lundi 14 septembre 2020

[Kawakami, Mieko] J'adore





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : J'adore (あこがれ Akogare)

Auteur : Mieko KAWAKAMI

Traducteur : Patrick HONNORE

Parution : en japonais en 2015,
                   en français en 2020 (Actes Sud)

Pages : 224

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Deux enfants d’une douzaine d’années deviennent amis, non sans pudeur et timidité gardées.
Solitaires l’un et l’autre, ils ont pour point commun d’avoir perdu l’un de leurs parents. Mais ils n’en parlent pas. Pourtant, au tournant de l’enfance, Hegatea et Mugi ressentent le besoin de nommer leurs émotions, de se lancer dans la transparence du langage pour circonscrire les vertiges de l’imaginaire. Car jusqu’alors, Mugi dessinait les événements de sa vie, tentait d’atteindre par la couleur et ses nuances les revers du vocabulaire ; et son amie Hegatea, passionnée de cinéma, rejouait devant lui avec une perfection glaçante certaines scènes dans lesquelles elle trouvait peut-être l’exact reflet de ses joies et de ses peines. Ainsi, de jour en jour, tous deux commencent à placer des mots sur les graves non-dits et les mensonges ordinaires des adultes.
Dans ce quatrième livre traduit en français, Mieko Kawakami déploie encore davantage son propos sur le langage. Telle une passerelle vertigineuse entre le monde adulte et celui des adolescents, tel un voyage philosophique dans la forêt des mots, l’histoire de cette amitié est un bonheur de sensations qui soudain s’éclairent comme s’ouvre une porte sur la lumière.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Mieko Kawakami, née à Osaka en 1976, est diplômée de philosophie. Musicienne, actrice, poète et romancière, elle est très présente sur la scène artistique et intellectuelle japonaise.

 

 

Avis :

Hegatea et Muji sont en dernière année d’école primaire au Japon et commencent à peine à sortir de l’enfance. Alors que, dans un océan de non-dits, l’une vit avec son père et l’autre avec ses mère et grand-mère, les deux enfants liés par une amitié grandissante vont tenter de trouver eux-mêmes la réponse à leurs questions, notamment sur leurs familles monoparentales.

Mieko Kawakami réussit merveilleusement à se glisser dans la tête de ces deux pré-adolescents, restituant leurs doutes et leurs émotions avec une justesse d’autant plus frappante que l’écriture reproduit à s’y méprendre leurs façons de penser et de s’exprimer. Unis par une touchante amitié, un solide bon sens, et la sincérité simple et directe de jeunes êtres qui n’ont pas encore rejoint le monde adulte des faux-semblants, Hegatea et Muji partagent leurs difficultés à quitter le cocon de l’enfance pour entrer peu à peu dans une réalité qu’ils commencent juste à discerner et à s’approprier.

Pétrie de tendresse et de délicatesse, cette lecture s’avère un attachant moment de fraîcheur, où la candeur le dispute à l’étonnant sérieux de ces deux enfants appliqués à trouver leur chemin parmi les ombres et les mystères des adultes qui les entourent. (4/5)

 

 

Citations :

La seule façon d’être sûr de pouvoir voir quelqu’un demain aussi, c’est de le voir tout le temps, en fait, c’est évident. Si on se voit tous les jours, avec tous ceux de la classe, c’est parce qu’on va tous les jours à l’école. Quand on aura fini l’école et qu’on ne sera plus obligé de venir, on ne se reverra plus, c’est évident. Pour se revoir, il faudrait se le promettre, et pour ça il faudrait se promettre de se promettre de se revoir, bref, on ne se reverra plus, c’est vite vu. C’est pour ça que je te dis, toi, dans ton cas, ça risque d’être vraiment compliqué. Pour la revoir, il faut absolument que ce soit toi qui ailles la voir. Par contre… parce que, si tu ne vas plus la voir, il n’y aura plus rien du tout.

Retrouverais-je l’occasion de lui demander pardon, ou au moins de lui expliquer comme il faut ? Sans doute pas. Tout allait disparaître à toute vitesse comme si cela n’avait jamais existé. Tout le monde oublie ces choses-là au fur et à mesure, alors qu’en fait elles restent quelque part dans le cœur et sans qu’on s’en rende compte elles durcissent et grandissent et un jour elles déclenchent quelque chose de terrible.

J’avais encore le cafard en rentrant à la maison. Je n’avais rien envie de faire, alors, tu parles, mes devoirs… Dans ces cas-là il m’arrive d’essayer d’écrire ce que j’ai sur le cœur. Parce qu’il me semble qu’une fois qu’elles deviennent des mots, les choses que je ne comprends pas s’éliminent. 


Je ne me souviens plus quand c’était mais un jour papa m’a dit que sur la tête on avait environ cent mille cheveux. Et quand j’ai passé mes doigts dans mes cheveux en essayant de me représenter ce nombre, ça m’a donné l’impression que c’est beaucoup. Mais si on imagine une personne à la place de chaque cheveu, il faut dix têtes pour faire un million, cent têtes ça fait dix millions, et encore dix fois plus pour cent millions. Voilà, cent millions de personnes, c’est ça. C’est ça ou c’est pas ça, en fait, je n’arrivais même plus à voir combien ça faisait. D’un autre côté, j’ai eu l’impression que ça ne faisait pas grand-chose. Parce que, ça, c’est si on prend une personne égale un cheveu. Et ça m’a donné l’impression que ma tête, avec tous mes cheveux, c’est déjà comme la Terre.

J’ai senti que ma voix tremblait et qu’une larme allait couler au bord de mes yeux. J’ai tourné le dos à Mugi et j’ai respiré par à-coups. Beaucoup de feuilles mortes flottaient dans le bassin du jet d’eau et se collaient en paquets pour faire un rond sur l’eau. On est restés sans parler, on n’a rien dit.
— Hegatea, a dit Mugi au bout d’un moment.
— Quoi, j’ai dit en me frottant les yeux avec les doigts pour pas montrer que je pleurais.
— Hegatea.
— Quoi.
— Il faut qu’on se mette épaule contre épaule.
— Épaule contre… ?
— Oui, épaule contre épaule, il a dit.
— Pour quoi faire ?
— En se mettant épaule contre épaule, ce sera un peu plus facile.
Mugi m’a regardée et a souri.
— Si on est épaule contre épaule, c’est plus facile que de rester debout tout seul. Tu veux essayer ?

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