dimanche 31 août 2025

[Fortier, Dominique] Quand viendra l'aube

 





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Quand viendra l'aube

Auteur : Dominique FORTIER

Parution : 2022 (Alto)

Pages : 104

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Au cours d’un été d’orages et de tempêtes suivant la disparition de son père, Dominique Fortier tient un carnet où elle explore le pouvoir des souvenirs à nous survivre et à élargir le réel. Elle recense autour d’elle les mystères grands et petits jalonnant nos existences : le fleuve qui coule à l’envers, des oiseaux qui parlent, le brouillard qui se dissipe comme un rideau se déchire, une montre à moitié cassée et assez de questions pour durer toute une vie.

Quand viendra l’aube convoque les voix de François Villon, d’Emily Dickinson et de Rebecca Solnit pour illuminer le deuil. Dans ces pages intimistes, l’auteure des Villes de papier et des Ombres blanches livre un bouleversant témoignage où chatoient mille et une nuances de bleu, couleur de la nostalgie, du manque et du ciel avant le lever du soleil, lorsque les ombres s’estompent et que les fantômes se révèlent pour ce qu’ils sont : des souvenirs qui refusent de mourir à leur tour.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Dominique Fortier construit depuis une quinzaine d’années une oeuvre singulière, au confluent de l’Histoire et de l’imaginaire. Son premier roman, Du bon usage des étoiles, a reçu le prix Gens de mer du festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo, alors que Au péril de la mer a été couronné par le Prix littéraire du Gouverneur général en 2016. Les villes de papier, une plongée dans l’univers de la poète Emily Dickinson, lui a valu le Prix Renaudot essai en 2020 et a été traduit dans une dizaine de langues. Les ombres blanches est son sixième roman.

 

 

Avis :

Si Dominique Fortier a consacré deux livres à Emily Dickinson, c’est que, leurs écrits en attestent, les deux auteurs partagent le même rapport au monde ; la même sensibilité à ses infinies nuances, les plus infimes et fugaces soient-elles ; la même capacité à laisser leurs impressions et leurs sensations sourdre, habillées de mots, pour prendre la forme de fragments de texte aussi délicats que des ailes de papillons. Comme d’autres collectionnent les lépidoptères ou confectionnent des herbiers pour conserver le fragile et l’éphémère, toutes deux capturent les instantanés de leur vie pour leur offrir un abri de papier, et, du même coup, se sauvegarder elles-mêmes.

C’est ainsi que, faisant sienne l’analyse d’un préfacier d’Emily Dickinson :  « Ils montrent, ces poèmes, que ce que l’on appelle poésie est une chose extrêmement rare, et vitale. Quelque chose dont on ne peut se passer pour vivre. Et qui aide à mourir », Dominique Fortier mentionne le pouvoir protecteur et consolateur des mots et de l’écriture, eux qui, depuis la mort de son père, l’aident à se reconstruire et à apprivoiser l’absence. Ecrit dans la parenthèse des aubes d’un séjour en bord de mer, en ces instants où, comme le rêve et le réel, comme le deuil et l’écriture, le ciel et l’océan s’épousent en un trait de lumière encore évanescente à l’horizon, ce court texte assemble ses fragments comme autant de parcelles des émotions de l’auteur, miroitant doucement en ces moments suspendus où la vie prend le temps de se poser et l’âme de s’apaiser.

Semblable au chuchotement têtu des vagues émergeant de l’obscurité mourante, le murmure persistant des mots surgis de l’invisible convoque avec poésie ces mille choses à la fois minuscules et si grandes qui pavent notre existence – souvenirs précieux, modestes moments de bonheur et de communion avec nos êtres chers ou avec la nature –, mais aussi la littérature, au gré de références – de Ronsard à Emily St John Mandel, en passant par William Faulkner, Ferdinand Pessoa ou Marie Darrieussecq – éclairant la nuit comme une constellation d’étoiles.

Très intime, le récit n’est jamais triste. Contemplatif et apaisé, il s’illumine de ces moments de grâce, ici souvent littéraires, qui vous réconcilient avec la vie et son inéluctable fugacité. Difficile de ne pas penser au somptueux Le roitelet de Jean-François Beauchemin, plus philosophique et moins littéraire dans ses références, mais si semblable en esprit. Si cet autre auteur québécois nous offre lui aussi une méditation, peut-être plus aboutie, sur la vie et sur la mort, insistant sur l’étrange cohabitation du corps et de l’âme, sur la puissance consolatrice des liens affectifs et sur les impressionnantes perfections de la nature, Dominique Fortier, en amoureuse des livres qui, de son propre aveu, se pense lectrice avant de se percevoir écrivain et laisse le sens sourdre des mots plutôt que l’inverse, nous enchante plus particulièrement des munificences poétiques de sa plume et de son érudition littéraire. (4/5)

 

 

Citations :

La pluie sur la fenêtre ce matin brouille la route, la plage et l’océan comme dans une toile pointilliste, morcelant le paysage en mille éclats chacun gros comme une gouttelette. La grève est déserte sauf pour quatre promeneurs intrépides qui avancent contre le vent, de l’eau jusqu’aux chevilles, l’air de naufragés. Les vagues se succèdent, échevelées, pressées de gagner la terre ferme, comme si elles allaient y faire autre chose qu’éclater et disparaître.


Tous ces livres qu’on n’a pas encore lus : autant de continents à reconnaître.


Sentant ses forces décliner, il avait fait promettre à ma mère qu’elle ne ferait pas même paraître d’avis de décès dans les journaux, et elle a respecté ses dernières volontés. Il est disparu comme tombe un arbre dans une forêt où personne n’est là pour entendre : dans un silence assourdissant, un fracas muet, privé d’écho.


Si l’on en croit Boris Cyrulnik, quiconque a côtoyé la mort est condamné à la poésie. Notre mort marche à nos côtés, nous connaissons son visage aussi bien que le nôtre. À certains êtres, elle n’apparaît que dans le grand âge, à d’autres c’est à l’occasion d’une blessure ou d’un accident, lors de la disparition d’un proche. Pour ma part, je n’ai pas de souvenir où elle ne m’accompagne. On entend souvent parler de l’insouciance de l’enfance ; je ne sais pas ce que ces mots veulent dire. D’aussi loin que je me souvienne, ma mort est là.


Je ne pense sans doute pas comme il faut, mais chez moi les mots et les idées ne se présentent jamais séparément ; je n’ai jamais, avant d’écrire, une idée, même floue, même incomplète, de ce que je m’apprête à dire. L’idée apparaît après, une fois que les mots l’ont incarnée. Pour être tout à fait exacte, elle naît probablement en même temps que les mots qui la nomment et sans lesquels elle ne prendrait jamais corps, mais je n’ai pas réellement conscience de participer ni même d’assister à cette naissance, je ne peux que la constater a posteriori, parfois avec une légère surprise, comme si cette idée avait été énoncée par quelqu’un d’autre. Il n’y a pas d’abord une abstraction que le langage viendrait rendre visible ou intelligible ; c’est le langage même qui pense.
Ce que cela veut dire, je crois, c’est que je suis une lectrice bien avant d’être une écrivaine.


William Faulkner :
Écrire, c’est comme craquer une allumette au cœur de la nuit en plein milieu d’un bois. Ce que vous comprenez alors, c’est combien il y a d’obscurité partout. La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mieux mesurer l’épaisseur de l’ombre.


La littérature, écrivait Fernando Pessoa, est la preuve que la vie ne suffit pas. C’est une sorte d’ailleurs absolu, qui n’existe que par ce caractère d’altérité par rapport au présent et au réel auxquels nous sommes enchaînés, et procède à parts égales du souvenir et du rêve. Les livres existent parce que nous avons, pour vivre, farouchement, férocement besoin de la force souveraine – de l’absolue faiblesse – de quelque chose qui n’existe pas.

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire