mercredi 25 juin 2025

[Clément, Catherine] Païenne

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Païenne

Auteur : Catherine CLEMENT

Parution : 2025 (Seuil)

Pages : 272

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

Nous sommes en 392 après Jésus-Christ. L’Empire romain se disloque et se christianise en même temps. Tout autour de la Méditerranée, les questions religieuses font couler le sang et vaciller les convictions les plus anciennes. À Rome, à Alexandrie, à Constantinople, à Athènes, on discute sans fin, on se querelle, on s’aime et on s’entretue.
Sous la poussée d’un monothéisme de plus en plus intransigeant, les derniers vestiges du paganisme disparaissent un à un. À Delphes, au sanctuaire d’Apollon, ce lieu qu’on appelait le nombril du monde et dont la splendeur traverse les siècles, Aglaé IV, la fameuse pythie, s’apprête à rendre son ultime oracle sous le regard amoureux du grand-prêtre. On la voit maintenant s’avancer, sublime et inquiétante, sur la Voie sacrée... Un spectacle inoubliable.
Tout à la fois histoire d’amour et de rédemption, peinture de la vie et de la mort des dieux et leçon d’histoire, ce nouveau roman de Catherine Clément se situe dans la droite ligne de son célèbre Voyage de Théo.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Catherine Clément est l’auteure d’une bonne soixantaine d’ouvrages (romans, essais, poésies, biographies et Mémoires…) dont certains, comme La Senora et Pour l’amour de l’Inde, furent des best-sellers internationaux. Elle renoue ici avec les thématiques universelles du Voyage de Théo (son plus gros succès au Seuil, qui reparaît chez Points au même moment) et le décor d’une Inde éternelle qu’elle a sillonnée pendant des années et connaît dans le détail.

 

Avis :

Redevenu seul maître d’un empire romain divisé depuis trente ans entre Orient et Occident, Théodose 1er doit stabiliser les frontières avec les fort envahissants Goths, mais aussi imposer son autorité à l’intérieur. 

Depuis qu’en 380, il a promulgué l’édit de Thessalonique faisant du christianisme la religion d’État, c’est au tour des païens de subir la persécution. Si, à Delphes, la bénévolence du centurion Marcus permet encore à la pythie Aglaé IV, même si elle a dû renoncer aux sacrifices, de poursuivre les rituels de consultation avec le prêtre Nikos, des nouvelles inquiétantes n’en affluent pas moins de partout. Une ultime proclamation venant, ce jour de 392, d’interdire le paganisme sous peine de mort, ne reste bientôt plus que la fuite à la pythonisse et à ses derniers fidèles. Le monothéisme chrétien vient de sonner le glas de la féroce joie de vivre des dieux grecs et latins.

La philosophe et femme de lettres Catherine Clément, qui n’en est pas à sa première publication sur le thème des mythes antiques et de la religion, a choisi un personnage de femme cultivé, parlant latin et grec, pour incarner avec humanité le paganisme au moment où il cède le pas au monothéisme chrétien. La transition ne se fait pas sans violence, même si, au saint des saints du temple d’Apollon, tout cela ne parvient encore qu’en écho assourdi, incitant à une discrétion prudente. Au travers d’Aglaé et de ses oracles, c’est une religion toute de théâtralité, mais aussi une érudition pleine de sagesse ancienne, qui s’inquiètent des coups de boutoir d’une nouvelle intolérance fanatique.

Si le commun des mortels ne comprend pas grand-chose de l’idée de consubstantialité « Dieu-unique-son-fils-et-le-pigeon » qu’on lui impose pour, en même temps, bannir la doctrine chrétienne arienne, l’histoire de la Nativité et d’une vierge enfantant un vrai petit dieu emportent chez les païens de plus en plus de suffrages : «  Le peuple a besoin d’extraordinaire. Il lui faut un récit pour retrouver l’espoir et là-dessus, nos camarades chrétiens sont plus forts que nous… » Alors, quand la politique s’en mêle parce qu’elle y voit un outil de pouvoir, la proclamation d’une religion d’Etat annonce sans coup férir l’éradication violente de toute autre forme de croyance, dans une main mise manipulatrice aux évidents échos modernes.

Cette vague de violence n’étant jamais directement présente dans le récit, le lecteur ne la sent s’écraser que dans le dos de ses personnages bientôt en fuite, son fracas comme hors des pages ou, plutôt, n’éclatant dans les pages qu’après le passage du lecteur, dans son imagination. La précédant, elle et sa folie destructrice, la plus symbolique des dernières païennes emmène avec elle les vestiges d’une autre forme d’humanité, condamnée à disparaître. Ou l’histoire, riche de détails et d’allusions assemblés avec autant d’érudition que d’humour, d’un moment de bascule majeur pour l’humanité. (4/5)

 

Citations :

– Est-il écrit dans les textes sacrés que la pythie doit masquer son visage ? 
Les dignitaires effarouchés avaient fui comme des corbeaux. Un seul était resté, le plus âgé, dont les jambes tremblaient. 
Il avait répondu, lui. 
Que rien n’empêchait l’inspirée d’Apollon de dévoiler sa face, et que seul était exigé d’elle de déployer un pan du voile, en gardant les pieds nus, toutefois. 
Qu’elle avait l’autorisation, une fois l’oracle rendu et son service terminé, de s’entretenir avec les citoyens de l’Empire, sous réserve qu’elle ne tienne aucun propos séditieux. 
Que c’était bien assez d’avoir des chrétiennes muselées par un voile intégral au nom du Dieu-unique-son-fils-et-le-pigeon.


