lundi 22 avril 2019

[Dru, Marie-Virginie] Aya






J'ai beaucoup aimé

Titre : Aya

Auteur : Marie-Virginie DRU

Année de parution : 2019

Editeur : Albin Michel

Pages : 224








 

Présentation de l'éditeur :   

Aya, c’est toute l’âme de l’Afrique, sa sensualité, sa magie et sa rudesse. Aya, c’est une fille de douze ans, pas encore une femme, belle comme un soleil, et qui ne rêve que d’épouser son petit amoureux, Ousmane. Main dans la main, ils se promènent sur les bancs de sable de Karabane avant de plonger dans l’eau, où ils croisent Moussa de retour de la pêche dans sa barque bleue.
Ce paradis, Aya ne l’abandonnerait pour rien au monde, s’il n’y avait ce terrible secret qui la fait grandir trop vite et qu’elle ne peut partager avec personne. Contrainte de fuir son île, elle va peut-être se libérer du poids qui lui coupe le souffle et se forger enfin un destin. Une magnifique histoire de résilience que la plume sensuelle, poétique et envoûtante de Marie-Virginie Dru, grande amoureuse du continent africain, fait vibrer tel un chant initiatique.



Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Aya est le premier roman de Marie-Virginie Dru, peintre et sculptrice dont l’œuvre est très inspirée par l’Afrique, et en particulier le Sénégal, où l’auteur a vécu et séjourne régulièrement.

 

 

Avis :

Merci à Babelio et à Albin Michel pour leur confiance et l’opportunité qu’ils m’ont offerte de lire Aya avant sa parution, dans le cadre de la Masse Critique.

Aya doit son prénom à son jour de naissance, « jeudi » en wolof. A Karabane, à la fois île et village situés à l'extrême sud-ouest du Sénégal, la vie s’écoule paisiblement, sauf pour la famille N’diaye qui cumule les coups du sort. A douze ans, Aya n’a depuis longtemps plus guère que son âge pour lui rappeler qu’elle est encore une enfant. Alors que son frère est parti tenter sa chance en France, ce pays de rêve où il est devenu un migrant parmi tant d’autres, Aya va aussi devoir quitter son île natale pour trouver refuge dans un foyer fondé à Dakar par des Françaises.

L’auteur a vécu au Sénégal et connaît très bien le pays. La Maison Rose de Dakar existe bel et bien. Dédiée aux femmes et à la réinsertion, elle a été fondée par une Française, Mona Chasserio, et la famille Dru y est très impliquée.

Le roman Aya est un hommage à l’action de Mona et de son équipe, qui ressemble tant à l’incessant et épuisant effort de Sisyphe mais qui est devenue leur raison de vivre, comme dans ce passage de Camus que, dans le roman, Mona connaît par coeur :
« A cet instant subtil où l’homme se retourne sur sa vie, Sisyphe, revenant vers son rocher, contemple cette suite d’actions sans liens qui devient son destin, créé par lui, uni sous le regard de sa mémoire et bientôt scellé par la mort. Ainsi, persuadé de l’origine tout humaine de tout ce qui est humain, aveugle qui désire voir, et qui sait que la nuit n’a pas de fin, il est toujours en marche. Le rocher roule encore. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un coeur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. Maintenant, il s’agit de vivre. »

Si Aya est un personnage imaginaire, il est un exemple sans doute parfaitement représentatif des femmes accueillies à la Maison Rose : meurtries, elles y apprennent à apprivoiser leur passé et à trouver l’élan nécessaire pour reprendre le cours de leur vie. En tout cas, on aimerait vraiment croire en ce fascinant portrait de petit bout de femme, dont quasiment rien n’arrive à arracher le sourire et dont la résilience est un message d’espoir pour toutes ses semblables, ainsi que pour les personnes qui tentent de leur venir en aide. Car rien n’est facile, ni gagné d’avance : la photographe Camille qui, bouleversée, tente de s’impliquer et passe à côté de toutes les occasions et opportunités, se décourage et s’empresse de rentrer chez elle.

Par son activité, on est tenté d’y voir un reflet de l’auteur, non pas photographe mais peintre sculpteur, inspirée dans ses œuvres par l’Afrique, et qui, elle aussi, tente de saisir des instants :
« C’est pour ça qu’elle aime tant faire des photos et capturer ce moment où tout s’aligne parfaitement. Saisir la perfection d’un paysage juste quand un nuage accentue la lumière, ou attraper le regard d’un étranger qui vous livre son âme à cet instant décisif. Clic-clac, avant qu’il ne soit trop tard. Imprimer la pellicule pour voler au temps une seconde d’éternité. »

Ce court roman à la fois fiction et projection d’une expérience personnelle, est écrit sans artifice, avec concision et sobriété. Pas de pathos, ni d’état d’âme. Juste un récit qui parle de lui-même et nous fait toucher des yeux et du coeur un bout d’Afrique, avec ses souffrances et ses bonheurs, de quoi insuffler un peu d’espoir dans un océan d’indifférence et d’incompréhension. Une lecture agréable et touchante, pleine d’humanité, au goût sucré-salé d’exotisme et de larmes. (4/5)

 

Citations :

C’est dans cette maison remplie d’histoires tristes à crever que j’ai découvert, comment dire… la joie. Oui, la joie. Pas celle que je connaissais avant. La vraie. La joie de ces femmes quand elles retrouvent la confiance. La joie d’être à nouveau appelées par leur prénom, d’avoir une identité.

