dimanche 3 décembre 2023

[Chacour, Eric] Ce que je sais de toi

 





Coup de coeur 💓

 

Titre : Ce que je sais de toi

Auteur : Eric CHACOUR

Parution :  2023 (Philippe Rey)

Pages : 304

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

Le Caire, années 1980. La vie bien rangée de Tarek est devenue un carcan. Jeune médecin ayant repris le cabinet médical de son père, il partage son existence entre un métier prenant et le quotidien familial où se côtoient une discrète femme aimante, une matriarche autoritaire follement éprise de la France, une sœur confidente et la domestique, gardienne des secrets familiaux. L’ouverture par Tarek d’un dispensaire dans le quartier défavorisé du Moqattam est une bouffée d’oxygène, une reconnexion nécessaire au sens de son travail. Jusqu’au jour où une surprenante amitié naît entre lui et un habitant du lieu, Ali, qu’il va prendre sous son aile. Comment celui qui n’a rien peut-il apporter autant à celui qui semble déjà tout avoir ? Un vent de liberté ne tarde pas à ébranler les certitudes de Tarek et bouleverse sa vie.

Premier roman servi par une écriture ciselée, empreint d’humour, de sensualité et de délicatesse, Ce que je sais de toi entraîne le lecteur dans la communauté levantine d’un Caire bouillonnant, depuis le règne de Nasser jusqu’aux années 2000. Au fil de dévoilements successifs distillés avec brio par une audacieuse narration, il décrit un clan déchiré, une société en pleine transformation, et le destin émouvant d’un homme en quête de sa vérité.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Né à Montréal de parents égyptiens, Éric Chacour a partagé sa vie entre la France et le Québec. Diplômé en économie appliquée et en relations internationales, il travaille aujourd’hui dans le secteur financier. Ce que je sais de toi est son premier roman.

 

 

Avis :

Dans l’Egypte des années 1980, une passion interdite vient bousculer une vie rangée. Mais on ne défie pas impunément le mektoub et, surtout, les conventions. Avec une retenue qui n’a d’égale que son intensité, ce premier roman à l’écriture magnifiquement ciselée explore les profondeurs d’un drame enseveli sous le secret.

Grandi dans la tradition bourgeoise d’une famille levantine chrétienne installée au Caire, Tarek a suivi sans broncher un destin tout tracé en devenant médecin comme son père, puis, au décès de ce dernier, en reprenant son cabinet. Bien rodée entre sa patientèle et un foyer tout entier à sa dévotion entre mère, sœur, épouse et servante, l’existence de Tarek déraille pourtant, lorsque ayant ouvert un dispensaire dans le quartier du Moqattam sordidement construit sur une décharge, il y choisit comme assistant Ali, un jeune prostitué dont il a entrepris de soigner la mère gravement malade. En cette période où le retour d’Egyptiens partis travailler en Arabie Saoudite fait naître en Egypte un nouveau rigorisme religieux, la présence d’Ali aux côtés de Tarek dérange. Ce sont d’abord des malveillances, puis le drame, et enfin l’exil solitaire de Tarek à Montréal.

Que s’est-il passé exactement ? S’adressant à lui à la deuxième personne du singulier, un narrateur mystérieux dont on ne découvrira l’identité qu’à mi-parcours - cette révélation creusant plus encore les béances tragiques de cette histoire - assemble avec pudeur, respect et bienveillance, les douloureux fragments du parcours de Tarek entre 1961 et 2001, entre une Egypte colorée et olfactive en pleine transformation que l’auteur, né à Montréal de parents égyptiens, recompose à partir d’évocations familiales, et un Montréal où, à l’époque de la nationalisation de Nasser, ont émigré nombre des Chawams, ces chrétiens issus de divers rites orientaux, originaires du Liban, de Syrie, de Jordanie ou de Palestine, et qui, bien qu’en Egypte depuis plusieurs générations, continuaient à y manier le français mieux que l’arabe. Dans le Caire du début des années 1980, une liaison entre deux hommes est socialement inacceptable. Paradoxalement, ce sont les femmes, pourtant sans voix au chapitre dans la société, qui vont ici jouer un rôle prépondérant et veiller, à leur manière, à ce que l’ordre social demeure immuable.

