Coup de coeur 💓
Titre : Le Château des Rentiers
Auteur : Agnès DESARTHE
Parution : 2023 (Olivier)
Pages : 224
Présentation de l'éditeur :
En levant les yeux vers le huitième étage d’une tour du
XIIIe arrondissement de Paris, Agnès rejoint en pensée Boris et Tsila,
ses grands-parents, et tous ceux qui vivaient autrefois dans le même
immeuble. Rue du Château des Rentiers, ces Juifs originaires d’Europe
centrale avaient inventé jadis une vie en communauté, un phalanstère.
Le temps a passé, mais qu’importe puisque grâce à l’imagination, on peut avoir à la fois 17, 22, 53 et 90 ans : le passé et le présent se superposent, les années se télescopent, et l’utopie vécue par Boris et Tsila devient à son tour le projet d’Agnès. Vieillir ? Oui, mais en compagnie de ceux qu’on aime.
Telle est la leçon de ce roman plein d’humour et de devinettes – à quoi ressemble le jardin d’Éden ? quelle est la recette exacte du gâteau aux noix ? qu’est-ce qu’une histoire racontée à des sourds par des muets ? –, qui nous entraîne dans un voyage vertigineux à travers les générations.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Agnès Desarthe est née en 1966. Traductrice de l’anglais, elle a reçu en 2007 pour Les Papiers de Puttermesser de Cynthia Ozick le prix Maurice-Edgar Coindreau et le prix Laure-Bataillon. Romancière, outre de nombreux ouvrages pour la jeunesse, elle a publié notamment : Un secret sans importance (prix du Livre Inter 1996), Dans la nuit brune (prix Renaudot des lycéens 2010) ou encore Une partie de chasse. Elle est également l’auteur d’un essai consacré à Virginia Woolf avec Geneviève Brisac, V.W. Le mélange des genres, d’un essai autobiographique, Comment j’ai appris à lire (Stock, 2013), qui a connu un grand succès critique et public, et d’une biographie consacrée à René Urtreger, Le Roi René, (Éditions Odile Jacob, 2016). En 2015, Ce cœur changeant (L’Olivier) a remporté le Prix Littéraire du Monde. Son dernier roman La Chance de leur vie (L'Olivier, 2018) a connu un beau succès de librairie.Avis :
« Vous ne serez peut-être pas heureux d’être vieux, mais vous pouvez vous efforcer d’être joyeux. » C’est avec une fantaisie irrésistible d’allant et de malice, qu’à cinquante-sept ans, Agnès Desarthe s’empare des thèmes de la vieillesse, du temps qui passe et de la mémoire, pour un récit empruntant de manière faussement improvisée les chemins semés d’images et d’anecdotes de sa réflexion.
Il est possible de vieillir heureux. Preuve en est l’exemple des grands-parents maternels de l’auteur, Boris et Tsila Jampolski, des Juifs originaires d’Europe centrale pour qui, après la guerre, les pogroms et les camps, vieux ne signifiait pas « bientôt mort », mais « encore là », et la mort non « pas ce vers quoi ils cheminaient mais ce à quoi ils avaient échappé. » Au milieu de la soixantaine, ils s’étaient installés dans un modeste immeuble parisien, rue du Château-des-Rentiers, où ils avaient battu le rappel de leurs amis, souvent eux aussi des survivants de la Shoah. Leur « phalanstère improvisé » abritait une vie joyeuse et solidaire que l’auteur évoque avec délice au travers de la dentelle de ses souvenirs, entre les comptines russes et l’inimitable gâteau aux noix de sa grand-mère, les cavalcades d’un étage à l’autre de la bande d’enfants et de cousins ravis de s’y retrouver, et surtout la chaude et bruyante affection de cette communauté soudée en famille élargie par un passé commun et par la ferme intention de « sur-vivre ».
Alors pourquoi la vieillesse nous effraie-t-elle tant ? Est-ce de n’avoir pas souffert, d’avoir « vécu dans un confort tel », que notre génération a cessé de voir dans le grand âge un privilège, pour ne plus retenir que la perte et la déchéance ? Armée de sa mémoire et de son imagination, en une narration originale simulant avec humour et sensibilité, pour mieux nous convaincre, le cheminement soi-disant à bâtons rompus de sa réflexion, Agnès Desarthe use avec virtuosité d’anecdotes personnelles, d’interviews de son entourage, de dialogues avec son alter ego, ou encore d’un projet vaguement utopique d’un lieu communautaire inspiré de l’immeuble où vivaient ses grands-parents, pour, de fil en aiguille, nous projeter avec elle dans « un moment-lieu où il [serait] possible de vivre [vieux] en espérant. Où les souvenirs cesse[rai]nt d’être un poids » pour devenir... « une rente ».
Formidable hommage de l’auteur à ses grands-parents et à leur force de vie grandie sur le silence de leur incommunicable expérience, réflexion originalement menée sur le temps qui, entremêlant passé et présent dans nos mémoires, fait perdurer en nous chacun de nos âges comme autant de poupées russes, ce livre apaisant et apaisé séduit autant par sa réflexion pleine de pudeur, de sensibilité et d’auto-dérision, que par le brio de sa construction, faussement à bâtons rompus. Coup de coeur. (5/5)
Il est possible de vieillir heureux. Preuve en est l’exemple des grands-parents maternels de l’auteur, Boris et Tsila Jampolski, des Juifs originaires d’Europe centrale pour qui, après la guerre, les pogroms et les camps, vieux ne signifiait pas « bientôt mort », mais « encore là », et la mort non « pas ce vers quoi ils cheminaient mais ce à quoi ils avaient échappé. » Au milieu de la soixantaine, ils s’étaient installés dans un modeste immeuble parisien, rue du Château-des-Rentiers, où ils avaient battu le rappel de leurs amis, souvent eux aussi des survivants de la Shoah. Leur « phalanstère improvisé » abritait une vie joyeuse et solidaire que l’auteur évoque avec délice au travers de la dentelle de ses souvenirs, entre les comptines russes et l’inimitable gâteau aux noix de sa grand-mère, les cavalcades d’un étage à l’autre de la bande d’enfants et de cousins ravis de s’y retrouver, et surtout la chaude et bruyante affection de cette communauté soudée en famille élargie par un passé commun et par la ferme intention de « sur-vivre ».
