J'ai aimé
Titre : Les corps conjugaux
Auteur : Sophie de BAERE
Parution : 2020 chez JC Lattès
Pages : 336
Présentation de l'éditeur :
Fille d’immigrés italiens, Alice Callandri consacre son enfance et son
adolescence à prendre la pose pour des catalogues publicitaires et à
défiler lors de concours de beauté. Mais, à dix-huit ans, elle part
étudier à Paris. Elle y rencontre Jean. Ils s’aiment intensément,
fondent une famille, se marient. Pourtant, quelques jours après la
cérémonie, Alice disparaît. Les années passent mais pas les questions.
Qu’est-elle devenue ? Pourquoi Alice a-t-elle abandonné son bonheur
parfait, son immense amour, sa fille de dix ans ?
Portrait de femme bouleversant, histoire d’un amour fou, secrets d’une famille de province : ce texte fort et poétique questionne l’un des plus grands tabous et notre part d'humanité.
Portrait de femme bouleversant, histoire d’un amour fou, secrets d’une famille de province : ce texte fort et poétique questionne l’un des plus grands tabous et notre part d'humanité.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Sophie
de Baere est diplômée en lettres et en philosophie. Après avoir habité à
Reims puis à Sydney, elle s’est installée sur les hauteurs de Nice où
elle vit et enseigne toujours. Elle est également auteure, compositrice
et interprète de chansons françaises.
Son premier roman, La Dérobée, est paru en avril 2018 aux éditions Anne Carrière.
Avis :
Après une enfance et une adolescence de baby doll à s’exhiber dans des concours de beauté pour faire plaisir à sa mère, Alice rompt avec sa famille et sa province pour tenter sa chance à Paris. Elle y rencontre Jean, et après dix ans de parfait amour où lui est née une fille, le couple décide de se marier. Peu après les noces, Alice disparaît sans laisser de traces, plongeant mari et fille dans le désarroi et l’incompréhension. Pourtant, l’explication du mystère pourrait bien s’avérer encore plus dévastatrice que l’ignorance…
Je referme ce livre avec un curieux sentiment d’ambivalence et de perplexité : d’abord peu enthousiasmée par un début en forme de romance assez banale, ensuite sceptique face à certains hasards totalement improbables et désarçonnée par une désinhibition qui n’hésite pas à enfreindre l’un des plus grands tabous pour donner dans le carrément scabreux, j’ai finalement été emportée et impressionnée par le brio avec lequel l’auteur réussit à se tirer d’un exercice on ne peut plus périlleux.
Malgré mes réticences de taille, la puissance de la tragédie qui n’épargne aucun des personnages, tous victimes d’un premier secret de famille que l’absence de mots fera enfanter d’un drame cette fois incommensurable, a fini par déclencher mes larmes, non pas à propos de cet amour impossible et de ce couple que j’ai vu avec incompréhension s’enferrer dans l’inextricable, mais en raison des répercussions sur la fille et le petit-fils.
Si l’on peut rester dubitatif quant aux réelles intentions de ce livre - sincèrement décomplexé, délibérément choquant, ou un tantinet pervers ? -, il faut reconnaître que l’auteur se tire de sa prise de risque avec talent : ce roman qui ne laissera personne indifférent se lit d’une traite malgré les immenses réserves qu’il soulève. (3/5)
Je referme ce livre avec un curieux sentiment d’ambivalence et de perplexité : d’abord peu enthousiasmée par un début en forme de romance assez banale, ensuite sceptique face à certains hasards totalement improbables et désarçonnée par une désinhibition qui n’hésite pas à enfreindre l’un des plus grands tabous pour donner dans le carrément scabreux, j’ai finalement été emportée et impressionnée par le brio avec lequel l’auteur réussit à se tirer d’un exercice on ne peut plus périlleux.
Malgré mes réticences de taille, la puissance de la tragédie qui n’épargne aucun des personnages, tous victimes d’un premier secret de famille que l’absence de mots fera enfanter d’un drame cette fois incommensurable, a fini par déclencher mes larmes, non pas à propos de cet amour impossible et de ce couple que j’ai vu avec incompréhension s’enferrer dans l’inextricable, mais en raison des répercussions sur la fille et le petit-fils.
Si l’on peut rester dubitatif quant aux réelles intentions de ce livre - sincèrement décomplexé, délibérément choquant, ou un tantinet pervers ? -, il faut reconnaître que l’auteur se tire de sa prise de risque avec talent : ce roman qui ne laissera personne indifférent se lit d’une traite malgré les immenses réserves qu’il soulève. (3/5)
Citations :
Au fond, je crois que l’existence n’est qu’un apprentissage de la perte. À peine né, toute une galaxie disparaît. La coquille utérine, sa moiteur, la musique des bruits assourdis par l’épaisseur du ventre nous sont soudain ôtées sans ménagement. Quelques temps après, la chaude mamelle, la caresse et l’attention sans mesure font des va-et-vient douloureux puis se volatilisent à leur tour. Alors on cherche des remplaçants à la mère de l’enfance. Camarade, frère, sœur, ami, amoureux… Mais eux aussi finissent toujours par s’éloigner ou par disparaître. Jusqu’au salut ultime, la vie n’est en réalité rien d’autre qu’une succession d’éclipses.
