J'ai beaucoup aimé
Titre : Everglades (The Bell Tower)
Auteur : R.J. ELLORY
Traduction : Etienne GOMEZ
Parution : 2024 an anglais,
2025 en français (Sonatine)
Pages : 456
Présentation de l'éditeur :
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
R. J. Ellory est né en 1965 à Birmingham. Orphelin très jeune, il est élevé par sa grand-mère qui meurt alors qu'il est adolescent. Il est envoyé en pensionnat et c'est à cette période qu'il se découvre une véritable passion : la lecture. En dehors des périodes scolaires, il est livré à lui-même et se livre à de petits délits dont le braconnage, ce qui lui vaudra un séjour en prison. Cherchant une façon de s'exprimer artistiquement, R.J. Ellory monte d'abord un groupe de blues avant de se lancer dans la photographie.Son goût pour la lecture l'amène également à s'intéresser à l'alphabétisation et à faire du bénévolat dans ce domaine. Parallèlement et alors qu'il n'a que 22 ans, il commence à écrire. La vingtaine de romans qu'il écrit entre 1987 et 1993 ne trouvent, malgré ses tentatives acharnées, aucun éditeur des deux côtés de l'Atlantique. Il devra attendre 2003 pour que Papillon de nuit soit publié par Orion.
Le succès est quasiment immédiat. Il obtient le prix Nouvel Obs/BibliObs du roman noir 2009 pour Seul le silence son premier roman publié en France qui devient rapidement un best-seller. À travers toute son œuvre, Roger Jon Ellory met en scène dans de sombres fresques une Amérique meurtrière et rongée par la culpabilité, loin de l'Angleterre qui l'a vu naître.
Avis :
Au moment où s'ouvre aux Etats-Unis un « Alcatraz des Alligators », un centre de détention pour migrants implanté au coeur des hostiles marécages des Everglades en Floride, le dernier roman de R.J. Ellory fait d’autant plus frémir le lecteur. Lui aussi construit dans cette zone comme une île cernée par les prédateurs naturels, son pénitencier fictif, quant à lui réservé aux pires criminels, lui fait peser la question de la peine de mort dans une ambiance oppressante et explosive.
Contraint par les séquelles d’une grave blessure par balle à quitter ses fonctions de shérif adjoint du comté de DeSotto, Garett Nelson accepte comme un pis-aller un poste de gardien à la prison de Southern State. A mesure qu’il découvre l’univers carcéral, son organisation mais aussi ses règles tacites, ses réalités sordides et son atmosphère enragée, il lui semble bien vite se retrouver lui aussi enfermé dans ce qui ressemble à une cocotte-minute. Pourtant, le pire reste à venir quand il est nommé au bloc de haute sécurité, là où depuis que la peine de mort a été rétablie l’année précédente, en 1976, la chaise électrique et ses longues antichambres ont repris du service.
Pendant que la confrontation aux plus redoutables détenus et à leurs effroyables crimes commence à saper sa confiance en l’être humain et à lui faire voir le monde en noir, Nelson se prend à douter aussi bien de lui-même que des méthodes et du système pénitentiaires. Surtout quand il faut pactiser avec les fauves pour maintenir tant bien que mal la prison en-dessous du point d’ébullition, que, malgré tout, un suicide douteux y succède à une insurrection et à une évasion improbable venant renforcer les pressions politiques, qu’il faut mener à bien sans faiblir les spectaculaires et horrifiques exécutions par électrocution et que l’ancien enquêteur qu’il est se met à suspecter une erreur judiciaire.
Contraint par les séquelles d’une grave blessure par balle à quitter ses fonctions de shérif adjoint du comté de DeSotto, Garett Nelson accepte comme un pis-aller un poste de gardien à la prison de Southern State. A mesure qu’il découvre l’univers carcéral, son organisation mais aussi ses règles tacites, ses réalités sordides et son atmosphère enragée, il lui semble bien vite se retrouver lui aussi enfermé dans ce qui ressemble à une cocotte-minute. Pourtant, le pire reste à venir quand il est nommé au bloc de haute sécurité, là où depuis que la peine de mort a été rétablie l’année précédente, en 1976, la chaise électrique et ses longues antichambres ont repris du service.
