J'ai beaucoup aimé
Titre : L'annonce
Auteur : Pierre ASSOULINE
Parution : 2025 (Gallimard)
Pages : 336
Présentation de l'éditeur :
Ils se sont rencontrés dans un pays en guerre. Raphaël est français,
étudiant à Paris, et s’est porté volontaire pour aider Israël, cette
jeune nation envahie par les armées de ses voisins. Esther est
israélienne, soldate, et travaille dans les services psychologiques de
l’armée. Ils ont vingt ans et aimeraient croire que c’est le plus bel
âge de la vie. Ce qu’ils vont partager pendant quelques semaines
modifiera à jamais leur rapport à la mort. L’un et l’autre devront
l’annoncer sans y être préparés.
C’était à l’automne 1973 pendant la
guerre du Kippour. Puis ils se sont perdus de vue, chacun dans son pays,
emmené par son destin. Jusqu’à ce que cinquante ans plus tard, jour
pour jour, la guerre frappe à nouveau...
Récit d’initiation et portrait d’une femme aimée, L’annonce interroge, avec le tragique de l’Histoire, ce qui subsiste de nos attachements malgré le passage du temps.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Romancier, biographe et journaliste, Pierre Assouline est membre de l’Académie Goncourt.
Avis :
Issu d’une famille juive séfarade et lié à Israël par un rapport identitaire profond – celui-là même qui l’avait poussé, à dix-neuf ans, à se porter volontaire pendant la guerre du Kippour en 1973 –, Pierre Assouline ne pouvait qu’être atteint au plus intime par ce qu’il nomme lui-même le pogrom du 7 octobre 2023. Ce choc ravive en lui non seulement la mémoire d’un engagement de jeunesse, mais aussi la conscience aiguë d’une continuité tragique : un demi-siècle a passé, l’homme a vieilli, mais la guerre demeure et Israël se retrouve une fois encore frappé au coeur.
L’annonce se construit précisément sur ce jeu de miroir entre 1973 et 2023, entre l’élan candide du jeune volontaire et la lucidité d’un homme mûr confronté à la répétition de l’Histoire.
Entre ces deux réalités se tient Esther, rencontrée en 1973, perdue de vue puis retrouvée en 2023, figure-pont entre les époques et reflet de l’état psychologique du pays. Personnage inventé, elle permet à Pierre Assouline de transposer son expérience dans une vérité romanesque plus large. Chargée par l’armée d’annoncer les décès, elle vit dans la fuite de l’annonce qu’elle redoute de recevoir un jour elle-même, comme si la violence finissait toujours par atteindre ceux qui la transmettent. Allégorie d’un Israël meurtri, elle incarne la peur, la fatigue et la sidération d’un peuple qui, de guerre en guerre, se sait toujours susceptible d’être frappé. À travers elle, c’est une nation entière qui apparaît suspendue entre mémoire et douleur recommencée, habitée par la conviction qu’elle n’a
« nulle part où aller » et que son seul horizon est celui qu’elle doit défendre pour survivre.
Si le roman puise dans un épisode réel de la vie de l’auteur, il ne s’agit pourtant pas d’un récit autobiographique. L’expérience personnelle n’est qu’un point d’appui, un tremplin vers une réflexion plus vaste sur la mémoire, la peur et la persistance des blessures collectives – là où la fiction, plus que le témoignage, permet d’atteindre une vérité émotionnelle et historique plus profonde. Car
L’annonce est aussi un livre résolument politique, très unilatéral dans sa légitimité, qui, dans un moment où les formes de haine se recomposent, s’insurge contre toutes les formes d’antisémitisme – frontales, quand elles prennent la forme de la guerre et du terrorisme ; mais aussi plus insidieuses, lorsqu’elles se dissimulent derrière le masque de l’
« anti-sionisme » –, soulignant la persistance d’une hostilité qui change de visage sans jamais disparaître.
Nourri de multiples références littéraires et musicales, au premier rang desquelles la présence insistante de Leonard Cohen et l’écho de
La femme fuyant l’annonce de David Grossman, ce mélange intime de fiction symbolique et de précision autobiographique tient du cri du cœur, entre fatigue et colère, dans sa manière de peindre l’enjeu plus que jamais existentiel d’une société israélienne contrainte de composer, dans sa chair comme dans son âme, avec une violence qui, génération après génération, continue de vouloir sa destruction. Sous l’engagement, le portrait meurtri et désenchanté d’un pays, depuis toujours acculé à lutter pour sa survie, au prix du désespoir et de traumatismes sans fin. (4/5)
Citations :
Il y a des moments dans la vie d’un homme où il n’y a pas à réfléchir ni à se réfugier dans la conscience et ses échappatoires, d’autant qu’elle ressemblait à un champ de bataille. Juste réagir. Kant l’avait écrit et mon prof de philo l’avait une fois soumis à notre sagacité : « Fais ce que dois, advienne que pourra ! » Une forte pensée pour l’avenir et un peu plus. L’une de ces rares décisions qui donnent l’impression, à l’instant même où vous la prenez, qu’elle changera votre vie.
