lundi 15 avril 2024

[Auster, Paul] Baumgartner

 




J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Baumgartner

Auteur : Paul AUSTER

Traduction : Anne-Laure TISSUT

Parution :  en anglais (Etats-Unis) en 2023,
                   en français
(Actes Sud) en 2024

Pages : 208

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

Sy Baumgartner, professeur de philosophie à Princeton, veuf solitaire de soixante-dix ans, entame un voyage dans le grand palais de la mémoire. Ses pensées lentement partent à la dérive “vers le passé, le passé distant que l’on distingue à peine, vacillant à l’extrémité la plus lointaine de la mémoire, et par fragments lilliputiens, tout lui revient”.
Se déploient, en spirales de souvenirs et de réminiscences, sa jeunesse à Newark, la vie de son père, révolutionnaire fantôme d’origine polonaise, sa rencontre foudroyante, à vingt et un ans, avec Anna, poétesse en herbe, puis leur amour fou quarante années durant. Jusqu’à sa disparition, qui laisse Sy comme amputé de celle qu’il appelait sa moitié. Se dessine alors une étude sensible, profonde et fouillée sur l’attachement et les méandres du deuil de l’être aimé.
Un roman traversé par les forces de l’amour et de la perte, étonnamment lumineux.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Né en 1947 à Newark dans le New Jersey, Paul Auster étudie de 1965 à 1970 les littératures française, anglaise et italienne à Columbia University, où il obtient un Master of Arts. Il publie à cette époque des articles consacrés essentiellement au cinéma dans le Columbia Review Magazine, et commence l’écriture de poèmes et de scénarios pour films muets qui deviendront ultérieurement Le Livre des illusions.

De 1971 à 1974, il s’installe à Paris et traduit Dupin, Breton, Jabès, Mallarmé, Michaux ou Du Bouchet. Unearth, son premier recueil de poèmes, paraît aux États-Unis en 1974, puis en France, en 1980, aux éditions Maeght. En 1979, il publie sous le pseudonyme de Paul Benjamin un roman policier intitulé Fausse Balle, dans la “Série noire”.

Son roman, Cité de verre (premier volume de sa Trilogie new-yorkaise), paraît en 1987 aux éditions Actes Sud et connaît un succès immédiat auprès des médias et du public.

Paul Auster est l’auteur d’une œuvre de premier plan, reconnue dans le monde entier et traduite dans plus de quarante langues. Écrivain prolifique, outre une vingtaine de romans, il a publié des essais, nouvelles, pièces de théâtre, recueils de poésie, scénarios…

Il a reçu de nombreuses distinctions littéraires dont le Médicis étranger pour Léviathan, le Premio Napoli pour Sunset Park, et le très prestigieux prix Prince des Asturies pour l’ensemble de son œuvre. Il a été finaliste de l’International IMPAC Dublin Literary Award pour Le Livre des illusions, du Pen/Faulkner Award for Fiction pour La Musique du hasard, ou encore du Man Booker Prize pour 4 3 2 1.

Sa pièce de théâtre, Laurel et Hardy vont au paradis, a été montée en 2000 au théâtre de La Bastille, son roman La Musique du hasard a été adapté au cinéma par Philip Haas en 1991, et Cité de verre a été adapté en bande dessinée, avec des illustrations de David Mazzucchelli, en 1999.

Cinéaste, il a écrit plusieurs scénarios dont ceux de Smoke et de Brooklyn Boogie, films qu’il a coréalisés avec Wayne Wang (1995). Puis il se lance seul dans la réalisation de longs-métrages : Lulu on the bridge, sélectionné au Festival de Cannes dans la catégorie “Un certain regard” en 1998 et La Vie intérieure de Martin Frost, sorti en 2006.

Paul Auster a été élu membre de l’American Academy of Arts and Letters et nommé Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.

Il a vécu la majeure partie de sa vie à Brooklyn avec sa femme, la romancière et essayiste Siri Hustvedt.

L'ensemble de son œuvre est publié chez Actes Sud.

Baumgartner est son dernier roman.

 

 

Avis :

Egalement scénariste et réalisateur, Paul Auster s’est imposé comme un auteur majeur du post-modernisme. A 77 ans et atteint d’un cancer, il publie ce qu’il annonce comme probablement son dernier livre, un ouvrage dense et court, où la marée des souvenirs assaille un écrivain vieillissant, tourmenté par la perte de sa femme et par les premières défaillances de l’âge.

Dans ce récit, où est le vrai, où est le faux ? Alter ego de l’auteur, Sy Baumgartner est un éminent professeur d’université en même temps qu’un auteur respecté. Mais, à plus de soixante-dix ans, le terme du voyage se fait pressentir. Même si, et pas seulement en esprit, l’homme n’a toujours rien lâché de ses activités, oeuvrant son relâche à son dernier ouvrage, il lui faut bien reconnaître que des détails commencent à le trahir. Veuf depuis dix ans, il a de soudaines absences, se brûle avec une casserole oubliée sur le feu, tombe dans l’escalier de la cave et ne se souvient plus de ses rendez-vous. Le mari de sa femme de ménage s’étant accidentellement sectionné plusieurs doigts, le « syndrome du membre fantôme » lui inspire une « métaphore de la souffrance humaine et de la perte ». Ayant perdu la moitié de lui-même, il se voit en « moignon humain », souffrant de tous ses membres manquants.

