mardi 13 février 2024

[Marten, Eugene] En aveugle

 

 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : En aveugle (In The Blind)

Auteur : Eugene MARTEN

Traduction : Stéphane VANDERHAEGHE

Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2003,
                  en français en 2024 (Quidam)

Pages : 304

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

Un homme sorti de prison revient sur les lieux de son passé douloureux, une ville qu’il n’est plus sûr d’avoir connue et où grouille une misère anonyme. En quête d’une deuxième chance, il trouve une chambre dans un quartier mal famé. Le désœuvrement le conduit chez un serrurier d’origine syrienne, qui le prend sous son aile et lui apprend les ficelles du métier. De quoi lui fournir un salaire – et un peu de contact humain. Mais à quel prix retrouver une forme de liberté ?
En aveugle navigue entre les souvenirs d’une vie définie par la perte, la déchéance et l’espoir d’un avenir qui ne se laisse pas facilement gagner, car encore faut-il en trouver la clé.
D’une richesse et d’une force imparables, roman social autant qu’existentiel, avec ses allures de polar En aveugle ausculte la violence inhérente au rêve américain et démonte l’inéluctable engrenage conduisant à l’exclusion. Un texte doté de l’extraordinaire précision du Suttree de Cormac McCarthy, doublé de l’étrange mystère logé au cœur de Body Art de Don DeLillo.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Eugene Marten est né en 1959 à Winnipeg, Manitoba. Il vit à Cleveland, Ohio. Il est l’auteur de cinq romans. Remarqué par le célèbre éditeur américain Gordon Lish, Marten a reçu le soutien d’auteurs comme Sam Lipsyte, Brian Evenson, ou encore Blake Butler, qui tous parmi d’autres vantent l’économie et la précision de son écriture. Loin des tendances maximalistes qui ont fait les beaux jours de la littérature américaine contemporaine (de Thomas Pynchon à D.F. Wallace, par exemple), l’œuvre de Marten joue sur l’ellipse, l’implicite, le non-dit pour décrire une Amérique peu reluisante, se complaisant dans sa propre médiocrité. De texte en texte, Marten ausculte la part sombre et occultée du rêve américain, auquel ses personnages aimeraient prétendre sans jamais y parvenir.

 

 

Avis :

Après la traduction de l’abasourdissant Ordure en 2021, les éditions Quidam poursuivent la promotion française de l’une des voix les plus singulières de la littérature américaine avec cet autre ouvrage, tout aussi peu ordinaire, publié dans sa version originale en 2003.

Manifestement tout juste libéré après une longue incarcération, le narrateur revient dans sa ville. Sans papiers, sans ressources ni logement, seul, il finit par se dégoter, assez fortuitement, un emploi quelque peu incertain dans une serrurerie tenue par un Syrien. La première partie du récit le voit organiser tant bien que mal son nouveau quotidien, un peu comme un naufragé, ayant inespérément agrippé une planche, s’évertuerait à résister au courant qui l’aspire vers le fond. Pas d’autre choix que de mettre de côté la détresse et la mélancolie qui suintent entre les mots, tant pis si la chambre louée à la semaine empeste la vieille moquette et grouille de cafards, la misère emplit les rues crasseuses du quartier de ceux qui n’ont même pas cette chance. Alors, reste à apprendre sur le tas, sans compter la sueur ni les heures, ce métier des clés et des serrures qui conduira le traducteur à remercier une source pour son expertise « dans le domaine de la serrurerie et du crochetage. »

Mais, plus le roman déploie, avec une minutie confondante, ses descriptions du travail sur les serrures, laissant toute la place au nouveau rôle, distribué par le sort, auquel le personnage s’efforce de se plier avec le pragmatisme résigné de qui s’est habitué à devoir s’adapter pour survivre, plus les ellipses ménageant de vertigineux aperçus sur le passé terrible du narrateur creusent leur trou noir. Progressivement suggérés au travers des mailles du récit, comme autant de pièces éparses d’un puzzle incomplet, commencent à s’assembler dans l’esprit du lecteur les éléments d’un tragique engrenage qui, malgré la culpabilité et le remords, n’a pas fini de dérouler sa spirale infernale. Dès lors, empruntant certains codes au polar et jouant à nous surprendre de ses bifurcations inattendues, la narration accélère la descente aux enfers de son principal protagoniste. Dans cette Amérique peinte en un noir profond, celui de la misère et du désespoir, gare à celui qui dérape et lâche la rampe de l’escalier social : l’exclusion est une trappe qui ne recrache jamais ses proies.

Entre étrangeté et mystère, un livre encore une fois puissamment elliptique et déstabilisant, absolument original, de la part d’un auteur décidément hanté par la violence sociale et l’exclusion dans des Etats-Unis aux antipodes du rêve américain. (4/5)

 

 

Citation :

Le klaxon, les herbes, l’homme éjecté à une douzaine de mètres. Une de mes chaussures s’est détachée. La dernière fois que j’ai eu le souffle coupé comme ça, j’étais gosse. Mes poumons semblaient avoir été aplatis. J’ai tenté d’y faire descendre de l’air et j’ai entendu un bruit ressemblant à un grognement, mais à l’envers. J’avais oublié comment faire, m’y prenais de travers. Ça faisait moins mal de ne rien faire, mais dès lors que votre corps a décidé de vivre, il essaie par tous les moyens, même si ça doit vous tuer.

 

 

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