On est juif par le sang reçu mais israélien par le sang versé.
Pour nous aussi c’était la guerre, car nous étions solidaires du pays dans lequel nous avions choisi de vivre à ce moment précis. Mais la guerre sans la faire. Un pays où l’on est constamment rattrapé par la situation,les événements, les nouvelles. Toutes choses qui se ramènent à une seule : la guerre sous une forme ou une autre.
Misère de l’homme sans aucun dieu. Comment font-ils, ceux qui ne sont pas habités par la moindre transcendance ?
Une paix partielle et fragile s’installa. Esther n’en était pas moins mobilisée par sa fonction. Encore des tirs, encore des morts. Et il y avait ces cadavres découverts sur le champ de bataille et enfin identifiés par les médecins légistes. Des disparus qui ne l’étaient plus. Parfois des soldats que l’on avait crus faits prisonniers et dont la dépouille pourrissait au soleil là où personne n’aurait eu l’idée d’aller les chercher. D’autres si commotionnés qu’ils souffraient de graves troubles mnésiques. Ce n’est pas parce qu’on a disparu qu’on est un déserteur. Ne pas savoir est une torture. Le doute, un sentiment corrosif. La guerre ne fait pas que des morts : elle tue aussi des vivants, mais plus lentement. Le calvaire n’en est que plus grand car ce n’est pas le corps mais l’âme qui est touchée.
J’avais rarement vu quelqu’un s’aimer autant tout en se donnant tant de mal pour se faire détester.
On ne trouve jamais la paix en évitant la vie. Il faut toujours l’affronter et l’affronter encore.
« On gagnera parce qu’on n’a pas le choix, n’oublie pas qu’on est dos à la mer. » Pour Israël, cette guerre était une guerre juste puisqu’elle répondait à une attaque massive, une volonté d’annihilation. Au-delà même de la nécessité de la contre-attaque, une évidence pour tout pays confronté à une semblable situation, sa dimension la justifiait. Il le disait avec ses mots à lui et l’impact que cela produisait était bien plus durable. Il répétait : « Comprenez bien, on n’a nulle part où aller, nulle part ailleurs qu’ici en Israël, chez nous. » Au fond, ce raisonnement, il n’y avait pas à en sortir, si on voulait s’en sortir.
Israël vivait dans la hantise d’une menace permanente. Ils intégrèrent ce spectre car il est aussi vieux que le pays, à croire qu’il lui est consubstantiel ; mais s’il a la vertu d’unifier le peuple, il n’est pas assez puissant pour l’empêcher de se désunir.
Les grands mensonges se fabriquent avec de petites vérités.
Depuis 1973, quelque chose s’est scindé en moi. En deux parties. Comme si j’étais coupé en Dieu. Quel Juif est né sur la même terre que son grand-père ? Je n’en connais pas. L’histoire les a destinés à être un peuple d’errants et de nomades. Jusqu’où nous mènera cette manie de se trouver des ancêtres plus anciens que la terre elle-même ? En retranscrivant ses cauchemars dans son Journal, Franz Kafka écrivait que, dans un monde où tout doit s’acquérir car rien ne nous est donné, le plus difficile est encore de partir à la conquête de son passé, cette chose étrange que tout individu croit recevoir gratuitement en héritage. Tout de même, de temps en temps, ce serait bien de se donner un autre avenir que notre passé. En tout cas, ce serait reposant. Combien de temps encore faudra-t-il s’acquitter de sa dette de malheur ? Il est hanté par des ombres errantes. Pas sûr que l’on gagnerait à les identifier. Laissons-les en l’état, elles finiront bien par nous lâcher un jour.
Un écrivain ne comprend ce qui lui arrive que lorsqu’il l’écrit.
Les Israéliens semblent parfois s’être enfermés dans une bulle cognitive qui les rendrait insensibles au sort des Palestiniens. C’était déjà vrai avant, ça l’est davantage encore à la faveur des événements.
Le maniaque du pourquoi est guetté par la folie s’il ne consent pas à la part d’irrationnel et d’absurde de l’humaine condition.
Du même auteur sur ce blog :