Coup de coeur 💓
Titre : Au loin, quelques chevaux,
deux plumes...
Auteur : Jean-Louis MILESI
Parution : 2023 (Presses de la Cité),
2024 (Pocket)
Pages : 480
Présentation de l'éditeur :
Une fresque audacieuse et magnifique, portée par le souffle du Grand Ouest américain : la première fiction consacrée au photographe Edward S. Curtis, qui raconte la naissance de sa vocation.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
1900. Autodidacte d’origine modeste parvenu à la trentaine, Curtis pourrait se contenter de vivre bourgeoisement, auprès de son épouse et de ses enfants, des portraits guindés pour lesquels ses clients aiment à prendre la pose dans son studio de Seattle. Qui sait, la célébrité pourrait même lui sourire, pour peu que l’une ou l’autre de ses plaques de verre finisse par fixer l’image de quelque personnalité influente. Mais notre homme, curieux des photographies en milieu naturel, a la bougeotte. Le voilà qui, après une expédition en Alaska qui lui a permis d’immortaliser les découvertes de son ami l’anthropologue Georges Grinell, récidive pour une nouvelle aventure, ornithologique cette fois, qui doit les mener dans une réserve indienne du nord du Montana, à plusieurs milliers de dangereux kilomètres.
En route pour son lointain rendez-vous, Curtis est dévalisé et laissé pour mort par des bandits de grand chemin. Son destin semble sur le point de tourner court, quand, changeant mystérieusement d’intention à cause d’une image trouvée dans la poche du blessé, l’un de ses assaillants entreprend de le sauver. Leurré par son prénom Henry et par sa tenue de cow-boy, Curtis est alors loin de réaliser que son nouveau compagnon de route est en vérité un Indien métis et que, bientôt liés d’amitié par les péripéties qui les attendent, les deux hommes auront bien d’autres sujets de préoccupation que les vols d’étourneaux dans le Montana.
De fait, c’est vers le Dakota du Sud qu’ils se dirigent désormais, là où, expulsés du Minnesota après la guerre des Sioux et la pendaison collective de trente-huit Dakotas – la plus grande exécution de masse de l’histoire des Etats-Unis – en 1862, les Indiens ont été contraints de se rassembler dans la « Grande Réserve Sioux ». Tandis qu’Henry, ou plus exactement Mika Ohiteka, espère autant qu’il le redoute y retrouver les siens, Curtis y découvre à ses côtés les misérables conditions de vie imposées aux Indiens, ainsi que la politique d’assimilation à toute force qui, entre sédentarisation, christianisation et isolement des enfants dans d’impitoyables pensionnats, si maltraitants que leurs cimetières débordent, entend effacer jusqu’à la mémoire de leur peuple.
A la fois roman historique et récit d’aventure aux accents de western, cette biographie romancée est l’histoire d’une rencontre, celle de deux hommes que tout oppose, mais qui, à mesure qu’insensiblement se tissent entre eux des liens d’estime et d’amitié, va ouvrir les yeux d’un Blanc sur l’entreprise d’effacement de tout un peuple et d’une culture ancestrale. Toujours juste dans son empathie, la sonorité de ses dialogues et sa précision toute cinématographique, l’écrivain scénariste réussit une fresque passionnante, où à la triste impuissance face au désastre répond la détermination de faire savoir et d’interdire l’invisibilisation et l’oubli. Un hommage flamboyant aux Amérindiens et une formidable invitation à découvrir, au-delà de l’image de couverture empruntée à Curtis, une œuvre photographique exceptionnelle, à valeur autant mémorielle qu’artistique. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Comment une photographie peut-elle être vivante ? Il ne se l’explique pas. Mais il sentait ce bouillonnement. Cette chose en lui qu’il retenait prisonnière. Cette photographie qu’il devait faire sortir, qu’il devait libérer pour la donner, l’offrir aux autres, partager avec eux son regard sur cet instant qui finit d’exister dès que l’obturateur se referme. Et qui n’existera plus. De cet instant disparu ne demeure que la capture d’un visage, d’un regard. Peut-être d’une grâce, d’une flamme, d’une âme. A celui qui regarde d’en faire ce qu’il veut. A lui de saisir ou non l’émotion que le photographe y a glissée. D’être touché par ce petit bout du monde qu’un autre a défini, capturé.
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