samedi 31 août 2024

[Faye, Gaël] Jacaranda

 




 Coup de coeur 💓

 

Titre : Jacaranda

Auteur : Gaël FAYE

Parution : 2024 (Grasset)

Pages : 288

 

 


 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Quels secrets cache l’ombre du jacaranda, l’arbre fétiche de Stella  ? Il faudra à son ami Milan des années pour le découvrir. Des années pour percer les silences du Rwanda, dévasté après le génocide des Tutsi. En rendant leur parole aux disparus, les jeunes gens échapperont à la solitude. Et trouveront la paix près des rivages magnifiques du lac Kivu.
Sur quatre générations, avec sa douceur unique, Gaël Faye nous raconte l’histoire terrible d’un pays qui s’essaie malgré tout au dialogue et au pardon. Comme un arbre se dresse entre ténèbres et lumière, Jacaranda célèbre l’humanité, paradoxale, aimante, vivante.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Auteur compositeur interprète, Gaël Faye est l’auteur du premier roman phénomène Petit pays (Grasset 2016, prix Goncourt des lycéens) ainsi que de plusieurs albums, de Pili pili sur un croissant au beurre (2013), à Mauve Jacaranda (2022). Il était la Révélation scène de l’année des Victoires de la musique 2018.

 

Avis : 

Dans la veine de son premier roman Petit pays qui, voilà huit ans, propulsait ce musicien et rappeur franco-rwandais sur le devant de la scène littéraire, Gaël Faye nourrit une nouvelle trame romanesque des dramatiques expériences de sa famille maternelle. Si Petit pays parlait d’une enfance, comme la sienne expatriée au Burundi après les premières vagues de persécutions des Tutsis au Rwanda en 1959, mais là aussi rattrapée par la guerre civile et ethnique qui y éclate en 1993, Jacaranda raconte les efforts d’un jeune homme versaillais, de père français et de mère rwandaise, pour reconstituer, malgré le silence familial, le parcours tragique des siens. Etagé sur quatre générations, le récit dessine en transparence le dernier siècle de l’histoire du Rwanda, des racines coloniales du génocide jusqu’à ses conséquences aujourd’hui, alors que le pays tente douloureusement de se reconstruire.

En 1994, Milan le narrateur a douze ans et se heurte sans comprendre au mutisme de sa mère qui, s’étant toujours soigneusement gardée d’évoquer son passé et son pays d’origine depuis son arrivée en France une vingtaine d’années plus tôt, se referme plus que jamais lorsque le génocide fait malgré tout effraction chez eux par le biais des médias. Dès lors et pendant ce qui durera une bonne partie de sa vie, Milan n’aura de cesse de comprendre les raisons du silence maternel. A mesure de ses séjours au Rwanda, le jeune homme passe progressivement d’une posture d’étranger que tout surprend, voire rebute, et qui lui vaut d’être traité en muzungu, autrement dit en Blanc malgré son teint métissé, à celle d’un véritable enfant du pays, aux attaches suffisamment puissantes pour qu’il n’ait plus envie de repartir et fasse sien le combat des habitants pour leur avenir.

Tout en retenue dans sa simplicité sobre et fluide, le récit s’avère fort didactique dans sa manière d’expliciter, au travers de personnages d’une authenticité manifeste, les tenants et les aboutissants du génocide rwandais. Et c’est pour le lecteur une vraie remise à l’heure des pendules qui s’effectue au fil des pages, alors que, bien loin de la représentation généralisée par les médias d’une déflagration de violence ethnique irrationnelle et barbare, l’on découvre les responsabilités occidentales dans l’instrumentalisation, initiée de longue date à des fins coloniales et politiques, des ressentiments entre ethnies. Et puis, maintenant que le pays est retombé dans l’oubli médiatique, se pose pourtant la question de l’après. Comment se reconstruire dans ce qui est devenu, « et pour longtemps encore, une société de défiance » ? Montrant, à travers son personnage Stella, les terribles répercussions psychiques sur les nouvelles générations quand elles sont privées de mots, l’auteur, par ailleurs secrétaire du Collectif pour les parties civiles du Rwanda fondé par ses beaux-parents, s’attaque ici à la chape du silence, tandis que se succèdent les commémorations indispensables à la mémoire et que les juridictions gacaca spécialement créées dans l’esprit des tribunaux communautaires villageois s’efforcent de couper court à l’engrenage du sang et de la vengeance.