Pendant que la confrontation aux plus redoutables détenus et à leurs effroyables crimes commence à saper sa confiance en l’être humain et à lui faire voir le monde en noir, Nelson se prend à douter aussi bien de lui-même que des méthodes et du système pénitentiaires. Surtout quand il faut pactiser avec les fauves pour maintenir tant bien que mal la prison en-dessous du point d’ébullition, que, malgré tout, un suicide douteux y succède à une insurrection et à une évasion improbable venant renforcer les pressions politiques, qu’il faut mener à bien sans faiblir les spectaculaires et horrifiques exécutions par électrocution et que l’ancien enquêteur qu’il est se met à suspecter une erreur judiciaire.
Avec son sens du suspense, ses personnages et situations campés au millimètre et ses dialogues plus vrais que nature, ce thriller noir embarque le lecteur dans un cheminement narratif addictif, mais surtout, impressionnant de vérité, chaque détail du niveau d’un reportage précis et documenté, le tout pour une réflexion argumentée et sensible sur la peine de mort au travers d’un homme qui, placé du côté de la loi, mais tiraillé entre morales sociale et personnelle, se prend à reconsidérer dubitativement ce qu’il est censé appliquer.
Beaucoup d’humanité donc, dans cet excellent polar social dont la franche noirceur se retrouve éclairée par les scrupules de personnages, pourtant ordinaires, mais capables, à leur échelle et malgré leurs incertitudes, de refuser les iniquités de la société. (4/5)
Citations :
Nelson se doutait bien qu’un tel investissement n’avait pas pu faire autrement que d’attirer le lot habituel de voleurs et d’escrocs. Plus les lumières sont grandes, plus noires sont les ombres.
Garrett doit comprendre où il met les pieds, dit Frank. S’il bosse là-bas, il a toutes les chances de ne pas être affecté seulement à Population générale. Dans le couloir de la mort, on a affaire à des gens qui savent qu’ils vont mourir dans le beffroi. En plus, ils savent quand et ils savent comment. De quoi devenir dingue. Tout ce qu’ils ont envie de faire, ils peuvent pas le faire. J’en suis témoin. J’en ai accompagné jusqu’à la chaise, et c’est pas beau à voir.
– Furman v. Georgia, ça vous dit quelque chose ?
– Je sais que c’est un arrêt qui a mis fin à la peine de mort, et qu’il a été renversé.
– Donc tous ces types ont pris perpète, vous voyez ? Vous dites à quelqu’un qu’il va mourir, ensuite vous lui dites que non, puis vous lui dites que vous avez changé d’avis et qu’il va quand même passer sur la poêle à frire… De quoi rendre dingue n’importe qui.
La majeure partie des gens s’imaginent une vie, puis passent toute leur vie à attendre qu’elle commence. D’autres optent pour une vie uniquement pour s’apercevoir ensuite qu’elle ne correspond pas à celle qu’ils s’étaient imaginée, sauf qu’il est trop tard pour changer.
Tu cours pas trop de danger pour le moment à Gen Pop, mais dans deux ou trois semaines ce sera Haute Sécurité. Là-bas, il y a les condamnés à perpétuité, et un condamné à perpétuité, c’est un animal différent. Soit il a fait un truc vraiment atroce, soit il a fait tout un tas de trucs et c’est la loi des trois prises, tu vois ? Pour certains, il y aura libération conditionnelle, mais ils seront vieux quand ça arrivera. Ils savent qu’ils boiront plus jamais, qu’ils baiseront plus jamais, que la voiture, les barbecues ou le stade, c’est fini. Ça les rend malades jusqu’au fond des tripes. Ils s’accrochent comme ils peuvent à une sorte d’amour-propre, d’illusion de contrôler leur existence, mais ils savent que c’est du vent. Ils font des gangs, des bandes, des petites confréries. Il y en a qui ont cambriolé des banques en réunion, qui connaissent d’autres personnes dans d’autres prisons. C’est comme s’ils parlaient une langue différente. Ils ont beau être au même endroit que les autres, ils se mélangent pas.
– Ça arrive que des agents soient blessés ?
– Aussi. Il y a eu des dents cassées. Un mec s’est fait pousser du haut d’un escalier il y a deux ou trois ans. On apprend à sentir ce genre de choses. On reste en alerte et on a des yeux derrière la tête. Il y a des signes qui ne trompent pas que quelque part un orage se prépare et on coupe court avant que ça pète.