D’une extrême délicatesse, le récit plein d’empathie évoque sans jamais juger, laissant à comprendre de l’intérieur les perceptions et réactions des différents protagonistes. De tout cela émerge peu à peu une tragédie en cascade, aux répercussions infinies et irréparables, sauf à compter, au moins partiellement, sur l’affection, l’intelligence et l’opiniâtreté a posteriori du narrateur. Un livre bouleversant, magnifiquement écrit, tout en finesse et sensibilité, qui, de la triste banalité humaine de cette histoire, parvient à dégager, tel un diamant de sa gangue, la quintessence universelle de l’amour et de la filiation. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

On vient tous sur terre pour mourir un jour et peut-être, avant, faire quelques jolies choses.
 
 
Les hommes sont des nomades à l’arrêt. Ils peuvent parfaitement traverser leur existence tout en se cachant cette réalité. Ils se persuadent alors que le temps ne compte pas, que l’espace se fractionne en poussières et que ces poussières s’acquièrent par des titres de propriété. Orphelins de l’immensité, ils meurent sans avoir vécu. Mais pour peu que cette vérité leur apparaisse soudain, qu’elle choisisse de jeter sa lumière crue sur leur quotidien, tout compromis à leur liberté devient alors insupportable.
 

D’un coup, tout prit sens dans mon esprit : la signification de l’insulte, le lien t’unissant à Ali, les mystères entourant ton départ… Cela devenait une violente évidence. (…)
e me mis à détester tous mes semblables. Ceux dont le rang social du père tenait lieu de présentation, leurs airs d’être accomplis avant même d’avoir vécu. Ceux qui avaient un modèle qu’il suffisait d’imiter pour un jour devenir un soi convenable. Ceux qui avaient grandi à proximité de la source et allaient s’y abreuver sans jamais avoir connu la soif.
Je détestais ma famille de m’avoir tu cette vérité que tout le monde savait. Comme s’il suffisait de dissimuler les miroirs pour préserver un être difforme de sa propre laideur.
 

Les souvenirs n’ont de valeur que pour ceux qui les peuplent. Une fois ces derniers disparus, ils deviennent une devise qui n’a plus cours, une monnaie de singe dont il faut se méfier.
 

Ce n’est pas tant que l’on s’habitue aux deuils : on finit simplement par se faire à l’idée que nous sommes mortels. On y trouve même parfois une certaine forme d’apaisement. Il nous arrive de pleurer encore. On pleure pour se sentir vivant, on pleure comme un rappel de son propre sursis, on pleure de mesurer l’extrême précarité de celui-ci. On dit que l’on pleure ceux qui nous ont quittés mais, à la vérité, on ne pleure jamais que sa propre impuissance.
 

Un ersatz de sapin ouvre péniblement ses bras synthétiques alourdis de boules achetées au Dollarama. Soignants et malades le contournent comme un obstacle auquel on ne prête plus attention. La nouvelle année est pourtant vieille de quelques semaines, mais le temps ne se mesure pas de la même manière dans un hôpital. Ceux qui savent qu’ils en sortiront cherchent à le tuer, les autres tentent d’en gagner un peu. Ils se l’injectent par intraveineuse, le réajustent d’un bilan sanguin à l’autre, se font une raison ou finissent par la perdre.


 

2 commentaires:

  1. Bonjour, j'ai aussi beaucoup aimé ce roman que j'avais repéré sur un blog. J'ai aimé la narration et j'ai trouvé l'histoire originale avec des personnages bien campés. Un roman que je recommande. Bonne journée.

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    1. Bonjour Dasola. Un livre qui compte un grand nombre de recensions favorables.

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