samedi 20 février 2021

[Haines, John] Les étoiles, la neige, le feu

 


 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Les étoiles, la neige, le feu
            (The Stars, the Snow, the Fire)

Auteur : John HAINES

Traducteur : Camille FORT-CANTONI

Parution américaine : 1989

Parution française : 2016, 2020 (Gallmeister)

Pages : 256

 

 


 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Pendant vingt-cinq ans, John Haines a vécu dans une cabane isolée au cœur des étendues vierges de l’Alaska, menant une existence rude et solitaire de pionnier moderne. Couper du bois, tracer une piste, piéger une martre, dépecer un élan, faire ses réserves de saumon : une vie simple, aventureuse et libre, au rythme d’une nature sauvage envoûtante. Avec sérénité, il transforme son expérience intime en un récit initiatique et intemporel, où le moindre événement trouve sa résonance en chacun de nous.
 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

John Haines est né le 29 juin 1924 en Virginie. Après avoir étudié l'art et la peinture, il fait l'acquisition - alors qu'il n'a que vingt-trois ans - d'une propriété de cent soixante acres située à côté de Fairbanks, en Alaska. Il y installe son atelier et se consacre à la peinture. Mais quand la température fait geler ses peintures, Haines décide alors de se tourner vers l'écriture. Il enseigne ensuite dans de nombreuses institutions américaines et passe le reste de sa vie en Ohio, avant de retourner en Alaska. Il y meurt le 2 mars 2011.

Il est l'auteur d’une quinzaine de recueils de poésie, d’essais et de récits, et fait partie des poètes américains les plus considérés. Son œuvre importante a reçu de nombreux prix, dont ceux de la fondation Guggenheim et de l’Académie des arts et lettres. Son expérience de trappeur, vivant de chasse en solitaire au cœur de l'Alaska, a profondément influencé ses travaux littéraires.

 

 

Avis :

Entre ses vingt-trois ans en 1947 et le moment où il écrit ce livre en 1989, l’auteur a passé en tout vingt-cinq années dans la cabane qu’il s’est construit dans le Grand Nord, en Alaska, à l’écart du monde. Il raconte son existence en ces lieux de solitude souvent glacée, au contact d’une nature aux mille beautés et dangers : un mode de vie libre, mais rude et aventureux, en quasi autarcie, à trapper, pêcher et subsister comme l’ont fait avant lui des générations de pionniers.

C’est avec une simplicité franche et authentique que l’homme se décrit dans cet environnement qu’il a choisi, loin de l’agitation du monde, en communion avec une nature dont il tire l’essentiel de sa subsistance, au rythme de tâches éprouvantes et physiques. Le danger n’est jamais loin et un travail incessant s’avère le prix de ce mode de vie libre et indépendant. Mais c’est une paix de l’esprit et un sentiment de plénitude, la certitude d’une harmonie avec un univers inchangé depuis des millénaires, qui transparaissent au fil des pages, emplies d’actions quotidiennes calmement accomplies, de joies simples, de la pure sensation de vivre. Ici, pas d’états d’âme ni de révélations intimes. Mais la satisfaction d’un bon feu et de l’estomac plein, l’observation et l’adaptation au milieu, le respect de la faune et d’un cadre dont dépend la survie. Une fugace impression de mélancolie traverse le récit de part en part, alors que l’auteur semble prendre conscience du chemin parcouru – il a soixante-cinq ans -, et partage à demi-mot sa sensation d’être une sorte de « dernier des Mohicans », accroché à une nature désormais quasi vidée de sa vie animale.

Bien sûr, la nature déborde de ces pages, puisqu’elle emplit et soumet toute l’existence du narrateur. Le dépaysement qui nous est offert se teinte d’aventure au fur et à mesure que le lecteur marche dans les pas de John Haines et de ses chiens, pose et relève avec lui pièges et collets, aménage des cabanes-refuges qui lui permettront d’élargir sans trop de risques son périmètre d’exploration, protège ses réserves pour l’hiver des loups et des ours, guette l’avancée du gel puis la débâcle de la rivière… Nombreuses sont les anecdotes qu’il distille avec le talent consommé d’un conteur, nous tenant suspendus à ses mots comme si nous l’écoutions au coin d’un feu, à la veillée, lorsque le vent froid siffle au dehors…

Dépaysant et authentique, ce récit sans artifice est passionnant de bout en bout. Il nous fait entrevoir un mode de vie aux antipodes du nôtre, sans aucun doute en voie de disparition, et qui ne peut que nous interroger sur ce que nous avons gagné et perdu à l’âge du confort moderne et virtuel. (4/5)

 

Citations :

S’il était possible de quantifier la vie dans les bois, ou d’en mesurer simplement l’efficacité au regard des nombreuses satisfactions qu’elle procure, ma vie ne fut jamais un grand succès, mais elle dépendait de la présence d’animaux et du temps que j’étais prêt à consacrer à la traque. Par un hiver faste, je me souviens d’avoir pris vingt martres, deux lynx et un ou deux renards. Je reçus moins de trois cents dollars pour le tout. A l’époque c’était pour nous une grosse somme, environ les deux tiers de nos revenus annuels. A l’heure où j’écris ces mots, je sens bien, là encore, à quel point nous vivions de peu et combien ce peu pouvait s’avérer crucial.

