dimanche 25 août 2024

[Cavalier, Philippe] Le parlement des instincts

 




 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le parlement des instincts

Auteur : Philippe CAVALIER

Parution : 2023 (Anne Carrière)

Pages : 752

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

1582, grand-duché de Toscane. Ilario d’Orcia apparaît sur la scène du monde. Par la plus petite porte, et en en conservant les proportions, puisque sa taille ne dépassera jamais celle d’un enfant. Mais si son corps est nain, son intelligence est vive et son appétit de savoir impérieux.
Moinillon, peintre, ermite, médecin ou prophète, Ilario parcourt une Europe où se flétrissent les espérances d’une Renaissance désormais moribonde. De Venise à Rome et de Malte à Prague, c’est l’avènement du Baroque, un âge d’ambitions, de découvertes et d’excès. C’est le temps de Kepler, Faust et Caravage, une parenthèse sensuelle et dangereuse où tous les futurs sont possibles au point qu’un homme contrefait peut se rêver doge de la plus belle cité qui fût jamais.
Voyage gigantesque et frénétique accompli par un tout petit homme, Le Parlement des instincts est une épopée fabuleusement généreuse et inventive, une expérience de lecture colossalement immorale, dont les férocités joyeuses exaltent le souffle du langage, la force du rire et la souveraine puissance des Arts.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Ancien élève de l'Ecole pratique des hautes études en sciences religieuses et diplômé de l'Institut national des langues et civilisations orientales, Philippe Cavalier se passionne pour l'Histoire et les pratiques religieuses et ésotériques. Il est l'auteur du Siècle des chimères (4 tomes, 2005-2008), d'Une promenade magique dans Paris, du Marquis d'Orgèves (3 tomes et intégrale, 2011) et de Hobboes (2015)

 

Avis :

Déposé nourrisson aux portes d’un monastère toscan parce qu’atteint de nanisme, Ilario le narrateur est, en cette fin de XVIe siècle, élevé à la dure au sein de l’orphelinat tenu par les moines. Son intelligence et sa soif d’apprendre lui valent d’être soustrait au harcèlement des autres enfants pour faire l’apprentissage de la lecture, de l’herboristerie et de l’anatomie auprès d’un moine érudit. Son esprit désormais ouvert à la connaissance n’a bientôt de cesse de s’envoler au-delà de l’enceinte monastique. Commence alors une longue épopée picaresque qui, de rencontres plus ou moins mauvaises en choix plus ou moins bons, va le mener à travers l’Europe de la Renaissance.

Des espions et des maîtres verriers de la Sérénissime République de Venise aux mœurs agitées du Caravage à Rome, Naples, puis Malte, du fond des mines de cobalt en Europe centrale à la Cour de l’Empereur Rodolphe II de Habsbourg à Prague, enfin d’un ermitage en compagnie d’un lion à la croisade d’une magnétique prédicatrice, tel est le passionnant voyage, aux aventures toutes plus rocambolesques les unes que les autres, auquel nous convie ce roman-fleuve découpé en cinq parties symbolisant les étapes de la vie. Entre les germes de l’enfance et la résignation de la vieillesse, s’écoulera un destin en forme de montagnes russes dont un tirage de tarot avait dès le début prédit les grandes lignes, mais qui devra beaucoup à l’extraordinaire instinct de survie d’Ilario, lui que Dame Nature avait pourtant bien mal loti au départ.

D’une manière qui fait penser à la Traversée des Temps d’Eric-Emmanuel Schmitt, le récit commenté avec humour au long d’intéressantes et didactiques notes de bas de page est l’occasion d’une immersion historique riche et vivante qui, adoptant délicieusement et fort naturellement les tournures de langage d’alors, se nourrit avec aisance d’une documentation colossale et d’une érudition teintée de dérision. Au prétexte de péripéties agréablement fantaisistes, l’on se délecte ainsi de la finesse d’évocation de l’époque, au travers notamment de quelques unes de ses grandes figures, mais surtout de ses débats artistiques, religieux et philosophiques, alors qu’après la Renaissance et sa profonde transformation de la représentation du monde, d’autres bouleversements annoncent déjà l’âge baroque.
 
Fort de sa riche et érudite trame historique, de son personnage picaresque si humain et faillible dans ses aspirations et ses travers, enfin de son humour et de sa plume tout droit sortie d’un encrier du XVIIe siècle, ce pavé soigné de plus de sept cent cinquante pages, qui ne connaît aucune baisse de rythme au long de ses aventures foisonnantes et qui offre un véritable bain culturel dans l’Europe de l'époque, se déguste avec autant d’amusement que d’intérêt. (4/5)

 

Citations :

Cependant, si ma laideur fut mon fardeau, elle fut aussi ce pourquoi j’ai contemplé le monde tel que peu l’ont vu. C’est qu’il y a quelques privilèges à être monstre, et même, parfois, un peu de bonheur aussi. Je ne mens pas. J’ai vendu mes difformités comme les belles filles sans le sou prostituent leurs grâces. Beauté et laideur ont ce point en commun d’allumer la fascination chez les bienheureux qui n’en sont point affligés, car il n’y a pas loin de la répulsion à l’attraction et les faveurs accordées si aisément à l’une peuvent, par perversité, se céder parfois à l’autre. 


Le rire, Ilario ! Laisse-moi te dire en vérité ce qu’il en est : c’est une arme ! Une arme bien plus acérée que ne le sera jamais n’importe quelle épée, et de portée plus longue que n’importe quelle bombarde, si gros qu’en soit son canon. C’est une arme qui traverse temps, matière et espace pour foudroyer sa victime en autant de coups qu’il se trouve de rieurs ! Une arme qui, en trois mots finement agencés, souille à jamais n’importe quelle réputation ; rabaisse n’importe quel rang ; ridiculise n’importe quel prétentieux. Personne n’est à l’abri du rire ! Pas un benêt, pas un savant, pas une femme ni un homme, aussi couronné soit-il ! (…)
Ce n’est pas tout. Le rire, étant donc une arme, est également signe de reconnaissance entre beaux esprits. On peut dire une chose en riant et en faire comprendre une autre à qui est familier du double sens. Les sots ne font que s’esclaffer de la grossièreté, alors que les sages saisissent la pensée interdite voilée sous la vulgarité de la forme. Le rire, Ilario, a cette puissance rare – une puissance triple – de leurrer les ignares, de scandaliser les tièdes mais d’édifier les êtres de raison percevant au-delà des apparences. Je te le redis : le rire est une arme parce que le rire est un code !


 

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