samedi 12 septembre 2020

[Kawczak, Paul] Ténèbre






Je n'ai pas aimé

 

Titre : Ténèbre

Auteur : Paul KAWCZAK

Editeur : La Peuplade

Année de parution : 2020

Pages : 320

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Un matin de septembre 1890, un géomètre belge, mandaté par son Roi pour démanteler l’Afrique, quitte Léopoldville vers le Nord. Avec l’autorité des étoiles et quelques instruments savants, Pierre Claes a pour mission de matérialiser, à même les terres sauvages, le tracé exact de ce que l’Europe nomme alors le « progrès ». À bord du Fleur de Bruges, glissant sur le fleuve Congo, l’accompagnent des travailleurs bantous et Xi Xiao, un maître tatoueur chinois, bourreau spécialisé dans l’art de la découpe humaine. Celui-ci décèle l’avenir en toute chose : Xi Xiao sait quelle œuvre d’abomination est la colonisation, et il sait qu’il aimera le géomètre d’amour. Ténèbre est l’histoire d’une mutilation.

Kawczak présente un incroyable roman d’aventure traversé d’érotisme, un opéra de désir et de douleur tout empreint de réalisme magique, qui du Nord de l’Europe au cœur de l’Afrique coule comme une larme de sang sur la face de l’Histoire.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Paul Kawczak est né à Besançon dans l’est de la France. Il vit aujourd’hui au Québec. Ténèbre est son premier roman.

 

Avis :

En 1890, le jeune géomètre Pierre Claes, originaire de Bruges, est envoyé par son pays aux confins du Congo belge, afin d’y matérialiser la frontière négociée entre états colonialistes lors de la Conférence de Berlin cinq ans plus tôt. Sa périlleuse expédition va lui faire croiser la route de son propre père, disparu il y a bien longtemps en abandonnant femme et enfant, et aussi d’un étrange petit Chinois, Xi Xiao, tatoueur-découpeur de son métier.

La première partie du roman, bien que parfois bizarre, s’avère très accessible et plutôt prometteuse, alors que le lecteur pense se retrouver plongé dans un récit d’aventure historique pointant le racisme colonialiste en Afrique. L’histoire du très éprouvant voyage de Claes, où les Blancs tombent comme des mouches sous les assauts des fièvres et de la malaria, côtoie celle des pérégrinations de son père, nous faisant croiser aussi bien les explorateurs Stanley et Pierre Savorgnan de Brazza, qu’un Baudelaire mourant et un Verlaine aux prises avec l’alcool.

Mais voilà que tout se met à dérailler au mitan du livre, dans ce qui devient un délire onirique et surréaliste où se mêlent jusqu’à l’obsession plaisir, sexe, torture et folie, en un cocktail sauvage et morbide à vous flanquer la nausée. Au fur et à mesure qu’ils s’enfoncent en Afrique Noire, les colons européens sombrent au plus profond de leurs propres ténèbres intérieures. L’écoeurement et l’ennui ne m’ont alors plus quittée, dans une lecture que j’ai eu grand peine à mener à son terme.

Je n’ai pas du tout été réceptive à cette histoire, certes indéniablement maîtrisée quant à sa construction et à son écriture, mais si absurde et cauchemardesque qu’il m’a semblé y étouffer jusqu’au malaise, dans une pénible et immonde descente aux enfers aussi terrifiante que la peinture de Jérôme Bosch. (1/5)

 

Citations :

Pierre Claes quitta l’Europe à Anvers le 10 janvier 1890 à bord du paquebot anglais le Victoria. La préparation scientifique et logistique de la mission avait duré six mois, un minimum pour qui s’aventurait en profondeur dans ce que l’opinion belge nommait alors le Congo-Minotaure. Or si, comme tout le monde à l’époque, le jeune géomètre se rendait bien compte que moins d’hommes revenaient d’Afrique qu’il n’en partait, jamais il n’eût pu prendre la mesure exacte des chiffres de la mortalité du fonctionnariat belge dans les colonies tant ceux-ci étaient strictement tus. Le règlement pour le personnel de l’État indépendant du Congo stipulait, à l’article 4, que les agents s’engageaient à ne rien divulguer concernant les affaires de l’État à quiconque n’appartenait pas au système administratif. Pierre Claes ne savait ainsi pas qu’en 1890, le taux de mortalité des agents territoriaux en poste au Congo était de un pour trois, sans compter les handicaps majeurs, et parfois définitifs, qu’entraînaient les maladies équatoriales. En bon agent de l’État, il s’était avant tout concentré sur la bonne réussite de sa mission, fier d’aller au-devant de l’Aventure, qu’il imaginait piquante et belle comme dans les livres anglais qu’il avait avidement lus de quinze à vingt ans. Il quittait son pays sans mélancolie, gonflé, même, d’un léger orgueil. Il croyait au projet civilisateur de son pays, il croyait en sa jeunesse, en son roi, et le temps, ce jour-là, était au beau fixe. Comment penser, à cet âge, que le bleu du ciel puisse mentir ? Il était absolument confiant de revenir.

Le voyage de Matadi à Léopoldville fut relativement rapide – deux semaines – et confortable. Ceci était dû, entre autres – et Pierre Claes ne s’en doutait alors pas –, à von Wissmann. Confronté aux difficultés que les chevaux ont à progresser en terrain sablonneux, von Wissmann avait emprunté aux colonies portugaises l’usage du taureau de selle, usage qu’il avait répandu au Congo. Le taureau-cheval utilisé par les Portugais était court de jambe, trapu et fortement musclé. Si l’on exceptait le ridicule qu’il pouvait y avoir, pour un agent en uniforme, à chevaucher une créature pas plus grande qu’un poney, le recours à ces animaux au pas lent et agréablement régulier était d’une aide précieuse chaque fois qu’il fallait passer par la terre ferme (…)

Il est possible, moyennant un patient apprentissage, de dépouiller un homme de la plupart de ses organes tout en conservant sa vie et sa conscience. Tel était l’art des bourreaux de Chine. Certains hommes puissants qui se savaient condamnés par la maladie choisissaient parfois de remettre leur corps entre les mains d’un maître bourreau pour une mort exquise. Le patient entièrement nu était d’abord rasé de la tête aux pieds, puis l’officiant, suivant les règles d’un procédé que l’Occident pratique grossièrement sur ses bœufs, moutons et chevaux, tatouait sur le corps glabre le tracé complexe d’un dessin selon lequel il inciserait la chair. Un tatouage de maître pouvait prendre jusqu’à une semaine pour être réalisé. Chaque jour, le corps sacrifié se couvrait des lignes qui régleraient son démantèlement. Selon ce dessin complexe, et à l’aide de l’acupuncture, il était alors possible de vider l’homme de son corps, en en altérant minimalement l’âme. Les bourreaux les plus adroits, dont Xi Xiao était, parvenaient à retirer la quasi-intégralité des organes d’un homme sans le tuer ni l’endormir ni même le faire particulièrement souffrir, ne laissant à l’air libre et intact, disait-on, que le cerveau, le lobe d’un poumon et le cœur.

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