jeudi 7 décembre 2023

[McGuire, Ian] Dans les eaux du Grand Nord

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Dans les eaux du Grand Nord
           (The North Water)       

Auteur : Ian McGUIRE

Traduction : Laurent BURY

Parution : en anglais en 2016,
                  en français en
2017 (Gallimard 10/18)

Pages : 312

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Patrick Sumner, un ancien chirurgien de l’armée britannique traînant une mauvaise réputation, n’a pas de meilleure option que d’embarquer sur le Volunteer, un baleinier du Yorkshire en route pour les eaux riches du Grand Nord. Mais alors qu’il espère trouver du répit à bord, un garçon de cabine est découvert brutalement assassiné. Pris au piège dans le ventre du navire, Sumner rencontre le mal à l’état pur en la personne d’Henry Drax, un harponneur brutal et sanguinaire. Tandis que les véritables objectifs de l’expédition se dévoilent, la confrontation entre les deux hommes se jouera dans les ténèbres et le gel de l’hiver arctique.
Prix Gens de Mer – Festival Étonnants Voyageurs 2017

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Ian McGuire a grandi près de Hull, en Angleterre, et étudié dans les universités de Manchester et de Virginie. Il a cofondé le Centre pour la Nouvelle Écriture à l’université de Manchester et enseigne actuellement l’écriture créative à l’université de Nord Texas. Ses écrits ont été publiés dans la Chicago Review et la Paris Review. Dans les eaux du Grand Nord est son premier roman à paraître en France.

 

 

Avis :

« L’argent fait ce qu’il veut. Il se fiche bien de ce qu’on préfère. Si tu lui barres la route d’un côté, il s’en ouvre une autre ailleurs. Je ne peux pas l’empêcher. Je ne peux pas dire à l’argent ce qu’il doit faire, ni où il doit aller. » Alors, puisque la chasse à la baleine ne nourrit plus aussi bien son homme qu’autrefois, la ressource mais aussi les débouchés se faisant de plus en plus rares, pour le capitaine Brownlee ce sera, au seuil de cet hiver 1859, la dernière campagne qu’il entreprendra avec son navire dans les eaux du Grand Nord. Soit il parviendra à remplir ses cales de graisse de baleine – et il tuera ses hommes à la tâche pour cela s’il le faut –, soit il coulera « accidentellement » son bateau dans les glaces pour toucher une grasse prime d’assurance. Le voilà donc qui met le cap vers les eaux du Groenland, avec pour équipage le pire assemblage de sac et de corde qui soit, tous de furieux durs-à-cuire n’ayant guère de recommandable que leur force méchamment brutale, mais expérimentée. L’enfer sera glacé et l’aventure dans la blancheur arctique très noire...

Un intrus s’est toutefois malgré lui glissé à bord. Ex-chirurgien chassé de l’armée britannique pour une faute commise en Inde, Patrick Summer n’a pas pu faire la fine bouche, et désormais compagnon de galère de cet effrayant et peu ragoûtant ramassis, se retrouve non seulement médecin de bord, mais aussi à prêter main forte aux marins. Il est l’esprit élevé embarqué sur le Volunteer, le seul à faire preuve de raison et à s’attacher au « bien » dans cette expédition loin de la civilisation et de la loi. Déjà durement confronté à la souffrance des hommes trimant sans répit dans des conditions dantesques et périlleuses, à l’immonde boucherie que représentent le massacre et le dépeçage des baleines, phoques et ours, à la promiscuité dans la puanteur de la graisse et du sang, il va en plus devoir faire face à la noirceur de l’âme humaine, au « mal » le plus absolu, en la personne de Henry Drax, un harponneur brutal et sanguinaire au dernier degré, dont il est le seul à avoir compris le rôle dans la mort mystérieuse d’un jeune mousse peu de temps après l’appareillage.

Entre les rigueurs d’un environnement polaire ne pardonnant aucune erreur et le combat entre eux de fauves humains sans foi ni loi, y aura-t-il seulement des survivants ? Les péripéties s’enchaînent sans trêve, dans une violence crue curieusement relatée dans une telle sécheresse factuelle, presque prosaïque dans son absence d’émotion et de parti pris, qu’on la traverse comme anesthésié par le choc et l’urgence, lorsque par réflexe l’on oublie de penser et de ressentir pour se concentrer sur l’action face au danger. Ici, pas de romantisme, ni  d’héroïsme : tandis que les personnages font face comme ils peuvent, la plupart en bêtes sauvages, au rouleau féroce de la vague sur le point de les écraser, seules quelques bribes de moralité survivent ça et là, éclats échappés au sauve-qui-peut général.

Et plus encore que l’immersive aventure relatée avec une exactitude des plus convaincantes, c’est bien cette mise à nu de la nature humaine profonde, la révélation de ce qui subsiste lorsque les rudesses de l’existence, l’âpreté d’un environnement et la bataille pour la survie font voler en éclats l’être social et son appareillage de lois et de conventions, qui font tout l’intérêt de ce roman, classé parmi les dix meilleurs livres de 2016 par le New York Times. (4/5)

 

 

Citations :

La lune jaune est coincée comme un aliment trop gros dans la gorge rétrécie du ciel.

L’argent fait ce qu’il veut. Il se fiche bien de ce qu’on préfère. Si tu lui barres la route d’un côté, il s’en ouvre une autre ailleurs. Je ne peux pas l’empêcher. Je ne peux pas dire à l’argent ce qu’il doit faire, ni où il doit aller.

L’iceberg se déplace à la vitesse d’un homme qui marche d’un bon pas et, sur son passage, il racle la banquise et recrache des radeaux de glace de la taille d’une maison, comme des copeaux tombant des mâchoires d’un tour.

Malgré sa blessure, l’ours continue sa progression régulière, comme s’il parcourait un itinéraire fixé de longue date. Le ciel est plein d’étroits rouleaux de nuages, gris et brun au sommet, dorés en dessous par le soleil qui perce. Ils avancent toujours, l’homme et l’animal unis par une procession primitive, à travers un paysage si écrasé et si inégal qu’il pourrait avoir été construit par un idiot à partir des fragments brisés d’un monde auparavant intact. 


 

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