mercredi 28 juin 2023

[Rivera Letelier, Hernán] L'autodidacte, le boxeur et la reine du printemps

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : L'autodidacte, le boxeur et la reine
            du printemps (El autodidacta)

Auteur : Hernán RIVERA LETELIER

Traduction : François GAUDRY

Parution : en espagnol (Chili) en 2019
                  en français en
2023 (Métailié)

Pages : 112

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

Eleazar Luna est ouvrier dans l’une des dernières mines de salpêtre du désert d’Atacama. Il suit des cours du soir et découvre la poésie avec ferveur, et avec elle l’écriture, puis l’amour. Mais la jeune femme qui le fait chavirer s’intéresse à quelqu’un d’autre, un rival exceptionnel : un jeune boxeur qui fait tourner la tête de toutes les femmes de la ville.

Le cadre martien du désert d’Atacama où les fleurs n’éclosent qu’une fois par an et ne durent que 24 heures, la dureté du travail dans les mines de salpêtre, captivent le lecteur, les personnages extraordinaires et dérisoires sont très impressionnants et attachants. Le charme du conteur est incontestable, il nous prend dans ses filets immédiatement.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Hernán Rivera Letelier est né en 1950 à Talca, il a toujours vécu dans le désert d'Atacama. Longtemps mineur dans des compagnies salpêtrières, à la fermeture de la mine "Pedro de ValdiviaI », il émigre à Antofagasta, il a 20 ans et suit des cours du soir pour apprendre à lire et à écrire, puis fait des études secondaires. Son premier roman, La Reine Isabel chantait des chansons d'amour (1994) a reçu le Prix de Littérature du Conseil National du Livre, récompense qu'il a obtenu aussi en 1996 pour Le Soulier rouge de Rosita Quintana, confirmant ainsi  son talent et sa voix exceptionnelle au sein de la littérature chilienne des années 1990.

 

 

Avis :

Mineur comme son père avant lui dans les mines de salpêtre du Chili, Hernan Rivera Letelier a appris à lire et à écrire en suivant des cours du soir. En 1988, alors presque quadragénaire, il s’est mis à écrire des poèmes, puis des romans, qui, bientôt remarqués, en ont fait une figure de la littérature chilienne. Ses livres font apparaître son double, Eleazar Luna, que l’on retrouve ici, adolescent plein de rêves et d’espoirs d’évasion, sur l’austère fond d’une éphémère bourgade minière, perdue en plein désert d’Atacama.

En ces lieux arides et reculés, parmi les plus hostiles de la planète, la vie ne s’accroche en îlots provisoires que le temps de l’extraction du nitrate. La pampa chilienne en recèle les plus grands gisements existants. Quand un site est épuisé, la Compagnie démonte les baraquements et la petite agglomération minière part s’installer plus loin, entraînant sa population ouvrière dans une nouvelle installation temporaire. Les conditions de travail sont rudes, tout particulièrement pour les poseurs de rail, réputés de vraies bêtes indomptables, dures à la tâche, immunisées contre la peur par leur résistance à l’alcool. C’est parmi ces brutes épaisses qu’Eleazar, le narrateur, doit faire ses preuves, puis, quand tous sont anéantis de fatigue, trouver encore l’énergie nécessaire à ses cours du soir. Le jeune homme inculte découvre dans les livres le plaisir de la connaissance, puis, bientôt, le pouvoir créatif des mots : une révélation pour cet humble qui n’a jusqu’ici connu qu’un monde brutal et dépourvu de beauté.