Essentiel pour ce qu’il offre de compréhension intime du Rwanda et pour ce qu’il brise de silence, si pernicieux pour la résilience des nouvelles générations, ce second roman, incroyablement lumineux et facile à lire malgré l’extrême sensibilité de son sujet, mérite indéniablement le même succès que le multi-récompensé Petit Pays. Coup de coeur. (5/5)
 

 

Citations : 

— Pourquoi tout le monde me dévisage ?
— Quoi ?
— Mais regarde, tout le monde me fixe, c’est flippant ! Pourquoi ils font ça ?
— Ah ça… C’est parce que tu es blanc.
— Blanc ? Pas du tout. Je suis autant blanc que noir.
— Qu’est-ce que tu racontes ? T’es blanc. Pur blanc. Comme ta mère d’ailleurs. C’est une Noire devenue blanche.
— N’importe quoi… Ma mère est aussi noire que toi.
— Ta mère, rien qu’à ses manières, sa démarche, ses habits, on sait très bien qu’elle est blanche. C’est comme toi, tu ne peux pas le cacher. Faut accepter, c’est tout, pas besoin de se vexer. — Je ne suis pas vexé. Je dis simplement que je suis métis.
— Quoi ?
— Je suis métis.
— Ah oui, métis… Oublie ça. T’es un muzungu. Blanc comme neige, c’est tout. Métis, ça n’existe pas.
 

Tu viens ici en touriste et tu repartiras en pensant avoir passé de bonnes vacances. Mais on ne vient pas en vacances sur une terre de souffrances. Ce pays est empoisonné. On vit avec les tueurs autour de nous et ça nous rend fous. Tu comprends ? Fous !
 

Tu sais, l’indicible ce n’est pas la violence du génocide, c’est la force des survivants à poursuivre leur existence malgré tout.
 

Partout, il y avait ces visages banals, ces gens normaux, ces hommes et ces femmes ordinaires capables d’atrocités inimaginables et qui étaient parmi nous, autour de nous, avec nous, vivant comme si rien de tout cela n’avait jamais existé. Et sous la terre que nous foulions tous les jours, dans les champs, dans les forêts, les lacs, les fleuves, les rivières, dans les églises, les écoles, les hôpitaux, les maisons et les latrines, les corps des victimes ne reposaient pas en paix. J’avais envie de m’enfuir, de quitter cette terre de mort et de désolation. Après tout, je n’appartenais pas à ce monde, ma mère m’avait mis en garde, je ne l’avais pas écoutée. J’aurais voulu l’appeler, m’excuser de n’en avoir fait qu’à ma tête et la remercier d’avoir essayé de me protéger de cette histoire dont elle connaissait le hideux visage. Cette idée me traversait, puis je pensais aussitôt à Claude, à Eusébie, à Stella, et quelque chose se fissurait en moi qui laissait passer un soleil insensé, la possibilité, malgré tout, de la vie et de la beauté.
 

Il faut se souvenir que les Tutsi ont été tués non pas pour ce qu’ils pensaient ou ce qu’ils faisaient mais pour ce qu’ils étaient. Nous devons continuer à raconter ce qui s’est passé pour que cette histoire se transmette aux nouvelles générations et ne se reproduise jamais plus nulle part. 
 

Tu sais ce que je leur reproche le plus, à tous ces gens (…) ? C’est d’avoir créé, et pour longtemps encore, une société de défiance.


 

4 commentaires:

  1. J'ai hâte de découvrir ce roman, qui semble plein d'humanité. Un sujet essentiel, de toute évidence traité avec une belle sensibilité.

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  2. Coucou !! J'avais beaucoup aimé Petit pays (8 ans déjà, en effet !), donc je me note celui-ci pour la rentrée littéraire, mais ça bouchonne déjà pas mal hihihi !

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