Parfois, dans ce monde appauvri, nous reviennent les rêves d’abondance des vieux trappeurs. Une contrée prospère, riche en gibier, en poisson, en fourrure, généreuse comme aux temps jadis. Des ours, des élans et des caribous. Des bois regorgeant de lapins, de martres courant un peu partout, faisant sur la neige des traces jumelles dessinant leur parcours sous les sombres épicéas. Et l’empreinte attentive, une patte devant l’autre, des lynx qui suivent leur chemin sans jamais se hâter. Les castors dans l’étang, un autour qui hante les fourrés à la fin de l’hiver tel un spectre ravageur, et de temps à autre la vague menace d’un loup en maraude.
Tout ceci, ou son ombre intermittente : une région moribonde, et rien à voir sur la neige. La famine, et le grand rêve qui s’éloigne.

Qui sont ceux qui viennent là, dans cette blancheur, ce lieu distant et glacé, en quête de ce qu’ils ne peuvent nommer ? Non pas l’or, sans doute, mais une fortune spirituelle, une fraîcheur qui leur est déniée là d’où ils viennent.

Je passe un pantalon de laine épaisse sur mes sous-vêtements, puis deux chemises de laine. Sur le pantalon de laine, j’en porte parfois un second, de coton léger, pour servir de pare-vent ou me protéger de la neige. J’enfile des chaussettes : trois paires en laine et celle du dessus en feutre. Deux paires de semelles intérieures, et enfin les mocassins en cuir. Je noue les lacets montants. Ces chaussures tiennent le pied sans me serrer, molles et légères. Je les ai confectionnées il y a six ans avec la peau d’un grand élan et, si elles se sont usées depuis, elles demeurent les meilleures que je possède.

Que fait un homme dans un lieu comme celui-ci, si loin et si désert ? Pour commencer, il observe le climat : les étoiles, la neige, le feu. Ce sont les livres qu’il lit la plupart du temps. Et tout ce qu’il fait – du moment où il apporte du petit bois et des seaux de neige à celui où il jette les eaux usées - l’oblige à se tenir sous le ciel nu, loin de ses murs, hors des livres écrits par les hommes, à l’abri de ses pensées pendant un moment. Tandis que je reste là, rafraîchi par le silence et la nuit proche, je me dis que cette vie est la bonne.
 
La pêche et la chasse, les baies sauvages, les pièges, le bois pour le feu et la nourriture, tout cela nous est offert par ce pays. Une fourrure de martre est ravissante quand on la regarde à la lumière en la tournant pour la mettre en valeur. Et la viande d’élan est un bienfait, elle nous repaît et nous réchauffe, je n’ai pas à l’acheter chez un boucher. Mais il m’est impossible de piéger et de tuer sans pensée ni émotion, et il se peut que chaque mise à mort m’inflige à moi aussi une blessure légère, peut-être fatale. La vie ici se partage entre le soleil et le givre, entre le sang vif et la sève des choses, entre leur déchéance et leur mort soudaine.

Dans cette existence sauvage, j’ai trouvé un moyen de rentrer de nouveau en contact avec le monde. Un moyen unique. Vivre la vie qui m’attend ici, la vivre pleinement, et me passer de l’autre, celle réglée sur les horloges, les heures, le salaire. Chaque jour, je revis l’espérance du chasseur : le départ et la piste à l’aube. Que trouverons-nous aujourd’hui ?

Il n’y avait pas moyen de les suivre du regard dans cette lumière vacillante. A peine en avais-je isolé une sur le fond du ciel qu’elle virevoltait pour aller s’enfoncer dans l’obscurité touffue du bois. Les chauve-souris suivaient une trajectoire spasmodique étrange qui rappelait le vol des papillons, mais en plus rapide et vigoureux. C’était comme si l’atmosphère tranquille et vespérale où elles évoluaient cédait soudain à un coup de vent brusque qui se serait emparé d’elles pour les rejeter sur le côté. Comme si elles étaient soudain arrêtées dans leur vol par une ficelle invisible qui les arrachait d’une secousse à leur parcours.

Eteignez toutes les lumières d’une ville, et voyez combien la vie se hâte de retourner aux ombres, à quelle vitesse la crainte ancestrale nous revient des arbres sans lumière et des porches silencieux, tandis que la nuit s’emplit une fois de plus de mufles et de chuchotements, d’ailes râpeuses et de corps pesants qui se heurtent.

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