Mais Eleazar n’est pas le seul à aspirer à une vie meilleure. Son ami Rosario Fierro, désinvolte bourreau des coeurs au physique avantageux, compte sur son entraînement acharné de boxeur novice pour se faire un nom. « L’un représentant la force et l’autre la jugeote », tous deux se retrouvent rivaux dans la conquête de Leda, la fille de la patronne de leur pension, elle-même tout à ses rêves d’émancipation, fondés sur sa naïve confiance en sa beauté. A l’occasion de la Fête du Printemps et de l’organisation par la Compagnie de trois concours - poésie, boxe et beauté -, les trois jeunes gens, pour leur heur ou malheur, vont confronter leurs rêves à la réalité. Les espoirs d’une vie mènent parfois au meilleur comme au pire…

De son expérience, l’auteur a tiré un roman d’une frappante humilité, qui interroge sur les choix et les chances des uns et des autres dans la course de l’existence. Partis du même point avec chacun ses rêves et ses atouts, les trois personnages de cette sorte de fable, tantôt drôle, tantôt dramatique, ne parviendront pas tous à la destination espérée. Lui qui, au soir de sa vie, mesure le chemin parcouru, s’en souvient avec une émouvante modestie. (4/5)

 

 

Citations :

Être dans cette bibliothèque était pour moi comme m’installer dans la pièce préférée de la maison que je n’avais jamais eue. Je n’avais jusque-là jamais vécu dans ce que l’on pourrait appeler une maison à soi ; celles que nous occupions appartenaient à la Compagnie et, lorsque l’ouvrier était licencié ou lorsque la salpêtrière décidait l’arrêt des machines, la famille devait remettre les clés, emballer ses maigres affaires et partir. Il fallait s’en aller sans regarder en arrière. Dans le cas de cessation des activités, les campements étaient démontés, mis en caisse, et les matériaux restants vendus au prix de la ferraille. Les occupants ne revoyaient jamais leurs logements, leurs rues, le village où ils avaient grandi, s’étaient mariés, avaient eu des enfants et enterré leurs morts. Aussi fallait-il partir sans tourner la tête : nous risquions de connaître le sort de la femme de Loth.
 

On racontait dans les troquets que, autrefois, une autre de leurs facéties récurrentes consistait à se faire écraser les doigts par les roues du train pour toucher la prime d’assurance-accident et que leur menton n’était pas agité du moindre tremblement lorsque, à l’approche du train, ils posaient leurs doigts sur le rail. Chaque doigt avait son prix. Et le pire de tout était qu’ils faisaient cela simplement parce qu’ils n’avaient plus d’argent pour continuer à boire. Dans la tranchée, tous connaissaient l’histoire de don Arnoldo Tolosa, poseur de rails maintenant retraité, qui avait mis trois doigts sur la voie ferrée, l’annulaire, le majeur et l’index de sa main gauche. Mais c’était pour une raison plus louable, si l’on peut dire : il avait trois fils étudiants et besoin d’argent pour leur payer l’université. La chose révoltante n’était pas tant que ce brave don Arno se fût retrouvé mutilé, mais que ses trois salopards de fils, maintenant qu’ils étaient devenus ingénieurs diplômés, avec carnets de chèques et voitures dernier modèle, avaient honte du pauvre vieux. Et pour couronner le tout, ses camarades d’équipe, qui avaient le génie cruel des surnoms, ne s’étaient pas fait prier pour lui en coller un, considéré comme un des meilleurs de la mine : Conte Court, référence à ce jeu infantile où, en se prenant un par un les doigts de la main, on récite rythmiquement : Le petit doigt acheta un œuf, l’autre le mit dans la poêle, le suivant ajouta le sel, le quatrième remua et le pouce le mangea. Dans sa main mutilée le conte se réduisait à : Le petit doigt acheta un œuf et le pouce le mangea.
 

Le boxeur et moi étions aussi différents qu’une pierre du désert et une pierre de rivière, mais nous sommes devenus bons amis. Selon les copains de l’équipe, l’un représentait la force et l’autre la jugeote. Ce qu’ils justifiaient par la taille de nos mains : celles de Rosario Fierro grandes et larges comme des pelles ; les miennes longues et fines comme celles d’un pickpocket. Cependant nous sentions tous les deux que force et jugeote étaient la combinaison parfaite pour une amitié idéale.


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire