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mercredi 7 décembre 2022

[Gregory, Philippa] La sorcière de Sealsea

 




J'ai beaucoup aimé

 

Titre : La sorcière de Sealsea (Tidelands)

Auteur : Philippa GREGORY

Traduction : Mathias LEFORT

Parution : en anglais en 2019,
                  en français en 2021 (Haute Ville)

Pages : 640

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Angleterre, 1648. Une époque périlleuse pour toute femme indépendante…
À la veille du solstice d’été, l’Angleterre est déchirée par une guerre civile entre Charles 1er et le parlement insurgé. Cette lutte fait rage partout dans le royaume, et trouble même l’île de Sealsea, où vit Alinor. Descendant d’une famille de guérisseuses, la jeune femme est tous les jours confrontée à la pauvreté et aux superstitions. Un soir de pleine lune, elle rencontre James Summer, un noble catholique, qui a pour mission de sauver le roi. Très vite, tous deux tombent amoureux. Mais l’ambition et la détermination de la jeune femme la distinguent un peu trop de ses voisins. C’est l’ère de la chasse aux sorcières et Alinor, une femme sans mari, qui connaît les plantes et qui s’extirpe soudain de la misère grâce à James, s’attire la jalousie de ses rivaux et éveille l’effroi du village. Tout l’accuse…

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Philippa Gregory est l’auteure de nombreux succès de librairie, et plusieurs de ses romans historiques ont été adaptés à la télévision. Historienne reconnue de la condition des femmes, elle est diplômée de l’université du Sussex et a soutenu sa thèse de doctorat à l’université d’Édimbourg, dont elle est l’une des administratrices Elle est docteur honoris causa de l’université de Teeside et est chargée de recherches auprès des universités du Sussex et de Cardiff.

 

Avis :

1648 : la guerre civile fait rage en Angleterre, opposant les royalistes regroupés autour de Charles 1er avec le soutien catholique écossais et les forces parlementaires menées par le puritain Oliver Cromwell. Sur l’île de Sealsea reliée à la côte sud du pays par une chaussée submersible et un bac, l’on observe de loin les évènements, sans se laisser distraire des dures conditions de la pêche et des travaux agricoles, auxquels l’on s’échine au rythme des marées qui régentent ce coin de terre marécageuse hanté par les moustiques, les fièvres et les superstitions.

Alinor y vit très pauvrement avec ses deux enfants, usant de ses talents de guérisseuse et d’accoucheuse transmis de mère en fille depuis des générations pour compléter ses seuls maigres revenus de journalière agricole depuis la disparition inexpliquée de son mari. Sa situation est d’autant plus précaire, que, ne pouvant se prétendre veuve, son indépendance, qui plus est assise sur ce qui dans l’esprit des villageois s’apparente à de la sorcellerie, rend sa moralité suspecte. Alors, quand, ayant secrètement secouru un noble catholique venu en mission à l’ancien évêché de Sealsea pour y comploter en faveur du roi, elle en tombe amoureuse et en obtient quelques coups de pouce améliorant trop visiblement son destin, jalousies et rivalités ne tardent pas à enflammer contre elle les esprits déjà échauffés...

L’intrigue est extrêmement romanesque et la romance assez improbable. Pourtant, l’on se laisse emporter avec le plus grand plaisir dans cette vaste fresque, dont les plus de six cents pages laissent le temps de si bien s’attacher aux personnages et de tant s’imprégner de son atmosphère que l’on n’en achève la lecture qu’à regret. Philippa Gregory prouve une fois de plus son talent de conteuse, qui, déployé à partir d’un sérieux travail d’imprégnation historique, lui permet, au fil d’une narration précise et rythmée, de nous transporter à une époque qu’elle excelle à faire revivre de manière réaliste et crédible, et en un lieu – l’île de Selsey, près de Chichester, où elle a elle-même vécu quelque temps – dont elle réussit à nous ensorceler.

Habituée des biographies romancées de personnages historiques, l’auteur inaugure ici une nouvelle série de romans, qui, commencée au temps de la guerre civile anglaise, se poursuivra pendant la Restauration, les Lumières et l’Empire, en une longue saga familiale s’employant à mettre en lumière le destin de tous ces gens trop ordinaires pour retenir habituellement l’attention des historiens. L’on attendra donc avec impatience la suite de cette épopée, qui, au travers de figures comme Alinor, déterminée à trouver sa voie à une époque où les femmes ne comptaient pas et risquaient opprobre et persécution lorsqu’elles sortaient du rang, continuera à rendre hommage à toutes celles qui ont pavé le long chemin de l’amélioration de la condition féminine. (4/5)

 

 

Citations :  

