jeudi 7 juillet 2022

[Bâ, Mariama] Une si longue lettre

 




J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Une si longue lettre

Auteur : Mariama BA

Parution : 1979 et 2001
                  (Nouvelles éditions africaines,
                   Le Serpent à plumes)               

Pages : 176

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

Une si longue lettre est une oeuvre majeure, pour ce qu'elle dit de la condition des femmes. Au coeur de ce roman, la lettre que l'une d'elle, Ramatoulaye, adresse à sa meilleure amie, pendant la réclusion traditionnelle qui suit son veuvage.
Elle y évoque leurs souvenirs heureux d'étudiantes impatientes de changer le monde, et cet espoir suscité par les Indépendances. Mais elle rappelle aussi les mariages forcés, l'absence de droits des femmes. Et tandis que sa belle-famille vient prestement reprendre les affaires du défunt, Ramatoulaye évoque alors avec douleur le jour où son mari prit une seconde épouse, plus jeune, ruinant vingt-cinq années de vie commune et d'amour.
La Sénégalaise Mariama Bâ est la première romancière africaine à décrire avec une telle lumière la place faite aux femmes dans sa société.

 

 

Un mot sur l'auteur : 

Parmi les pionnières de la littérature sénégalaise, Mariama Bâ (1929-1981) est connue pour sa critique, au travers de ses livres, des inégalités entre hommes et femmes dans la tradition africaine. Entrée dans l'enseignement en 1947, elle eut 9 enfants de trois maris, dont le député Obéye Diop dont il divorça. Elle s'engagea dans diverses associations féminines, prônant l'éducation et les droits des femmes. Son premier roman Une si longue lettre, couronné du prix Noma, obtint un grand succès lors de sa parution en 1979. Un cancer l'emporta juste avant la parution de son second ouvrage Un chant écarlate, sur l'échec d'un mariage mixte entre un Sénégalais et une Française.

 

 

Avis :

Confinée pendant la traditionnelle quarantaine imposée par son veuvage, Ramatoulaye adresse une longue lettre à son amie Aïssatou. Elle y fait le bilan de son existence, se remémorant les rêves de sa jeunesse, le bonheur de ses années conjugales, puis la douleur de la solitude quand son mari la délaissa pour prendre une seconde épouse.

Si les confidences que, sur un ton juste et posé, cette femme aligne avec sincérité dans une prise de recul sur sa vie passée, sont devenues un immense classique de la littérature africaine et ont classé Mariama Bâ parmi les écrivains les plus célèbres de son pays, c’est parce qu’elles constituent un manifeste, pionnier lors de sa parution à la fin des années soixante-dix, pour la condition féminine au Sénégal. Au travers de deux amies confrontées malgré leur éducation, leur aisance et leur accès à une activité professionnelle, aux limitations imposées aux femmes dans leur rapport aux hommes, c’est toute la société sénégalaise, avec son système de castes et surtout la pratique de la polygamie, que questionne Mariama Bâ.

Comme son amie avant elle, Ramatoulaye découvre après tout le monde les tortueuses intrigues familiales et le remariage de son mari au bout de vingt-cinq ans de vie commune. Contrairement à Aïssatou qui opte pour le divorce et s’exile, elle prend le parti de plier devant le fait accompli, mais en s’effaçant dans une solitude consacrée à son métier d’enseignante et à ses douze enfants : un choix qui, au-delà d’être humiliant, l'isole péniblement. Comble de ce qui n’est pourtant pas de l’ironie, au décès du mari, des années plus tard, il faudra encore que Ramatoulaye bouscule les traditions pour envisager de recouvrer un droit sur sa propre vie. Car, une fois passé l’obligatoire confinement du veuvage, c’est son beau-frère qui est désormais en droit d’en faire une seconde épouse.

Roman militant, Une si longue lettre s’inscrit avec force dans cet élan, qui, dans les années soixante et soixante-dix, fit s’élever la première  génération de Sénégalaises instruites contre la polygamie. Aujourd’hui, plus d’un tiers des ménages sénégalais se déclarent encore polygames : un chiffre en lente érosion, qui masque toutefois une recrudescence… dans les milieux aisés et intellectuels justement ! Les filles instruites suscitant une certaine méfiance, elles restent plus longtemps célibataires et finissent par accepter d’épouser un homme déjà marié pour entrer dans la norme sociale du mariage et de la famille.

Cette œuvre majeure dans l’histoire du féminisme sénégalais, dont Mariama Bâ est devenue un emblème, se découvre donc avec d’autant plus d’intérêt, que, plus de quarante ans après sa première édition, elle est toujours d’actualité. (4/5)

 

 

Citations :

