lundi 9 décembre 2019

[Mukherjee, Abir] L'attaque du Calcutta-Darjeeling





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : L'attaque du Calcutta-Darjeeking
          (A Rising Man)

Auteur : Abir MUKHERJEE

Traductrice : Fanchita GONZALEZ-BATTLE

Parution : 2016 en anglais (Pegasus Books)
                2019 en français (Liana Levi)

Pages : 400

 
 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

1919. La Grande Guerre vient de se terminer en Europe. Après cette parenthèse éprouvante, certains Britanniques espèrent retrouver fortune et grandeur dans les lointains pays de l’Empire, et tout particulièrement en Inde. Ancien de Scotland Yard, le capitaine Wyndham débarque à Calcutta et découvre que la ville possède toutes les qualités requises pour tuer un Britannique : chaleur moite, eau frelatée, insectes pernicieux et surtout, bien plus redoutable, la haine croissante des indigènes envers les colons. Est-ce cette haine qui a conduit à l’assassinat d’un haut fonctionnaire dans une ruelle mal famée, à proximité d’un bordel ? C’est ce que va tenter de découvrir Wyndham, épaulé par un officier indien, le sergent Banerjee. De fumeries d’opium en villas coloniales, du bureau du vice-gouverneur aux wagons d’un train postal, il lui faudra déployer tout son talent de déduction, et avaler quelques couleuvres, avant de réussir à démêler cet imbroglio infernal.


Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Abir Mukherjee a grandi dans l’ouest de l’Écosse dans une famille d’immigrés indiens. Fan de romans policiers depuis l’adolescence, il a décidé de situer son premier roman à une période cruciale de l’histoire anglo-indienne, celle de l’entre-deux-guerres. Premier d’une série qui compte déjà quatre titres, L’attaque du Calcutta-Darjeeling a été traduit dans neuf pays.


Avis :

En 1919, fraîchement démobilisé et profondément marqué par la guerre, le capitaine Wyndham rejoint sa nouvelle affectation au sein des forces de police britanniques à Calcutta. Dans cette ville bigarrée et étouffante, alors qu’une vague d'agitation violemment réprimée secoue l’autorité coloniale anglaise, notre nouvel arrivant est aussitôt confronté à l’assassinat d’un de ses compatriotes, dans un quartier indigène que ce riche et influent personnage n’avait normalement guère de raisons de fréquenter. Tout indique un attentat contre l’autorité coloniale… A moins que les évidences ne masquent d’autres faits troubles et mystérieux, que bien du monde aurait intérêt à cacher…

A partir des lois Rowlatt de 1919 autorisant les arrestations arbitraires au moindre soupçon d’insubordination, et du massacre d'Amritsar qui s’ensuivit, c’est l’éveil de la révolte contre le pouvoir britannique et les prémices de la lutte pour l’indépendance indienne que nous décrit ici ce qui n’aurait pu être, sinon, qu’une banale et classique enquête policière.

En effet, sans véritable surprise, puisque l’on se doute assez rapidement que la vérité est bien moins évidente qu’elle n’en a l’air et que certains personnages sont probablement douteux, le véritable point d’accroche de ce polar est son contexte historique. Nous transplantant dans la touffeur dépaysante d’une ville étourdissante et contrastée, l’auteur dépeint avec humour l’absurdité d’un racisme que les premiers vacillements de l’hégémonie coloniale ne font que renforcer. Son analyse des mécanismes de domination et d’assujettissement entre nations, de la spirale de violence qui se met irrépressiblement en place alors que l’Empire britannique se met à douter de sa suprématie, éclaire d’un jour assez fascinant sa description des relations entre Occidentaux, Indiens et Anglo-Indiens.