- Tu étais heureuse avec ces malheureuses ?
- Oui, heureuse de servir enfin à quelque chose. Je les ai un peu aidées… Et j’ai beaucoup appris. C’est fou, à Paris, on a tout ce qu’on veut et pourtant on est tous dépressifs !
- Ca veut dire quoi ?
- Dépressif ? C’est quand on est triste tout le temps. C’est quand on voudrait faire l’autruche, enfoncer sa tête dans le sable et ne plus la sortir. C’est quand on est aussi faible que la feuille arrachée à l’arbre qui flotte sans savoir où elle va.
- Ah oui ! Chez nous, on sait pas être comme ça. On a mal au ventre, ou mal à la tête. Alors on dort et ça va mieux.
- Pourtant vous avez une vie pas facile, bien plus dure que la nôtre.
- Oui, madame toubab chérie, c’est ce que j’appelle la justice de Dieu ! Nous on n’a rien, mais on a la sourire dans le coeur, vous, vous avez tout, mais vous ne le voyez pas…

Depuis qu’il est dans ce pays dont il a tant rêvé, il est devenu transparent, on ne le regarde plus, ou de travers. Ses frères d’Afrique ont laissé leurs yeux chez eux, avec leurs souvenirs.

Pour eux, tu représentes une race à part : les migrants. Je suis devenu « les migrants », ils en parlent tant et tant. Jamais au singulier, ça nous donnerait trop de place, et ils en ont plus, des places, même avec la meilleure volonté. Et les migrants, c’est devenu un sujet dérangeant pour la société, il paraît. Alors, avec leurs barbes, leurs cheveux propres et leurs gentille manières, ils ont créée des « assosses » pour nous aider, nous les migrants dont on ne sait pas quoi faire. Ils sont guidés par des idées hautes, et descendent très bas avec ces rejetés. Ces Afros, ils sont si sales, si noirs, si rien.

Il croyait vraiment qu’en partant, il sauverait sa famille. Il s’est juste sauvé de sa vie. Il a pris le mauvais bateau, il a fait le mauvais choix. Il était trop jeune pour décider, il est trop vieux pour tout gommer. Rien ne peut le secourir. 


Le coin des curieux :

Depuis 2008, au cœur de Guédiawaye, une banlieue défavorisée de Dakar, au Sénégal, une maison peinte dans un rose lumineux, la Maison Rose, attire les regards. Le rez-de-chaussée abrite une petite manufacture de couture, où les ouvrières brodent à la main sacs, coussins ou vêtements, pour des marques souvent françaises, engagées dans la mode éthique.
Fondée par une Française, Mona Chassario, en collaboration avec l’association Unies vers'elle, la Maison Rose accueille des Sénégalaises en situation de précarité ou victimes de violences (viol, inceste, maltraitance, prostitution…), pour les aider à se reconstruire et à redonner un sens à leur vie. Deux marques françaises soutiennent son activité : la CSAO, Compagnie du Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest, gérée par Ondine Saglio, et Côme Éditions, créé par Clémence et Matthieu Dru.

Mona Chassario a un long passé d’entraide à des femmes en difficultés : pendant trente ans, elle s’est occupée de femmes parisiennes vivant dans la rue. Elle a quitté sa vie de famille confortable et son poste à responsabilité dans l’industrie pharmaceutique pour vivre deux ans dans la rue, aux côtés de ces femmes en souffrance. Elle a fondé l’association Coeurs de femmes et un centre d’accueil de jour avec capacité d’hébergement. Elle raconte son expérience dans son livre Coeur de Femmes, publié en 2005. Elle a notamment reçu le titre d’Officier de la Légion d’Honneur en 2008.

De sa rencontre avec Danielle Hueges, alors chargée de Mission pour le compte du Ministre sur le thème de la pauvreté, est née l’association Unies vers’elle, centrée sur un projet de co-développement au Sénégal.

A la Maison Rose, "il est impératif de ne jamais oublier que chaque enfant, chaque femme est unique, qu’il ne peut y avoir de certitudes. Il faut donc, constamment, adopter une position d’observation et de reconnaissance et exclure, immédiatement, tout jugement. La souffrance pousse à se fabriquer une carapace protectrice en mettant en place des mécanismes de défense qui se manifestent. Nous essayons de remettre les valeurs individuelles et de transformer le négatif en positif, de réparer ce qui a été cassé. Malheureusement, certaines femmes ne peuvent pas renaître. Pour toutes les autres, celles qui repartent, elles sont debout."    

A ce jour, La Maison Rose a accueilli plus de cinquante femmes majeures et près de 350 enfants mineurs. Plusieurs dizaines de bébés y sont venus au monde.



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