Alors, irrépressiblement et de plus en plus souvent, les souvenirs éparpillés telles les pièces d’un puzzle envahissent le présent comme dans une tentative de recomposer sa vie : son enfance, l’histoire de ses parents entre Europe et Amérique, et, toujours et surtout, son coup de foudre pour Anna – Blume, comme la narratrice de l’un des premiers romans d’Auster –, leur long mariage heureux mais sans enfant, son admiration pour celle qui, poétesse et traductrice, ne s’est jamais souciée de publier son œuvre, restée à l’état de manuscrits épars. Tout à son deuil impossible, en même temps qu’il continue inlassablement à plier les vêtements de l’aimée disparue, il rêve, à défaut de pouvoir lui redonner chair, de la faire revivre par l’esprit en faisant connaître ses écrits. Et le miracle se produit : éblouie par le recueil de poèmes qu’il a soigneusement choisis dans les tiroirs d’Anna pour une édition posthume, surgit une étudiante et son projet de thèse, une fille brillante, intellectuellement la copie de la morte, qui pourrait bien devenir une fille spirituelle, celle par qui la mémoire se transmet au lieu de se perdre.

Mettant, comme il sait si bien le faire, son style dépouillé au service d’un enchâssement d’histoires pleines d’incidents et de détails riches de sens, Paul Auster tisse les fils d’un récit poignant, non dénué d’humour, où amour, vieillesse et deuil trouvent, dans l’exploration de la mémoire et dans sa transmission, une continuité pleine de vitalité et d’espérance. Un dernier livre qui s’achève sur une épiphanie : la littérature ne meurt jamais et, à travers elle, ses auteurs non plus. (4/5)

 

 

Citations :

C’est le trope que Baumgartner cherchait depuis la mort soudaine, inattendue d’Anna dix ans plus tôt, analogie s’imposant comme la plus persuasive pour décrire ce qui lui est arrivé depuis cet après-midi chaud et venteux d’août 2008, où les dieux ont jugé bon de lui dérober sa femme dans la pleine vigueur de son âge encore jeune, et soudain, ses membres ont été arrachés de son corps, tous les quatre, bras et jambes ensemble au même moment, et si sa tête et son cœur ont été épargnés par l’assaut, c’est seulement parce que les dieux pervers et moqueurs lui ont accordé le droit douteux de continuer à vivre sans elle. À présent, il est un moignon humain, un demi-homme ayant perdu la moitié de lui-même, et, oui, les membres manquants sont toujours là, ils lui font toujours mal, au point qu’il a l’impression parfois que son corps est sur le point de prendre feu et de se consumer sur place.
 

La vie est dangereuse, Marion, et tout peut nous arriver à tout moment. Vous le savez, je le sais, tout le monde le sait, et s’il y en a qui ne le savent pas, c’est qu’ils ne font pas attention, et si on ne fait pas attention, on n’est pas complètement en vie.
 

Après que Baumgartner a rêvé ce rêve, quelque chose commence à changer en lui. Il a parfaitement conscience que le téléphone déconnecté n’a pas sonné, qu’il n’a pas entendu la voix d’Anna, que les morts ne continuent pas à vivre dans un état de non-existence consciente, et pourtant, tout irréel qu’ait été le contenu du rêve, il en a fait l’expérience réelle, et les choses qu’il a vécues dans son sommeil cette nuit-là n’ont pas disparu de ses pensées comme le font la plupart des rêves. Six jours se sont écoulés depuis. C’est court, néanmoins Baumgartner a le sentiment d’avoir été précipité dans un nouvel espace intérieur, et que les circonstances de sa vie ont été modifiées. Il n’est plus prisonnier d’un caveau sans fenêtre mais se trouve quelque part à la surface du sol, toujours coincé dans une pièce, peut-être, mais au moins celle-là a une fenêtre à barreaux en haut du mur extérieur, ce qui signifie que la lumière s’y répand pendant la journée, et s’il s’allonge sur le sol et place la tête selon le bon angle, il peut regarder les nuages en l’air et en étudier le cours dans le ciel. Tel est le pouvoir de l’imagination, se dit-il. Ou, tout simplement, le pouvoir des rêves. De la même façon qu’une personne peut être transformée par les événements imaginaires narrés dans une œuvre de fiction, Baumgartner a été transformé par l’histoire qu’il s’est racontée en rêve. Et si la pièce jadis sans fenêtre en a une à présent, qui sait si un jour ne viendra pas, dans un avenir proche, où les barreaux auront disparu et où il pourra enfin, en se traînant, sortir à l’air libre.
 

Pour le moment, tout s’est arrêté. Baumgartner a écrit la dernière phrase du dernier paragraphe du dernier chapitre des Mystères de la roue, et à présent, durant le mois qui vient environ, il doit oublier que le livre est achevé ou qu’il a même jamais entrepris de l’écrire. Baumgartner se réfère à cette période de post-composition comme l’effondrement ou Mrs Dolittle pompette, ou pour faire écho au slogan de la vieille pub Coca-Cola de son enfance, la pause fraîcheur. C’est l’étape fondamentale vers l’achèvement d’un livre, car après avoir vécu avec le livre en cours chaque jour et chaque nuit, parfois pendant quelques années, voire de nombreuses, on en est si proche quand on s’arrête d’écrire que l’on n’est plus capable de le juger. Et surtout, les mots vous sont devenus si familiers qu’ils sont morts sur la page, et les regarder maintenant vous plongerait dans des spasmes de dégoût si intenses que vous pourriez être tenté de détruire le manuscrit dans un accès de colère ou de désespoir. Dans l’intérêt de votre santé mentale, et dans celui de ce qui peut être sauvé du désastre que vous avez vous-même causé, il faut vous forcer à prendre du recul et laisser ce fichu livre tranquille jusqu’à ce qu’il soit complètement détaché de vous, au point que quand vous oserez le reprendre, vous ayez le sentiment de le découvrir pour la première fois.


 

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