– Alors, ce sacrifice à Gaïa, qu’en pensez-vous ? lui demanda la Pythie. 
– Très beau, répondit le centurion. Beaucoup de force, je suis vraiment content d’avoir fait connaissance avec un vrai sacrifice à l’ancienne. Cela me permet de comprendre pourquoi, dans ma religion, nous parlons du Sauveur comme de l’Agneau de Dieu offert en sacrifice.


Selon les cas, ils avaient été plus ou moins tolérants envers les dieux anciens. Mais en 392, sous l’empereur Théodose, la tolérance était en voie d’extinction. Un nouveau monde se créait, dans l’agitation et l’effervescence d’une jeune religion intolérante.


Éradiquer les dieux païens serait une longue affaire, aucun évêque ne pouvait se le dissimuler.   
– Ne me dites pas que vous avez participé en personne à la destruction de la statue de Sérapis ! Si ? 
– Vous me connaissez, Christophorus, je suis un modéré. Je vous ai dit que j’y étais, c’est vrai. Mais je me suis simplement approché, pour regarder. Et j’ai vu un massacre. 
– Je croyais que les nôtres avaient triomphé des païens au Sérapeum ? 
– Mais je ne vous parle pas des nôtres ! Nous avons massacré ! Des païens, en nombre ! Remarquez, moi, je n’ai frappé personne, je n’ai pas fait couler le sang. 
– Ah, c’est bien. Le Sauveur interdit de tuer son prochain. Excepté les païens, bien sûr. 
 
 
– Tout de même, ces pauvres païens, je trouve que nous les traitons mal. À la rigueur, qu’on détruise les temples des dieux nomades qui se font adorer partout, voilà qui ne me dérange pas. Mais quand les divinités s’attachent à un lieu défini, faut-il en expulser les fidèles ? Tenez, par exemple, le temple de Pallas Athéna sur l’Acropole d’Athènes, vous n’allez pas empêcher les cérémonies des Grandes Panathénées, avec ce voile immense teint au curcuma que l’on fait défiler autour du Parthénon ? C’est si beau…
– La beauté, on s’en fiche ! s’écria le jeune homme. C’est bien à l’intérieur du Parthénon qu’on peut encore voir la statue de onze mètres de la déesse 
– j’ai oublié son nom, enfin, vous savez bien, celle qui est casquée ? Tout ce poids d’or pour une femme aux bras d’ivoire qui tient un bouclier, vous trouvez cela raisonnable, vous ? 
– Qu’en feriez-vous ? 
– Je partagerais l’or avec les plus pauvres. – Mais l’Athéna du Parthénon est la fondatrice de la ville, vous n’empêcherez pas cette idée ! 
– Bien sûr que si. On finira par interdire les Grandes Cérémonies tous les quatre ans et puis petit à petit, les processions annuelles disparaîtront, vous verrez. Je ne serais pas étonné que notre Empereur fasse fermer les sanctuaires dans ses deux territoires, l’Empire d’Orient et l’Empire d’Occident. 
– On ne va pas fermer Delphes ! C’est impossible ! 
– Delphes ? Où est-ce ? dit Christophorus, ébahi. 
– Delphes est au centre du monde, voyons, vous ne savez pas ? sourit Grégoire, enchanté de sa réplique. 
– Mais non, enfin ! Comment cela ? 
– Jupiter a lâché deux aigles, chacun aux confins du monde, et leurs vols se sont croisés au-dessus de la colline de Delphes. On y trouvait autrefois une grosse pierre de marbre joliment bombée, décorée de rubans, qu’on appelait le nombril du monde. C’est beau, non ? 
– C’est idiot ! Le monde n’a pas de nombril ! 
– Bon, soupira Grégoire. Mais il faudra que je vous raconte ce qui se passe à Delphes ! J’ai consulté, moi ! 
– Il y a donc un médecin à Delphes, conclut le Gros Bêta. 
– Par Jupiter, explosa Grégoire, vous ne savez vraiment rien de rien !


– Dommage, soupira Hélios. Le peuple a besoin d’extraordinaire. Il lui faut un récit pour retrouver l’espoir et là-dessus, nos camarades chrétiens sont plus forts que nous… La résurrection des corps, le Paradis, ça paye, tu sais !
 
 
– Il n’y a pas d’Olympe chez les chrétiens, mon garçon. Il y a un grand jardin plein d’animaux sauvages et de fruits délicieux qu’ils appellent Paradis, où ils survivent avec leur Sauveur, son père Dieu et le petit pigeon. 
– Ouf ! Je n’y comprends rien, dit Hélios. Chez nous, après la mort, il y a quoi ? 
– Une verte prairie nommée les champs Élysées, répondit Nikos. Ou alors rien du tout. Chacun croit ce qu’il veut, tu sais ! 
– C’est quoi, le petit pigeon ? 
– Ce que ces idiots de chrétiens appellent « le Saint-Esprit ». 
– Bah ! Nous croyons bien, nous autres, que deux aigles envoyés par Zeus ont laissé tomber le nombril du monde ici même, ce n’est pas plus intelligent ! répliqua Hélios. 
– Un aigle, c’est grand, c’est beau, c’est un oiseau qui plane dans les hauteurs ! Tandis qu’un pigeon, vraiment… À propos, on n’a pas vu de vol de cygnes cette année, c’est curieux… 


– Attendez, l’édit précise bien que le paganisme est strictement interdit dans tout l’Empire sous peine de mort ? 
– Oui, et c’est cela, la grande nouvelle ! Sous peine de mort, vous vous rendez compte ? 
– Je me rends compte qu’aucun païen n’osera plus entrer dans aucun temple ! Et d’ailleurs, ils seront détruits ou transformés en églises, on verra. 


 

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