À la fin du sermon, alors que les plus dévots de la congrégation s’exclamaient « Dieu merci ! » et « grâce au Seigneur ! », le pasteur s’avança vers le banc des Peachey, attendit que sir William se lève, puis ils se tournèrent vers l’assemblée pour une remontrance, garants de la vertu morale : l’un représentant le pouvoir temporel, l’autre l’autorité spirituelle.
— Et en ce jour de sabbat, que le Seigneur nous demande de respecter, il nous faut appeler une sœur devant l’autel pour sa pénitence, déclara le pasteur. C’est notre devoir et une décision de la justice ecclésiastique.               
Alys lança un rapide regard en coin à sa mère, dont les yeux écarquillés manifestaient son ignorance de l’affaire. Elles se raidirent et attendirent de voir ce qui allait suivre, curieuses de savoir qui avait été reconnue coupable.               
— Une femme a fait l’objet de plaintes de la part de ses voisins, et son propre mari affirme qu’il lui est impossible de la faire obéir, poursuivit l’homme d’Église. C’est par elle qu’arrive le scandale, et certains disent qu’elle n’aurait pas été chaste. Qui a présenté des preuves contre elle au tribunal ecclésiastique ?
— C’est moi, dit Mme Miller en se levant du banc réservé aux riches paysans, au centre de l’église.
Sa fille et son fils l’entouraient.
— Évidemment que c’est elle, murmura Alys à sa mère. Elle a toujours du mal à dire de tout le monde.
— Madame Miller, du moulin à marée, se présenta-t-elle bien inutilement à tous ces voisins qui la connaissaient depuis l’enfance.
— Et qu’avez-vous affirmé à ce tribunal ? demanda le pasteur. Brièvement, précisa-t-il.
Tout le monde savait combien elle était difficile à arrêter une fois lancée.
— J’ai dit que je l’avais vue lors du glanage se faufiler derrière une haie avec un homme de cette paroisse, puis revenir avec la robe et les cheveux défaits.
Tous les gens présents spéculèrent tout bas sur l’identité de l’homme « de cette paroisse », mais son nom allait de toute évidence être tu. La femme pécheresse serait dénoncée, mais la réputation de son complice demeurerait intacte. De toute manière, ce n’était pas un péché pour un homme – c’était simplement dans sa nature.
 

Il était aussi aisé de pénétrer dans la demeure de M. Hopkins que cela l’avait été d’entrer à la Cour dans les glorieux jours à Londres, quand n’importe quel homme riche pouvait venir voir le monarque et sa famille. Le roi était d’avis que sa table à manger devait être à la vue de tout le monde dans la grand-salle, comme un autel devait être bien en vue dans une église. Le caractère divin des deux était irréfutable. À Newport, malgré une garde postée à chaque porte, pas un soldat ne refusait l’entrée à quiconque était bien habillé. Le roi était libre d’aller et venir à sa guise, tenu par sa seule parole de ne pas quitter l’île. La rue devant la maison était bondée tout le jour de sympathisants royalistes aux habits somptueux qui formaient un cortège incessant foulant les pavés fraîchement balayés – commentant sans gêne la simplicité de la ville et la pauvreté des constructions –, de gens du peuple souhaitant apercevoir cet homme qui se disait à moitié divin, et de mendiants et malades qui arpentaient le pâté de maisons. Le roi Charles était renommé pour le pouvoir de guérison de ses longs doigts blancs. Un malade pouvait s’agenouiller devant lui et guérir d’un simple toucher et d’une bénédiction murmurée. Personne ne se voyait refuser les pouvoirs de guérison du roi. Déjà une jeune femme proclamait que sa grâce divine l’avait guérie de sa cécité. Tout le monde savait que le roi n’était pas un simple mortel. Il portait l’huile sainte sur son torse sacré, il était le descendant de rois de droit divin, et il était juste en dessous des anges.
 
 
Ma chère, une toise de dentelle, c’est tout ce qui me tient à l’écart de la mendicité, se lamenta la vieille dame. Vous êtes trop belle pour comprendre ce que c’est que d’être pauvre et un poids pour vos voisins, mais si je ne vends rien pendant une semaine, ils arrêteront de m’ouvrir leur porte par peur de me voir venir les supplier pour une miche de pain, ou un quart de lait, même s’ils ont tout un troupeau de vaches. Et en moins d’un mois, ils se mettraient à réfléchir à me placer auprès d’une autre paroisse. Ils me demandent des nouvelles de mes enfants, et pourquoi je ne vais pas les voir. Ils voudraient me forcer à vivre à leurs crochets. Ce n’est pas facile d’être vieille et pauvre. Priez pour que Dieu vous épargne ça.              
— Amen, souffla Alinor.              
La dentellière se tourna alors vers Alys, qui la dévisageait d’un air médusé.              
— Tu peux me croire ! Ils peuvent se retourner contre vous en un instant. Un seul mot déplacé et ils font venir un chasseur de sorcières et vous accusent de sorcellerie pour se débarrasser de vous une bonne fois pour toutes ! C’est un crime d’être pauvre dans ce comté ; et c’en est aussi un d’être vieux. Et puis il ne fait jamais bon être une femme.