Alors pourquoi la vieillesse nous effraie-t-elle tant ? Est-ce de n’avoir pas souffert, d’avoir « vécu dans un confort tel », que notre génération a cessé de voir dans le grand âge un privilège, pour ne plus retenir que la perte et la déchéance ? Armée de sa mémoire et de son imagination, en une narration originale simulant avec humour et sensibilité, pour mieux nous convaincre, le cheminement soi-disant à bâtons rompus de sa réflexion, Agnès Desarthe use avec virtuosité d’anecdotes personnelles, d’interviews de son entourage, de dialogues avec son alter ego, ou encore d’un projet vaguement utopique d’un lieu communautaire inspiré de l’immeuble où vivaient ses grands-parents, pour, de fil en aiguille, nous projeter avec elle dans « un moment-lieu où il [serait] possible de vivre [vieux] en espérant. Où les souvenirs cesse[rai]nt d’être un poids » pour devenir... « une rente ».
Formidable hommage de l’auteur à ses grands-parents et à leur force de vie grandie sur le silence de leur incommunicable expérience, réflexion originalement menée sur le temps qui, entremêlant passé et présent dans nos mémoires, fait perdurer en nous chacun de nos âges comme autant de poupées russes, ce livre apaisant et apaisé séduit autant par sa réflexion pleine de pudeur, de sensibilité et d’auto-dérision, que par le brio de sa construction, faussement à bâtons rompus. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Quand on est enfant, on passe la moitié de son temps à répondre à la question : « Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ? » et l’autre moitié à s’entendre répondre : « Tu es trop petit. » Être grand, cela fait tellement envie. À force, on prend le pli, on conserve l’habitude de se projeter dans l’avenir pour trouver la force d’affronter le présent, de surmonter un obstacle. Dans une semaine, j’aurai terminé tous mes contrôles de maths et rendu ma dissert de philo. Dans six mois je passerai mon permis de conduire. Dans quatre mois mon traitement sera terminé. Dans deux ans mon bébé entrera à l’école. On ne cesse de s’envoyer mentalement dans le futur et puis, un jour, on se met à craindre, si on vise trop loin, de tomber sur la case « désolé, vous êtes mort ».
— Quand la dame d’Édimbourg a prétendu que je n’y connaissais rien, que je n’avais pas le droit d’écrire sur la vieillesse et sur la guerre, elle avait raison. Je n’y connaissais rien.
— Pas la peine de connaître pour écrire. Tu l’expliques si bien. On écrit pour connaître, pas l’inverse. Sans cela aucun livre ne vaut. Si la connaissance était la condition de l’écriture – pour peu que la connaissance existe –, seule l’autobiographie serait possible. Car on ne connaît jamais l’autre. Je n’aurais pas cru que la défaite de l’imagination serait sonnée par ton clairon.
— On ne sonne pas les défaites.
— Alors sonne la victoire de l’imagination. Ne te laisse pas faire par les méchantes femmes, par les affreux messieurs. C’est justement ça qui est beau avec les livres, la tentative désespérée, ce grand pas impossible vers l’autre, au-dessus du gouffre qui sépare les êtres. On ne le franchit jamais vraiment, mais c’est l’élan qui compte. Comme pour l’utopie. Sans cet élan, c’est la procession morose des monades renfermées sur elles-mêmes. Chacun pour soi et la littérature pour personne.
Depuis que j’ai commencé à concevoir ce projet en miroir de ce que j’avais connu chez mes grands-parents, je me dis que notre génération a vécu dans un confort tel que la vieillesse a cessé d’être un privilège – le privilège de ceux qui s’en sont sortis, qui ont échappé à la mort, dont la santé a permis qu’ils résistent à diverses épidémies. La vieillesse, pour nous, n’est que déchéance. Notre génération a tout à perdre en vieillissant.
Dans notre foyer, le passé pesait. Il était au fond de chaque regard, derrière chaque porte. Déracinés, nous nous accrochions à la mémoire des disparus, aux territoires perdus. Quand Annie m’invita dans sa maison de famille à Saint-Sulpice-Laurière, alors que j’avais 14 ans, je découvris une demeure où le passé ronronnait comme un gros chat que jamais l’on ne déplace pour ne pas troubler sa sieste, laissant le présent se déployer, léger, pas même alourdi par un soupçon d’avenir, et je ressentis un bonheur dont je garde très précisément la trace.
Les souvenirs sont à présent ma rente. Je vis autant du présent que je me nourris du passé. Les années s’amenuisent, qu’importe ? Plus le temps qui me reste à vivre diminue, plus ce que j’ai vécu enfle et prospère. Je renverse l’iceberg.
Bonsoir Cannetille 🌞 Merci pour ce partage, cela fait belle lurette, depuis L'éternel fiancé, que je me promets de lire Agnès Desarthe : j'y pense et puis j'oublie 😅 Votre chronique me rappelle qu'il faut que je glisse cette auteure d'exception dans ma liste de souhait ! Bon réveillon !
RépondreSupprimerBonsoir Aïka De Lire Délire. Un auteur dont il me faudra aussi lire d'autres livres. Belle année 2024 !
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