– Si on faisait comme le dit Young, on appliquerait tout à la lettre. Les plannings, les créneaux, les privilèges, les sanctions, tout serait au cordeau. Mais dans le monde réel, on peut pas gérer une prison comme ça. Des fois, il faut laisser un peu d’espoir. Ces types sont coincés entre quatre murs près de vingt heures par jour. La bouffe est très moyenne, la cour est surpeuplée, il y a toujours trop de bruit pour qu’ils dorment bien, et souvent ils partagent leur cellule avec des gros cons qui ronflent comme des porcs et qui puent encore plus. C’est pas une vie facile. D’ailleurs c’est pas vraiment une vie. OK, pour la majeure partie d’entre eux, ils méritent exactement ce qui leur arrive, mais à force de pression on finit par craquer, il faut quand même bien comprendre ça. Et là, on se retrouve avec un gros paquet de merdes sur les bras. Il faut faire des exceptions de temps en temps. Des petites choses, hein ? Tu en vois un qui prend le dîner d’un autre, tu laisses couler. Tu en vois un qui donne des coups de pied à un autre, tu regardes ailleurs. Tu peux pas savoir ce qui se passe tout le temps. C’est impossible. Ces gens ont leurs codes à eux. Ils ont une façon de faire les choses qui d’ailleurs contribue au maintien de l’ordre.
Tu en connais un autre, toi, d’endroit où les gens passent leur temps à attendre leur mort ? Même en période de guerre, on espère s’en sortir vivant.
La cour derrière le bâtiment n’était pas tant une cour qu’un enclos grillagé réunissant une bonne vingtaine de cages de quatre mètres cinquante de long sur deux mètres cinquante de large ; elles permettaient aux détenus de voir le ciel une heure par jour. Entre deux et quatre par cage, ils parlaient et fumaient, soit en tournant en rond comme des bêtes, soit en restant debout sans bouger, les bras levés, les doigts accrochés au grillage, le visage tendu vers le ciel comme pour capter jusqu’à la moindre parcelle de lumière et d’énergie de l’atmosphère.
Pour le moment, et tant que t’auras pas trouvé tes marques, il y a que deux ou trois personnes dont il faut que je te parle. Au premier, c’est William Cain. Le big boss de la pègre. Il a un acolyte qui s’appelle Jimmy Christiansen. Au deuxième, c’est David Garvey. Cain et Garvey, ils puent à tous points de vue. S’il y a pas de problème, ils t’en créent un. Et s’il y en a un, ils t’épaississent la sauce. Comme partout, tu as une hiérarchie. C’est comme ça. Ceux qui ont vingt ou trente ans à tirer doivent assurer et maintenir leur statut. Il y a toujours un type prêt à le leur prendre s’ils le défendent pas.
– Et quel est leur statut ? Enfin, quoi, c’est pas eux qui tiennent les rênes, quand même ! »
Sheehan sourit.
« On a l’impression de commander. Et c’est sans doute le cas jusqu’à un certain point. Mais la seule chose qui les tient dans le rang, c’est un pacte.
– Un pacte ?
– La seule chose qu’ils veulent, c’est sortir. Du moins ceux qui le peuvent. Tant qu’ils restent dans le rang, ils gardent espoir. Pas beaucoup, on est d’accord, mais, tu vois, l’espoir, c’est tout. S’ils font trop chier, on peut leur balancer cinq ou dix ans de plus dans la gueule. C’est ça qu’ils craignent. C’est ça qui tient toute la baraque. Donc là est le pacte tacite. Tu laisses assez de bride à des gens comme Cain et Garvey pour leur donner l’impression de contrôler un peu les événements, et eux, en retour, ils t’aident à faire fonctionner tout ça.
L’hygiène des détenus était problématique. Entassez six cents hommes sur trois niveaux avec une ventilation minimale, des toilettes ouvertes dans les cellules, un système d’assainissement jamais amélioré depuis plus d’un demi-siècle, et l’air que ces hommes inhalaient, surtout les mois d’été, était quasi irrespirable. Les douches étaient organisées une fois tous les trois jours, à raison de cinquante détenus à la fois, mais le mélange d’eau tiède et de savon de mauvaise qualité n’était pas vraiment propre à atténuer cette puanteur permanente.
À 7 h 45 le mercredi 6 avril, le médecin de la prison procéda à une ultime auscultation de Jeffreys. Sans surprise, son pouls et sa pression artérielle étaient élevés, mais il fut déclaré en bonne santé. Là était sans doute l’ultime ironie. Pour l’État, il fallait être en assez bonne santé pour mourir.