Ecossais d’origine indienne, Abir Mukherjee nous sert une intéressante réflexion sur ce qui peut transformer un homme ordinaire en défenseur d’une certaine idée de suprématie raciale, génératrice de violences sans retour. Ce premier opus s’avère prometteur d’une série de qualité, et c’est avec plaisir que l’on suivra la suite à venir des aventures du capitaine Wyndham. (4/5)



Citations : 

Elle a un rire amer. « Si un Indien ne me voit pas comme une Indienne et un Anglais comme une Britannique, alors ce que je pense être est-il réellement important ? Pour être honnête, Sam, je ne suis ni l’une ni l’autre. Je ne suis qu’un produit de ce premier épanouissement d’affection entre Britanniques et Indiens, il y a un siècle, quand il n’y avait rien de mal pour des Anglais à épouser des femmes indiennes. De nos jours nous ne sommes qu’une gêne, un rappel visible que les Britanniques ne se sont pas toujours considérés comme supérieurs. Vous savez comment ils nous appellent, n’est-ce pas ? Européens domiciliés. C’est le terme officiel. Il paraît presque digne jusqu’à ce que vous pensiez à sa véritable signification. Nous sommes reconnus comme Européens, mais nous n’avons pas de patrie en Europe. Voyez-vous, cette fraction de sang indien nous condamne à être étrangers, de génération en génération.
« Quant aux Indiens, ils nous regardent avec un mélange de répugnance et de dégoût. Nous sommes le symbole de leur précieuse féminité indienne qui a abandonné sa culture et sa pureté, et de l’incapacité des hommes indiens d’y mettre un terme. Pour eux nous sommes littéralement des hors-castes ; l’incarnation de leur impuissance.
« Le pire dans tout cela est l’hypocrisie. Anglais et Indiens peuvent être parfaitement agréables avec nous, mais ils nous méprisent, chacun à leur manière. C’est un pays d’hypocrites. Les Britanniques font semblant d’être ici pour apporter les bienfaits de la civilisation occidentale à un tas de sauvages ingouvernables alors qu’en réalité c’est encore et toujours une affaire de bénéfices commerciaux mesquins. Et les Indiens ? L’élite éduquée déclare vouloir débarrasser l’Inde de la tyrannie britannique au profit de tous les Indiens, mais que savent-ils des besoins des millions d’Indiens dans les villages et s’en soucient-ils ? Ils veulent seulement prendre la place des Britanniques en tant que classe dirigeante.
– Et les Anglo-Indiens ? »
Elle rit. « Nous ne valons pas mieux. Nous nous disons britanniques, nous imitons vos manières et nous parlons de la Grande-Bretagne comme du “pays” alors que pour la plupart d’entre nous le plus près de l’Angleterre où nous soyons jamais allés est Bombay. Et nous sommes parfaitement odieux avec les indigènes que nous traitons de wogs et de coolies, comme pour vous montrer à quel point nous sommes différents d’eux. Et nous sommes tellement patriotes. Saviez-vous que nos prénoms les plus répandus sont Victoria et Albert ? Nous sommes le peuple le plus loyal de l’Empire. Et pourquoi ? Parce que nous sommes terrifiés à l’idée de ce qui nous arrivera si les vrais Britanniques s’en vont pour de bon.



Eux et leurs semblables considèrent qu’ils ont construit ce pays et que maintenant tout ce qu’ils ont bâti est menacé. Ils ne peuvent pas comprendre. Après tout ce qu’ils ont fait pour cette terre, comment les indigènes ont-ils l’effronterie de vouloir les renvoyer au pays ? Sous cette attitude je reconnais une peur véritable. Mme Tebbit et les autres peuvent se considérer comme britanniques, mais la seule vie qu’ils connaissent est ici ; une vie de garden-parties et de cocktails au club. Ils sont comme une fleur hybride transplantée en Inde où elle s’est tellement bien acclimatée que si elle retournait en Grande-Bretagne elle s’étiolerait et mourrait.