Cet enfant est venu à moi alors que je pensais ne plus jamais en avoir, et je refuse de le tuer.              
— Mais tu sais comment faire ? insista Alys.              
— Oui, répondit sa mère d’une petite voix.              
— Est-ce que ta mère l’a déjà fait ?              
— Oui. Quand elle jugeait que c’était préférable pour la mère, ou pour l’enfant, pauvre petite chose, parce qu’il était déformé ou de travers – sans avenir. Elle le faisait pour épargner la souffrance. Je le ferais aussi, pour empêcher un autre être de souffrir. Je pense que c’est la bonne chose à faire quand le but est d’épargner de la douleur. Si j’avais mon mot à dire, les femmes seraient libres de choisir si elles veulent concevoir, porter et mettre au monde un enfant. Ça ne devrait pas être aux hommes de décider de ça, parce que c’est la vie de la femme et de son enfant. Mais je ne ferai pas ça au mien. Je préfère la douleur que de le perdre.
— Est-ce qu’il faut des plantes ?
— On commence par des plantes, et si l’enfant ne s’en va pas, alors il faut utiliser un fuseau ou un poinçon, un long couteau fin ou une alêne, qu’on fait entrer dans la femme pour poignarder le bébé recroquevillé dedans, expliqua calmement Alinor alors qu’Alys l’écoutait, horrifiée, les mains plaquées sur la bouche. Il faut enfoncer l’aiguille six fois, sans savoir si on perce la tête du bébé, si ça passe dans l’œil, l’oreille, la bouche, ni même si on ne transperce pas la mère en même temps. C’est aussi impitoyable que de massacrer un veau. Pire, même. Tu ne vois rien de ce que tu fais, et tu ne peux pas savoir ce qui se passe. La femme peut se vider de son sang à l’intérieur, ou bien le bébé peut mourir sans sortir, et il pourrit en elle. Ou alors elle donne l’impression d’avoir expulsé l’enfant mort, mais elle meurt d’une fièvre. C’est la mort pour l’enfant, et parfois aussi pour la mère. Est-ce que c’est ça que tu veux pour moi ?


 

jeudi 25 avril 2019

[Ward, Jesmyn] Le chant des revenants





Coup de coeur 💓

 

Titre : Le chant des revenants
           (Sing, Unburied, Sing)

Auteur : Jesmyn WARD

Traducteur : Charles RECOURSE

Parution : 2017 en américain chez Scribner,
                2019 en français chez Belfond

Pages : 269






 

 

Présentation de l'éditeur :   

Seule femme à avoir reçu deux fois le National Book Award, Jesmyn Ward nous livre un roman puissant, hanté, d’une déchirante beauté, un road trip à travers un Sud dévasté, un chant à trois voix pour raconter l’Amérique noire, en butte au racisme le plus primaire, aux injustices, à la misère, mais aussi l’amour inconditionnel, la tendresse et la force puisée dans les racines.
Jojo n’a que treize ans mais c’est déjà l’homme de la maison. Son grand-père lui a tout appris : nourrir les animaux de la ferme, s’occuper de sa grand-mère malade, écouter les histoires, veiller sur sa petite sœur Kayla.
De son autre famille, Jojo ne sait pas grand-chose. Ces blancs n’ont jamais accepté que leur fils fasse des enfants à une noire. Quant à son père, Michael, Jojo le connaît peu, d’autant qu’il purge une peine au pénitencier d’État.
Et puis il y a Leonie, sa mère. Qui n’avait que dix-sept ans quand elle est tombée enceinte de lui. Qui aimerait être une meilleure mère mais qui cherche l’apaisement dans le crack, peut-être pour retrouver son frère, tué alors qu’il n’était qu’adolescent.
Leonie qui vient d’apprendre que Michael va sortir de prison et qui décide d’embarquer les enfants en voiture pour un voyage plein de dangers, de fantômes mais aussi de promesses…

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Jesmyn Ward est née en 1977 à DeLisle, dans l’État du Mississippi. Issue d’une famille nombreuse, elle est la première à bénéficier d’une bourse pour l’université. 
Son premier roman, Ligne de fracture, a été salué par la critique. Mais c’est avec Bois Sauvage qu’elle va connaître une renommée internationale, en remportant le National Book Award.  Son mémoire, Les Moissons funèbres, s’est vu récompensé du MacArthur Genius Grant. 
Avec Le Chant des revenants, sélectionné parmi les dix meilleurs romans de l’année 2017 par le New York Times, Jesmyn Ward devient la première femme deux fois lauréate du National Book Award.
Jesmyn Ward vit dans le Mississippi, avec son époux et leurs deux enfants.

