lundi 10 juin 2024

[Milesi, Jean-Louis] Au loin, quelques chevaux, deux plumes...

 


 

Coup de coeur 💓

 

Titre : Au loin, quelques chevaux,
           deux plumes...

Auteur : Jean-Louis MILESI

Parution : 2023 (Presses de la Cité),
                  2024 (Pocket)

Pages : 480

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Juillet 1900. Le bourgeois Edward Sheriff Curtis quitte sa famille et son studio de Seattle pour une expédition dans le Nebraska, rêvant de la photographie qui le rendrait mondialement célèbre. Au milieu de nulle part, il est attaqué et dépouillé par des bandits. Étrangement, à cause d’une image échappée de son portefeuille, Curtis a la vie sauve. Encore plus étrange, le bandit qui l’a épargné l’entraîne avec lui dans un long et dangereux périple. Qui est ce mystérieux cow-boy ? Quel lien le relie à la pendaison de trente-huit Sioux dans le Minnesota, quarante ans plus tôt ? Que font-ils dans cette réserve au milieu d’Indiens si loin de son imaginaire d’enfant que Curtis est incapable de les photographier ?

Une fresque audacieuse et magnifique, portée par le souffle du Grand Ouest américain : la première fiction consacrée au photographe Edward S. Curtis, qui raconte la naissance de sa vocation.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Jean-Louis Milesi a reçu plusieurs prix pour les scénarios et dialogues qu’il a écrits : Marius et Jeannette, Les Neiges du Kilimandjaro, Marie-Jo et ses deux amours pour Robert Guédiguian. Plus récemment, le film d’animation Josep, d’Aurel. Auteur-réalisateur, il a également été récompensé pour ses films Lino et Fragile. Il a publié un premier roman, Les Bottes de Clint Eastwood (2017, Éditions Le Passage). « Jean-Louis Milesi… a tout plaqué pour les États-Unis. Tant mieux… » (L’Obs)

 

Avis :

Au tournant du XXe siècle, ne subsistent plus en Amérique du Nord que quelques dizaines de milliers d’Indiens. Ils étaient plus d’un million cent ans plus tôt. Soucieux de conserver une trace mémorielle de leurs cultures et traditions, un homme, le photographe Edward Sheriff Curtis, se lance alors dans une véritable course contre le temps. Il sillonne l’Amérique vingt-cinq ans durant et devient le premier photographe-ethnologue des Amérindiens. Ce roman au titre doucement nostalgique imagine la naissance de sa vocation, au coeur d’une agonie tristement orchestrée.

1900. Autodidacte d’origine modeste parvenu à la trentaine, Curtis pourrait se contenter de vivre bourgeoisement, auprès de son épouse et de ses enfants, des portraits guindés pour lesquels ses clients aiment à prendre la pose dans son studio de Seattle. Qui sait, la célébrité pourrait même lui sourire, pour peu que l’une ou l’autre de ses plaques de verre finisse par fixer l’image de quelque personnalité influente. Mais notre homme, curieux des photographies en milieu naturel, a la bougeotte. Le voilà qui, après une expédition en Alaska qui lui a permis d’immortaliser les découvertes de son ami l’anthropologue Georges Grinell, récidive pour une nouvelle aventure, ornithologique cette fois, qui doit les mener dans une réserve indienne du nord du Montana, à plusieurs milliers de dangereux kilomètres.

En route pour son lointain rendez-vous, Curtis est dévalisé et laissé pour mort par des bandits de grand chemin. Son destin semble sur le point de tourner court, quand, changeant mystérieusement d’intention à cause d’une image trouvée dans la poche du blessé, l’un de ses assaillants entreprend de le sauver. Leurré par son prénom Henry et par sa tenue de cow-boy, Curtis est alors loin de réaliser que son nouveau compagnon de route est en vérité un Indien métis et que, bientôt liés d’amitié par les péripéties qui les attendent, les deux hommes auront bien d’autres sujets de préoccupation que les vols d’étourneaux dans le Montana.
 
De fait, c’est vers le Dakota du Sud qu’ils se dirigent désormais, là où, expulsés du Minnesota après la guerre des Sioux et la pendaison collective de trente-huit Dakotas – la plus grande exécution de masse de l’histoire des Etats-Unis – en 1862, les Indiens ont été contraints de se rassembler dans la « Grande Réserve Sioux ». Tandis qu’Henry, ou plus exactement Mika Ohiteka, espère autant qu’il le redoute y retrouver les siens, Curtis y découvre à ses côtés les misérables conditions de vie imposées aux Indiens, ainsi que la politique d’assimilation à toute force qui, entre sédentarisation, christianisation et isolement des enfants dans d’impitoyables pensionnats, si maltraitants que leurs cimetières débordent, entend effacer jusqu’à la mémoire de leur peuple.

A la fois roman historique et récit d’aventure aux accents de western, cette biographie romancée est l’histoire d’une rencontre, celle de deux hommes que tout oppose, mais qui, à mesure qu’insensiblement se tissent entre eux des liens d’estime et d’amitié, va ouvrir les yeux d’un Blanc sur l’entreprise d’effacement de tout un peuple et d’une culture ancestrale. Toujours juste dans son empathie, la sonorité de ses dialogues et sa précision toute cinématographique, l’écrivain scénariste réussit une fresque passionnante, où à la triste impuissance face au désastre répond la détermination de faire savoir et d’interdire l’invisibilisation et l’oubli. Un hommage flamboyant aux Amérindiens et une formidable invitation à découvrir, au-delà de l’image de couverture empruntée à Curtis, une œuvre photographique exceptionnelle, à valeur autant mémorielle qu’artistique. Coup de coeur. (5/5)

 

Citations :

La disparition de chaque vieil homme ou femme signifie la disparition de traditions, de connaissances des rites sacrés que nul autre ne possède ; par conséquent, les informations qu'il faut transmettre aux générations futures, en respectant le mode de vie de l'une des grandes races de l'humanité, doivent être recueillies immédiatement, sinon cette chance sera perdue à tout jamais. (Edward Sheriff Curtis - 1907)


Comment une photographie peut-elle être vivante ? Il ne se l’explique pas. Mais il sentait ce bouillonnement. Cette chose en lui qu’il retenait prisonnière. Cette photographie qu’il devait faire sortir, qu’il devait libérer pour la donner, l’offrir aux autres, partager avec eux son regard sur cet instant qui finit d’exister dès que l’obturateur se referme. Et qui n’existera plus. De cet instant disparu ne demeure que la capture d’un visage, d’un regard. Peut-être d’une grâce, d’une flamme, d’une âme. A celui qui regarde d’en faire ce qu’il veut. A lui de saisir ou non l’émotion que le photographe y a glissée. D’être touché par ce petit bout du monde qu’un autre a défini, capturé.


 

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