« Savez-vous combien il y a de Britanniques en Inde, capitaine ?
– Un demi-million ?
– Cent cinquante mille. Pas plus. Et savez-vous combien il y a d’Indiens ? Je vais vous le dire, trois cents millions. Et comment croyez-vous que cent cinquante mille Britanniques tiennent sous leur coupe trois cents millions d’Indiens ? »
Je ne réponds pas.
« La supériorité morale. » Il me laisse y réfléchir. « Pour qu’un si petit nombre en domine un aussi grand, il faut que les dominants projettent une aura de supériorité sur les dominés. Pas seulement une supériorité physique ou militaire mais aussi morale. Plus important encore, il faut que de leur côté leurs sujets se croient inférieurs ; que c’est pour leur bien qu’ils ont besoin d’être dominés.
« Il semble que tout ce que nous avons accompli depuis la bataille de Plassey ait eu pour objectif de maintenir les indigènes à leur place en les persuadant qu’ils ont besoin que nous les guidions et les éduquions. Leur culture doit être présentée comme barbare, leur religion fondée sur de faux dieux, même leur architecture doit être inférieure à la nôtre. Sinon pourquoi construirions-nous le Victoria Memorial, cette énorme monstruosité en marbre blanc plus grande que le Taj Mahal ?
« Seigneur Dieu, nous ne laissons même pas les faits s’interposer s’ils risquent de ternir l’image que nous souhaitons continuer de donner. Regardez n’importe quel atlas d’une école primaire indienne. La Grande-Bretagne et l’Inde sont à côté l’une de l’autre et chacune occupe toute une page. Nous ne leur indiquons même pas d’échelle, de peur que les petits enfants bruns se rendent compte de la taille minuscule de la Grande-Bretagne comparée à l’Inde ! 



« Je me suis alors rendu compte que nos actions – celles de Jugantor et d’autres groupes – ne servaient qu’à justifier votre répression. Chaque bombe qui explosait, chaque balle, vous fournissait une excuse pour resserrer votre contrôle sur nous. J’ai fini par comprendre que le seul moyen de mettre fin à la domination britannique en Inde était de supprimer ces prétextes et de vous révéler la véritable nature de votre occupation de mon pays. Tel était le message que j’étais revenu délivrer : que nous ne pouvons espérer obtenir notre liberté que grâce à l’unité de tous les Indiens et en faisant appel aux bons sentiments de nos oppresseurs au moyen de la non-coopération non violente. »


« Il arrive quelque chose aux jolies Anglaises quand elles atteignent vingt-cinq ans. Elles ont peur d’être laissées pour compte. Alors elles prennent le bateau et viennent en Inde où il y a des milliers de sahibs privés du réconfort d’un foyer et prêts à épouser la première rose anglaise qu’ils rencontrent. Peu importe qu’elle soit vilaine ou bizarre, elle trouvera un mari ici si elle a un bon pedigree. Ce sont les hommes que je plains, en particulier dans la fonction publique. On attend de ces pauvres diables qu’ils vivent comme des moines. Il est encore mal vu qu’ils se marient avant trente ans. Et épouser une non-Blanche serait fatal à leur carrière. »



« Quand je l’ai rencontré j’avais vingt et un ans. Il venait de débarquer d’Angleterre. Il m’a fait perdre la tête. Nous avons été ensemble pendant près d’un an. Il a promis de m’épouser.
– Qu’est-il arrivé ?
– Ce qui arrive toujours. L’Inde est arrivée. L’Empire est arrivé. Il change les Anglais. Il les étouffe. Ils viennent ici, curieux et pleins de bonnes intentions. Mais bien vite ils deviennent cyniques et bornés. Ils apprennent des plus expérimentés toutes les inepties sur la supériorité britannique et la nécessité de ne pas frayer avec les “inférieurs”. Ils commencent à mépriser les indigènes. Quiconque n’est pas blanc est au-dessous d’eux. L’Empire détruit les hommes bons, Sam. »



D’après mon expérience, les très riches et les très pauvres sont souvent gênés par l’endroit où ils vivent.




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