 

 

Avis :

Dans une campagne pauvre du Sud des Etats-Unis, Jojo, enfant métis de douze ans, dont le père est en prison et la mère démissionnaire et toxicomane, est élevé par ses grands-parents noirs – les blancs ont violemment rejeté l’union de ses parents et la naissance de leurs petits-enfants.

Jojo, mûri plus vite que son âge, a farouchement pris sa petite sœur sous son aile. Il lui en faut du courage pour contrer les défaillances de ses parents, mais aussi pour affronter les fantômes du passé qui hantent les membres de sa famille : ainsi celui de son oncle, abattu lors d’un assassinat raciste déguisé en accident de chasse. Et aussi celui de Richie, un jeune compagnon de captivité de son grand-père dont il va peu à peu découvrir la dramatique histoire. Car son grand-père, lui aussi, a été emprisonné : arrêté arbitrairement en 1948, il s’est retrouvé au pénitencier agricole de Parchman, dans le Mississippi, connu pour avoir fait perdurer des pratiques esclavagistes jusque dans les années soixante-dix.

C’est une véritable sauvagerie raciste qui se dévoile peu à peu au travers des pages : des noirs lynchés ou abattus sans raison et en toute impunité, un système judiciaire et pénitentiaire aux pratiques inconcevables, et des comportements violents qui perdurent encore aujourd’hui jusqu’au coeur des familles.

La chaleur moite du Mississippi a tôt fait de vous envelopper et de vous entraîner dans une atmosphère mêlée de croyances et de superstitions où les esprits des morts ne quittent pas les vivants, surtout lorsque leur destin s’est avéré tragique. Tendresse et dignité, violence et impuissance se mêlent en un récit émouvant et révoltant, dont certains passages sont à glacer le sang : un chant de souffrance, mais aussi d’espoir, espoir qu’un jour les esprits torturés finiront par trouver le repos, leur histoire entendue, reconnue, pour enfin permettre la reconstruction des vivants. Coup de coeur.

 

 

Citations :

Quelques jours plus tard, j'ai compris ce qu'il essayait de dire, que devenir adulte, ça signifie apprendre à naviguer dans ce courant : apprendre quand se cramponner, quand jeter l'ancre, quand se laisser porter.  

À l’Oya du vent, des éclairs, des orages. Renverse nos esprits. Que tes tempêtes lavent le monde, le détruisent, et qu’il renaisse des vents de tes jupes. Et quand je lui ai demandé ce que ça voulait dire, elle a répondu, c’est pas bon d’utiliser la colère pour détruire. On prie pour que la colère se change en tempête qui fera jaillir la vérité.

 

 

Le coin des curieux :

Au début du 20e siècle, des lois ciblant spécifiquement les Noirs remplissent les prisons américaines majoritairement d’Afro-Américains. Certains politiciens décident d’exploiter cette main d’oeuvre captive en la louant à des sociétés en charge de grands travaux, comme la construction de chemins de fer. Le gouverneur du Mississippi James Vardeman a l’idée d’une plantation pénitentiaire : construite en 1901, la prison de Parchman Farm fonctionne comme au temps de l’esclavagisme. Y ont cours ségrégation, insalubrité, surpopulation, coups de fouet et autres sévices corporels. Certains détenus sont choisis pour servir de gardiens. Dotés d’une arme, d’un cheval et de chiens, ils ont le droit d’abattre tout prisonnier qui semble avoir l’intention de fuir. Meurtres et viols y sont monnaie courante. L’arbitraire y est roi. 

C’est dans les années soixante, lorsque les Freedom Riders, groupes de militants pour les droits des Noirs, se rendent à Parchman, que les media font découvrir à l’ensemble des Etats-Unis la situation abominable qui règne dans l’établissement. L’avocat Roy Haber, atterré par des témoignages accablants et par ses propres constatations, a alors un rôle déterminant : il entame des démarches judiciaires et remporte le procès d’un prisonnier contre un gardien. La cause des détenus de Parchman est désormais célèbre. Le système d’un autre âge de Parchman est abandonné en 1972. Le jugement impacte aussi d’autres établissements américains mais le changement va être très long à mettre en place.

 

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