné se rapprocher des milieux fascisants d’extrême-droite. Le jeune homme est bientôt happé dans une spirale d’événements qui débouchent sur le drame, incommensurable et irréparable.

Comment en arrive-t-on à l’impensable et au désastre dans des vies a priori calmes et sans histoire ? Qu’est-ce qui dérape un jour pour nous faire perdre le contrôle de notre existence, la transformant en inextricable enfer ? Rien n’aurait pu laisser prévoir la catastrophe dans ce foyer tranquille et a priori harmonieux, même si fragilisé par la maladie puis la disparition maternelles. En tout cas, le père n’a rien vu venir et n’a su qu’assister, impuissant, aux choix de son fils devenu jeune adulte, échappant à sa logique, à ses valeurs, à sa compréhension. Insidieuses, les failles ont grandi, entraînant toute la famille dans une lente glissade vers le gouffre, montrant à quel point la frontière entre le bien et le mal peut s‘avérer fragile, chacun semblant susceptible, selon les circonstances, de basculer d’un côté ou de l’autre.

Sans jamais juger ni expliquer, le récit laisse entrevoir les mille petits riens qui peuvent insensiblement conduire un être au sentiment de déshérence et l’exposer à toutes les dérives, à la merci de convictions extrémistes ouvrant la porte à la violence et à la destruction. L’entourage reste impuissant, écartelé entre amour, honte et culpabilité. Quel plus terrible sentiment d’échec pour un père que celui, malgré tous ses efforts, de n’avoir su donner un équilibre à son fils et de le voir commettre l’acte effroyable que tout son être réprouve ? Quel plus grand déchirement que de continuer à aimer sans parvenir à pardonner ?

Juste, sensible et subtil, ce premier roman au style sobre réussit à suggérer sans jamais démontrer, dessinant des personnages d’une inoubliable et fragile humanité, dans tous leurs doutes et leurs contradictions. Tandis que, d’une crédibilité parfaite, il entre en complète résonance avec notre actualité politique et sociale, il achève de bouleverser le lecteur par son implacable dénouement. Ce livre, totalement réussi sur un sujet difficile, vous va droit au coeur et à l'âme. (5/5)

 

Citations : 

Le Bernard avait simplement continué : « Te bile pas, c’est des conneries de jeunes. Faudrait juste pas qu’il tombe mal. Tu les connais chez nous, il y en a des teigneux qui n’hésiteraient pas à cogner, même sur ton fils. » Et en me donnant une grosse bourrade : « Si c’est pas malheureux de retourner comme ça la tête des gosses », qu’il avait conclu. Fus avait vingt-deux ans, ce n’était plus un gosse. Que fabriquait-il avec ces fachos ?
Quand je lui avais demandé le soir, il n’en savait rien. Il accompagnait juste des potes, c’était la première fois qu’ils allaient coller, il voulait voir ce que ça faisait. J’avais eu beau penser à cette soirée, ruminer ce que j’allais faire, le gifler, aller à la bagarre avec lui, il n’y eut finalement rien. Rien du tout. Rien de ce que j’avais pu imaginer. Je n’étais plus d’attaque pour me le coltiner. Ce soir-là je m’étais senti infiniment lâche. Très vieux aussi.

Putain, il était où le militant facho sûr de son fait ? Je ne voyais qu’un pauvre type, comme moi, tout aussi décontenancé. « On est bien rendus, hein, avec leurs conneries », qu’il m’avait dit. Et les conneries, dans sa bouche – je ne crois pas me tromper en le disant –, ce n’étaient pas celles de nos enfants, surtout pas, c’était quelque chose de bien plus haut, de plus insaisissable, qui nous dépassait et dans les grandes largeurs encore. À la limite, c’étaient nos conneries à nous, tout ce qu’on avait fait et peut-être, en premier lieu, tout ce qu’on n’avait pas fait.  

J’avais finalement compris que la vie de Fus avait basculé sur un rien. Que toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n’étaient qu’accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards.

 

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