samedi 21 décembre 2019

[Kelley, William Melvin] Un autre tambour





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Un autre tambour (A Different Drummer)

Auteur : William Melvin KELLEY

Traductrice : Lisa ROSENBAUM

Parution : en américain en 1962,
                en français en 1965 (Casterman)
                et en 2019 (Delcourt)

Pages : 284

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Juin 1957. Sutton, petite ville tranquille d’un Etat imaginaire entre le Mississippi et l’Alabama. Un jeudi, Tucker Caliban, jeune fermier noir, répand du sel sur son champ, abat sa vache et son cheval, met le feu à sa maison et quitte la ville. Le jour suivant, toute la population noire de Sutton déserte la ville à son tour. Quel sens donner à cet exode spontané ? Quelles conséquences pour la ville, soudain vidée d’un tiers de ses habitants ?
L’histoire est racontée par ceux qui restent : les Blancs. Des enfants, des hommes et des femmes, libéraux ou conservateurs. En multipliant et en décalant les points de vue, Kelley pose de façon inédite (et incroyablement gonflée pour l’époque) la « question raciale ». Une histoire alternative, féroce et audacieuse, un roman choc, tant par sa qualité littéraire que par sa vision politique.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Né à New York en 1937, William Melvin Kelley a grandi dans le Bronx. Il a 24 ans lorsque paraît son premier roman, Un autre tambour, accueilli en triomphe par la critique. 

Comment ce jeune auteur, promis à une brillante carrière, a-t-il disparu de la scène littéraire ? Une décision consciente : la réponse est contenue dans son premier roman en quelque sorte. En 1966, il couvre le procès des assassins de Malcom X pour le Saturday Evening Post, ce qui éteint ses derniers rêves américains. Anéanti par le verdict, il regagne le Bronx par la West Side Highway, les yeux pleins de larmes et la peur au fond du cœur. Il ne peut se résoudre à écrire que le racisme a encore gagné pour un temps, pas maintenant qu’il est marié et père. Quand il atteint enfin le Bronx, sa décision est déjà prise, ils vont quitter la «Plantation», pour toujours peut-être. La famille part un temps pour Paris avant de s’installer en Jamaïque jusqu’en 1977. 

William Melvin Kelley est l’auteur de quatre romans dont Dem (paru au Castor Astral en 2003) et d’un recueil de nouvelles. En 1988, il écrit et produit le film Excavating Harlem in 2290 avec Steve Bull. Il a aussi contribué à The Beauty that I saw, un film composé à partir de son journal vidéo de Harlem qui a été projeté au Harlem International Film Festival en 2015. William Melvin Kelley est mort à New York, en 2017.

 

 

Avis :

1957. Une petite ville imaginaire, au plus profond du Sud américain, connaît soudain l'exode spontané de toute sa population noire, soit un tiers de ses habitants. Médusés, les blancs observent ce départ massif, déclenché semble-t-il par un certain Tucker Caliban, descendant d'un esclave demeuré dans la légende pour son incoercible refus de la soumission. Tandis que les souvenirs des temps anciens reviennent aux mémoires, chacun réagit en fonction de son vécu, de ses sensibilités politiques et raciales, de ses inquiétudes quant à l'avenir, avec violence pour la majorité, avec un certain bonheur pour quelques-uns, qui avaient un jour rêvé d’un monde plus juste et plus égalitaire entre les communautés noire et blanche.

Cette fable, écrite en 1962 par un Afro-américain, a évidemment une grande portée symbolique : alors que rien ni personne, pas même les organisations politiques noires, ne semblent alors capables de faire reculer la ségrégation raciale, cette histoire fait entendre un autre tambour, celui que chacun est libre d'écouter individuellement au fond de lui-même, pour oser sortir des rangs et agir spontanément, à la mesure de ses moyens. A partir d’un terrible constat d’échec collectif, l’auteur construit un formidable et magnifique message d’espoir, convaincu que le changement pourra venir des multiples petites initiatives individuelles, si modestes soit-elles : ce sont elles qui finiront par modifier la société.

Dotée par ailleurs de grandes qualités littéraires, à commencer par une puissance d'évocation toute cinématographique et un indéniable talent de conteur, cette œuvre engagée appelle chacun à se comporter en homme libre, droit dans ses bottes et fidèle à lui-même, quand, autour, tout n’est qu’aliénation, raciale, ou autre d’ailleurs... (4/5)

 

 

Citations :

« Tu vois, poursuivit Harry, je pense qu’aucun mot n’est mauvais au départ. Ça commence par être un mot, puis les gens lui donnent un sens. Et il se peut que toi, tu ne lui donnes pas le même sens que tout le monde. C’est comme si quelqu’un, à l’école, te traitait de fils à sa mère : ça ne veut pas dire que c’est mal d’être le fils de sa mère ; c’est comme si on disait que tu as les yeux gris. Mais quand tu appelles « nègre » un homme de couleur, il croit que tu dis qu’il est mauvais, alors que c’est sûrement pas du tout ce que tu penses. Tu comprends ?

Parfois il m’est arrivé d’espérer – vainement, pensais-je – que quelqu’un pourrait m’aider, me redonner confiance en moi et m’insuffler le courage d’accomplir ce que je brûlais tant de faire. Même si j’ai toujours cru que personne ne peut réellement donner du courage à quelqu’un d’autre. Les chefs révolutionnaires ne font qu’aider leurs partisans à trouver, en eux-mêmes, un courage qu’ils ont déjà, sans quoi leurs efforts seraient vains. Le courage ne s’offre pas comme on offre un cadeau de Noël. Pourtant, il semble que j’aie eu tort – et je m’en réjouis – parce que, aujourd’hui, on m’a donné du courage, un courage que je suis certain de n’avoir jamais eu. Ou si je le possédais, dans quel repli de mon âme s’est-il alors caché si longtemps ? Je désespérais de le trouver. Et bien, je l’ai trouvé, à moins qu’on me l’ait donné…

N’importe qui, oui, n’importe qui peut briser ses chaînes. Ce courage, aussi profondément enfoui soit-il, attend toujours d’être révélé. Il suffit de savoir l’amadouer et d’employer les mots appropriés, et il surgira, rugissant comme un tigre.

Quand je regarde autour de moi, ici, dans le Sud, je ne vois que pauvreté, misère, injustice et malheur. J’aime profondément mon pays, et bien que cela puisse paraître affreusement sentimental, j’ai envie de pleurer chaque fois que je le vois tel qu’il est et le compare à ce que, d’après mes conceptions, il pourrait être. En des temps aussi durs que les nôtres, avec le krach de Wall Street et la Dépression, la situation du Sud, qui était déjà plus mauvaise que celle du reste du pays, s’est encore aggravée. Mais ce Sud tel qu’il pourrait être n’est réalisable que si les gens d’ici trouvent et adoptent un nouveau mode de vie. Nous devons abandonner nos vieux schémas et nous arrêter d’idolâtrer le passé pour nous tourner vers l’avenir.

On a une seule chance dans la vie, c’est quand on peut faire quelque chose et qu’on a envie de la faire. Quand c’est pas le cas, ça sert à rien d’essayer. Pourquoi on le ferait si on n’a pas envie ? Et quand on a envie, et qu’on peut pas, ça revient à se cogner la tête contre une voiture qui roule à 150 à l’heure. Vaut mieux renoncer quand on a pas ces deux choses-là. Mais quand on les a et qu’on en profite pas, on n’a plus qu’à tirer un trait sur tout ce qu’on voulait faire ; on a laissé passer sa chance, pour toujours. »

 

 

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