Alcatraz, expliqua Frank un soir à la cantine. Les cellules d’isolement étaient pareilles. Pires, car il y avait pas de lumière. Les mecs étaient jetés là-dedans pendant des jours. Souvent ils devenaient dingues. Ils tournaient les boutons de leur uniforme pour les arracher et ils les balançaient dans le noir. Puis ils fouinaient à quatre pattes pour les retrouver, et ils recommençaient. Le tout était de s’occuper l’esprit par n’importe quel moyen. Al Capone est passé là-bas. Si la syphilis l’avait pas déjà rendu dingue, ce traitement aurait suffi.
Mais il avait beau essayer de ne plus y penser, une parole de Whitman rapportée dans un court article à peine une semaine après sa première condamnation ne cessait de revenir dans son esprit.
« On est comme des fruits mûrs. Prêts à cueillir. Les gens comme nous, on est toujours coupables tant qu’il n’y a pas encore plus coupable. »
Un détenu dans le couloir de la mort de Southern State était ainsi absolument déconnecté du monde extérieur. Pendant plus de vingt-trois heures par jour, il ne voyait que du béton. Si le plafond de chaque cellule avait une ouverture de trente centimètres sur vingt, elle-même constituée de trois couches de verre blindé, cela ne faisait pas grand-chose pour dissiper la morosité et les ténèbres à l’intérieur. Un néon, enchâssé dans une cage métallique très résistante, qui ne s’allumait qu’après le crépuscule, émettait une lumière jaune graisseuse et un bourdonnement subliminal incessant.
Le couloir entre les rangées de cellules était éclairé par une lumière crue qui permettait à l’agent de bien voir chaque porte. Tout au bout se trouvait une unique chaise en bois. Si un détenu était en surveillance suicide, la porte extérieure de sa cellule restait ouverte pour permettre l’observation.
Le couloir entre les rangées de cellules était éclairé par une lumière crue qui permettait à l’agent de bien voir chaque porte. Tout au bout se trouvait une unique chaise en bois. Si un détenu était en surveillance suicide, la porte extérieure de sa cellule restait ouverte pour permettre l’observation.
En repartant, il se dit que, pour les détenus, le temps n’avait pas de signification. Il n’y avait pas d’horloge, pas vraiment de lever ni de coucher de soleil, pas de distinction claire entre la nuit et le jour. Les secondes se brouillaient, devenaient des minutes qui devenaient des heures, des semaines et des mois. Une anecdote qu’il avait jadis entendue sur Alcatraz lui revint en mémoire. Peut-être apocryphe, elle disait que le pire soir de l’année, c’était celui de Noël. Le ciel était bleu, une brise arrivait de l’océan et, en retenant sa respiration, en tendant bien l’oreille, on entendait le tintement des verres et le rire des filles sur les bateaux dans la baie de San Francisco.
– Et on doit réconcilier nos scrupules moraux et éthiques avec notre devoir civique. »
Le père Donald eut un sourire mélancolique.
« La morale est une affaire de régulation sociale. L’éthique est purement personnelle, monsieur Nelson. Moralement, il est juste que Burroughs soit mis à mort. Éthiquement, on peut réprouver la peine capitale tout en admettant qu’elle est juste au point de vue moral.
– Du fait qu’elle est légale.
– Du fait que laisser un homme comme Burroughs continuer à faire ce qu’il a fait est un mal plus grand que le tuer. »
« La morale est une affaire de régulation sociale. L’éthique est purement personnelle, monsieur Nelson. Moralement, il est juste que Burroughs soit mis à mort. Éthiquement, on peut réprouver la peine capitale tout en admettant qu’elle est juste au point de vue moral.
– Du fait qu’elle est légale.
– Du fait que laisser un homme comme Burroughs continuer à faire ce qu’il a fait est un mal plus grand que le tuer. »
La pire manière de mourir, c’est pour rien, monsieur Nelson.
– C’est-à-dire ?
– Les gens qui attendent jusqu’à leur mort que leur vie commence. Les gens qui mènent leur vie en fonction des attentes des autres. Les gens qui passent leur temps à essayer d’être quelqu’un qu’ils ne sont pas. C’est eux qui, à la fin, se demandent s’ils ont fait quoi que ce soit d’important.
Je crois qu’on sera vite fixés. Sur la date, vous savez ? Et, oui, j’ai peur. Je ne vois pas comment on pourrait ne pas avoir peur. Mais je crois que ce sera aussi un soulagement. L’attente est pire que la sanction. Peut-être que c’est ça, le vrai châtiment.
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