L’existence n’est finalement faite que de mots. Ce sont eux qui subliment ou qui noircissent les destins. Ils agissent et décident, font et défont l’appétit et le désir. Ils peuvent tout répéter à l’infini. Bonheur et malheur. Guérison ou blessure. Il y a aussi les mots qui ne passent pas et ceux qui nous dépassent. À moi, les mots ont souvent manqué. À l’époque, si ma mère avait eu les bons mots, si j’avais eu les bons mots pour toi et pour Charlotte, je ne me serais peut-être pas enfuie. Nous aurions inventé autre chose. Nous aurions peut-être même été heureux.
Avant, j’aimais bien les cimetières. Quand j’étais petite, je m’amusais à lire les inscriptions gravées sur le granit des pierres tombales. (…) Et puis, j’appréciais la tranquillité des lieux et comme je croyais en Dieu, c’était comme une première prise de contact avec mon paradis futur. Mais les choses ont changé et dans ces artères grisâtres, je n’ai plus rien de cette petite fille pieuse et insouciante. L’enfance est une magie ; elle devrait prendre plus son temps. Une fois devenu adulte, on se laisse happer par la course erratique du monde et le cimetière ôte soudain ses habits fantaisistes. Ne restent plus que les costumes sombres. Et les morts à qui on faisait la conversation deviennent des cris et des sanglots qu’il faut cacher. Qu’il faut reléguer loin des vivants.
J’avance dans les rues de Melun. (…) Un couple avec une poussette. Deux personnes seules. Tous fixent leurs écrans en marchant. Pendant toutes ces années passées dans ma cahute en Baie de Somme, je n’ai pas suivi le fil de l’époque. Et depuis quelques temps, je le prends de plein fouet. C’est un fil de solitudes que les machines contribuent à allonger toujours plus et à faire tourner en rond.
On peut polir les mots mais pas les silences. Ils nous échappent et nous révèlent.
J’ai enfin saisi qu’il n’y aurait pas de suture possible, qu’un parent orphelin de son enfant ne cicatrise jamais et n’oublie pas, que rien ne sert de serrer les dents. Bien au contraire. Il faut lâcher prise, laisser nos morts marcher devant et vivre en nous, les fenêtres grandes ouvertes. Et tant pis si parfois ça claque.
L’existence n’est finalement faite que de mots. Ce sont eux qui subliment ou qui noircissent les destins. Ils agissent et décident, font et défont l’appétit et le désir. Ils peuvent tout répéter à l’infini. Bonheur et malheur. Guérison ou blessure. Il y a aussi les mots qui ne passent pas et ceux qui nous dépassent. À moi, les mots ont souvent manqué. À l’époque, si ma mère avait eu les bons mots, si j’avais eu les bons mots pour toi et pour Charlotte, je ne me serais peut-être pas enfuie. Nous aurions inventé autre chose. Nous aurions peut-être même été heureux.
Avant, j’aimais bien les cimetières. Quand j’étais petite, je m’amusais à lire les inscriptions gravées sur le granit des pierres tombales. (…) Et puis, j’appréciais la tranquillité des lieux et comme je croyais en Dieu, c’était comme une première prise de contact avec mon paradis futur. Mais les choses ont changé et dans ces artères grisâtres, je n’ai plus rien de cette petite fille pieuse et insouciante. L’enfance est une magie ; elle devrait prendre plus son temps. Une fois devenu adulte, on se laisse happer par la course erratique du monde et le cimetière ôte soudain ses habits fantaisistes. Ne restent plus que les costumes sombres. Et les morts à qui on faisait la conversation deviennent des cris et des sanglots qu’il faut cacher. Qu’il faut reléguer loin des vivants.
J’avance dans les rues de Melun. (…) Un couple avec une poussette. Deux personnes seules. Tous fixent leurs écrans en marchant. Pendant toutes ces années passées dans ma cahute en Baie de Somme, je n’ai pas suivi le fil de l’époque. Et depuis quelques temps, je le prends de plein fouet. C’est un fil de solitudes que les machines contribuent à allonger toujours plus et à faire tourner en rond.
On peut polir les mots mais pas les silences. Ils nous échappent et nous révèlent.
J’ai enfin saisi qu’il n’y aurait pas de suture possible, qu’un parent orphelin de son enfant ne cicatrise jamais et n’oublie pas, que rien ne sert de serrer les dents. Bien au contraire. Il faut lâcher prise, laisser nos morts marcher devant et vivre en nous, les fenêtres grandes ouvertes. Et tant pis si parfois ça claque.
La Ronde des Livres - Challenge Multi-Défis du Printemps 2020 |
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