Ton père, Aïssatou, connaissait l’ensemble des rites qui protègent le travail de l’or, métal des « Djin ». Chaque métier a son code que seuls des initiés possèdent et que l’on se confie de père en fils. Tes grands-frères, dès leur sortie de la case des circoncis, ont pénétré cet univers particulier qui fournit le mil nourricier de la concession.  
Mais tes jeunes frères ? Leurs pas ont été dirigés vers l’école des Blancs.  
L’ascension est laborieuse, sur le rude versant du savoir, à l’école des Blancs.  
Le jardin d’enfants reste un luxe que seuls les nantis offrent à leurs petits. Pourtant, il est nécessaire lui qui aiguise et canalise l’attention et les sens du bambin.  
L’école primaire, si elle prolifère, son accès n’en demeure pas moins difficile. Elle laisse à la rue un nombre impressionnant d’enfants, faute de places.  
Entrer au lycée ne sauve pas l’élève aux prises à cet âge avec l’affermissement de sa personnalité, l’éclatement de sa puberté et la découverte des traquenards qui ont noms : drogue, vagabondage, sensualité.  
L’université aussi a ses rejets exorbitants et désespérés.  
Que feront ceux qui ne réussissent pas ? L’apprentissage du métier traditionnel apparaît dégradant à celui qui a un mince savoir livresque. On rêve d’être commis. On honnit la truelle.  
La cohorte des sans métiers grossit les rangs des délinquants.  
Fallait-il nous réjouir de la désertion des forges, ateliers, cordonneries ? Fallait-il nous en réjouir sans ombrage ? Ne commencions-nous pas à assister à la disparition d’une élite de travailleurs manuels traditionnels ?  
Éternelles interrogations de nos éternels débats. Nous étions tous d’accord qu’il fallait bien des craquements pour asseoir la modernité dans les traditions. Écartelés entre le passé et le présent, nous déplorions les « suintements » qui ne manqueraient pas… Nous dénombrions les pertes possibles. Mais nous sentions que plus rien ne serait comme avant. Nous étions pleins de nostalgie, mais résolument progressistes.
 
 
Allez leur expliquer qu’une femme qui travaille n’en est pas moins responsable de son foyer. Allez leur expliquer que rien ne va si vous ne descendez pas dans l’arène, que vous avez tout à vérifier, souvent tout à reprendre : ménage, cuisine, repassage. Vous avez les enfants à débarbouiller, le mari à soigner. La femme qui travaille a des charges doubles aussi écrasantes les unes que les autres, qu’elle essaie de concilier. Comment les concilier ? Là, réside tout un savoir-faire qui différencie les foyers.  
Certaines de mes belles-sœurs n’enviaient guère ma façon de vivre. Elles me voyaient me démener à la maison, après le dur travail de l’école. Elles appréciaient leur confort, leur tranquillité d’esprit, leurs moments de loisirs et se laissaient entretenir par leurs maris que les charges écrasaient.  
D’autres, limitées dans leurs réflexions, enviaient mon confort et mon pouvoir d’achat. Elles s’extasiaient devant les nombreux « trucs » de ma maison : fourneau à gaz, moulin à légumes, pince à sucre. Elles oubliaient la source de cette aisance : debout la première, couchée la dernière, toujours en train de travailler…
 
 
Chaque métier, intellectuel ou manuel, mérite considération, qu’il requière un pénible effort physique ou de la dextérité, des connaissances étendues ou une patience de fourmi. Le nôtre, comme celui du médecin, n’admet pas l’erreur. On ne badine pas avec la vie, et la vie, c’est à la fois le corps et l’esprit. Déformer une âme est aussi sacrilège qu’un assassinat. Les enseignants – ceux du cours maternel autant que ceux des universités – forment une armée noble aux exploits quotidiens, jamais chantés, jamais décorés. Armée toujours en marche, toujours vigilante. Armée sans tambour, sans uniforme rutilant. Cette armée-là, déjouant pièges et embûches, plante partout le drapeau du savoir et de la vertu.


Alors que la femme puise, dans le cours des ans, la force de s’attacher, malgré le vieillissement de son compagnon, l’homme, lui, rétrécit de plus en plus son champ de tendresse. Son œil égoïste regarde par-dessus l’épaule de sa conjointe. Il compare ce qu’il eut à ce qu’il n’a plus, ce qu’il a à ce qu’il pourrait avoir.


L’amitié a des grandeurs inconnues de l’amour. Elle se fortifie dans les difficultés, alors que les contraintes massacrent l’amour. Elle résiste au temps qui lasse et désunit les couples. Elle a des élévations inconnues de l’amour.


« Dans maints domaines et sans tiraillement, nous bénéficions de l’acquis non négligeable venu d’ailleurs, de concessions arrachées aux leçons de l’Histoire. Nous avons droit, autant que vous, à l’instruction qui peut être poussée jusqu’à la limite de nos possibilités intellectuelles. Nous avons droit au travail impartialement attribué et justement rémunéré. Le droit de vote est une arme sérieuse. Et voilà que l’on a promulgué le Code de la famille, qui restitue, à la plus humble des femmes, sa dignité combien de fois bafouée.
« Mais, Daouda, les restrictions demeurent ; mais Daouda, les vieilles croyances renaissent ; mais Daouda, l’égoïsme émerge, le scepticisme pointe quand il s’agit du domaine politique. Chasse gardée, avec rogne et grogne.
« Presque vingt ans d’indépendance ! À quand la première femme ministre associée aux décisions qui orientent le devenir de notre pays ? Et cependant le militantisme et la capacité des femmes, leur engagement désintéressé ne sont plus à démontrer. La femme a hissé plus d’un homme au pouvoir. »
Daouda m’écoutait. Mais j’avais l’impression que bien plus que mes idées, ma voix le captivait.
Et je poursuivis : « Quand la société éduquée arrivera-t-elle à se déterminer non en fonction du sexe, mais des critères de valeur ? »
 

Naître des mêmes parents ne crée pas des ressemblances, forcément chez les enfants. Leurs caractères et leurs traits physiques peuvent différer. Ils diffèrent souvent d’ailleurs.  « Naître des mêmes parents, c’est comme passer la nuit dans une même chambre. »


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire