mardi 19 décembre 2023

[Frison-Roche, Roger] La peau de bison

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : La peau de bison
            (Les terres de l'infini 1/2)

Auteur : Roger FRISON-ROCHE

Parution : 1970 (Arthaud - 2012)

Pages : 240

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

C’est à Snowdrift, village perdu des immensités glacées du Grand Nord canadien, que Max, héros de la Royal Air Force, et Rosa, jeune femme d’origine indienne, abritent leurs amours. Au cœur de cette nature âpre et sauvage, Max reprend peu à peu goût à la vie et oublie les horreurs de la guerre. Mais le destin frappe à nouveau. La mort tragique de Rosa pousse Max à l’exil. Il retourne en France, où son neveu Bruno vient de fuguer. Dès lors, Max consacrera toute son énergie à sauver le jeune homme de la drogue en tentant de lui transmettre sa passion des grands espaces.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Roger Frison-Roche (1906-1999) est né à Paris de parents savoyards, s'installe à Chamonix à 17 ans et passe ses diplômes de guide et de moniteur de ski. Il découvre le désert en 1936, et part alors pour presque vingt ans s'installer en Algérie, où il devient journaliste. Il est l'auteur de nombreux livres, romans et documentaires sur la montagne, le Sahara, la Laponie et le Grand Nord canadien.

 

Avis :  

Après la montagne et le Sahara qui lui ont valu ses livres les plus célèbres, Roger Frison-Roche, guide chamoniard devenu explorateur en même temps que journaliste et écrivain, s’est intéressé sur le tard, dans les années 1960, au Grand Nord, en Laponie d’abord, au Canada ensuite. Témoin du chant du cygne du mode de vie nomade des Samis en Scandinavie auquel il consacre un premier diptyque, il poursuit avec un second, se faisant cette fois le chantre des grands espaces du Grand Nord américain, terre de solitude entre nuit polaire, glaces et blizzards, mais aussi d’aventure et de liberté, loin de la folie ordinaire des hommes.

Meurtri par son expérience de pilote de la R.A.F. pendant la guerre, le quarantenaire Max Gilles se sent plus que jamais à l’étroit au sein de sa très matérialiste et bourgeoise famille établie dans l’industrie papetière à Grenoble. Il décide d’utiliser ses talents d’aviateur au manche d’un petit appareil privé assurant le ravitaillement des rares habitants des territoires du Nord-Ouest canadien. Là, à Snowdritt, un village perdu près du Grand Lac des Esclaves, à la lisière entre forêt boréale et toundra, il rencontre l’amour en la personne de Rosa, une jeune indienne qu’il épouse et qui lui fait découvrir les bonheurs simples et rustiques d’une vie en pleine nature, rude mais libre, aux enchantements pimentés d’aventure. De magiques survols, loin de toute liaison radio, des troupeaux de bœufs musqués, de caribous et de bisons vivant en paix dans ce sanctuaire encore sauvage, en bivouacs sous les aurores boréales ponctuant de longues échappées dans la forêt où seuls les Indiens ont la permission de trapper, d’expéditions aériennes parfois hasardeuses entre tempêtes et blizzards en périlleuses sorties de chasse où il faut disputer le gibier aux loups, enfin des viriles amitiés taiseuses entre voisins à l’amour sous les fourrures et les étoiles, Max s’est enfin réconcilié avec la vie lorsque, implacable, le drame surgit. Partie chasser en canoë avec son frère malgré un avis de mauvais temps, Rosa ne rentre pas…

Hymne à la nature et à la liberté, le récit mêle ses superbes évocations d’un cadre d’une âpre majesté à celles, de plus en plus tendues, d’aventures qui peuvent à tout instant virer au drame. L’ancien pilote de chasse vit d’adrénaline et exerce un métier non dénué de risques. Preuve en est ce collègue et ami, mort de faim et de froid après un atterrissage forcé dans les glaces. Alors, très vite, à l’exaltation des grands espaces s’associe chez le lecteur la conscience du danger, un péril qui va d’abord guetter Max lorsque l’hiver arctique s’abat soudain et que la blancheur aveugle et tourbillonnante du blizzard avale son avion, pour finalement mieux s’en prendre à Rosa, partie relever sa ligne de trappe dans la tourmente précédant l’embâcle. Au rythme haletant de cette portion du récit succèdera une partie de transition, que l’on pourra juger trop rapide, voire un peu bâclée. C’est que le retour de Max vers la civilisation ordinaire n’est qu’un préambule nécessaire, un passage préparant la seconde partie du diptyque, La vallée sans hommes, où, une nouvelle fois, l’aventure et la liberté se paieront au prix fort.

Peut-être pas tout à fait aussi marquant que les livres les plus connus de l’auteur, pour ne citer que Premier de cordée, La grande crevasse ou Les montagnards de la nuit, ce roman dans la plus pure tradition du récit d’aventure et de nature writing se dévore presque d’une traite, pour le plaisir de son adrénaline conjugué à celui des sublimes évocations de son cadre d’exception. L’écriture et les récits de Roger Frison-Roche n’ont pas pris une ride. (4/5)

 

Citations : 

La bise de l'est venue du grand lac pénétrait toujours plus âpre et glaciale sous les arbres de la forêt. Rosa se dressa, jeta de nouvelles branches sur le foyer et vint s'accroupir devant les braises qui craquaient doucement, ouvrant des gueules pavées de rubis, laissant filtrer à travers leurs crevasses de minces filets de fumée bleuâtre. Maintenant le feu reprenait avec une ardeur nouvelle et Rosa contemplait, avec une joie toujours renouvelée, le mystère qui d'une branche sèche fait un éblouissement de formes et de beauté ; une flamme torturée, frémissante, qui chuinte et pleure parfois comme un nouveau-né, puis lance des étincelles et se consume en une fumée bleue irréelle… 
 

Tu voulais la liberté, je te l'apporte. Là où nous allons, il n'y a pas d'autre servitude que la loi de la forêt, la loi de la nature qui modèle les hommes ; on la subit, mais on la subit sans contrainte parce qu'elle est la vérité.
 

Ils volaient depuis deux heures et avaient dépassé Hay River, lorsque le ciel subitement sembla se désintégrer. Il se déchirait en traînées lumineuses qui s'effilochaient, puis se reformaient en rideaux scintillants de pierreries – mauves, dorées, violettes –, en somptueuses robes de féerie, en traînes impériales de velours amarante, et ces draperies, qui s'accrochaient très haut, dans le cosmos, aux myriades d'étoiles et de planètes, semblaient parfois issues des nébuleuses puis tout à coup flotter sur la terre comme si au contraire elles émanaient des sources mêmes du magma. Désormais on pouvait distinguer tous les détails du relief, la plaine sans fin des eaux glacées du grand lac, les archipels couverts de forêts, les roches nues moutonnées qui entourent Yellowknife ; c'était un paysage grandiose, exaltant, que contemplait Bruno, haletant d'émotion. Une nuit de lumière.


 

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