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Titre : Okavango
Auteur : Caryl FEREY
Parution : 2023 (Gallimard Série Noire)
Pages : 544
Présentation de l'éditeur :
Engagée avec ferveur dans la lutte antibraconnage, la ranger Solanah
Betwase a la triste habitude de côtoyer des cadavres et des corps
d'animaux mutilés.
Aussi, lorsqu'un jeune homme est retrouvé mort en plein cœur de Wild Bunch, une réserve animalière à la frontière namibienne, elle sait que son enquête va lui donner du fil à retordre. D'autant que John Latham, le propriétaire de la réserve, se révèle vite être un personnage complexe. Ami ou ennemi ?
Solanah va devoir frayer avec ses doutes et une très mauvaise nouvelle : le Scorpion, le pire braconnier du continent, est de retour sur son territoire...
Premier polar au cœur des réserves africaines, Okavango est aussi un hymne à la beauté du monde sauvage et à l'urgence de le laisser vivre.
Aussi, lorsqu'un jeune homme est retrouvé mort en plein cœur de Wild Bunch, une réserve animalière à la frontière namibienne, elle sait que son enquête va lui donner du fil à retordre. D'autant que John Latham, le propriétaire de la réserve, se révèle vite être un personnage complexe. Ami ou ennemi ?
Solanah va devoir frayer avec ses doutes et une très mauvaise nouvelle : le Scorpion, le pire braconnier du continent, est de retour sur son territoire...
Premier polar au cœur des réserves africaines, Okavango est aussi un hymne à la beauté du monde sauvage et à l'urgence de le laisser vivre.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Caryl Férey est écrivain, voyageur et scénariste – cinéma et BD. Multiprimé, il s’est imposé comme l’un des meilleurs auteurs de thrillers avec Zulu, puis Mapuche, Condor, Paz et la série Mc Cash, tous parus à la Série Noire.
Avis :
Voyageur impénitent, Caryl Férey est bien connu pour ses romans noirs sur fond de critique sociale, dans des pays encore endoloris par leur passé récent, qu’il s’agisse de colonisation, d’apartheid ou de dictature. Il revient cette fois de la Namibie et de ses immenses réserves d’animaux sauvages, avec un ethno-polar qui s’attaque au trafic d’espèces animales protégées, quatrième commerce illégal le plus lucratif au monde.L’Okavango est un fleuve endoréique : ses eaux se perdent dans le désert du Kalahari après avoir serpenté entre Angola, Namibie et Botswana. Dans cette région d’Afrique australe, de vastes réserves s’efforcent de protéger une faune menacée par la bêtise et la cupidité humaines, alors que devenues rares à force d’extermination, certaines espèces recherchées pour l’ivoire, la kératine soi-disant aphrodisiaque de leurs cornes, ou la simple possession de trophées, voient leur cote croître toujours plus haut sur les marchés noirs du braconnage et des trafics internationaux. Pour cet « or à sang chaud » se battent de vastes organisations criminelles dotées de puissants moyens de persuasion, entre armes lourdes et corruption. C’est donc à une véritable guerre, opposant d’un côté les rangers et la police, de l’autre un groupuscule commandité par un ancien chef militaire, dit le Scorpion, qu’un premier meurtre commis sur les terres de Wild Bunch, la réserve du riche écolo misanthrope John Latham, va insensiblement mener.
Au beau milieu du conflit, une femme ranger, Solanah Betwase, va devoir faire le tri entre vrais et faux appuis. Non seulement l’argent peut retourner n’importe qui parmi les misérables populations locales, mais les alliés les plus évidents réservent aussi leurs lots de surprises. Ainsi le propriétaire de la réserve, au passé bien trouble, et même le propre époux et supérieur de notre justicière, égaré dans sa jalousie. Entre polar et roman d’aventures distillant nombre d’informations édifiantes sur cette région d’Afrique, sur le triste sort de sa population martyrisée et sur les enjeux qui continuent à décimer une faune pourtant protégée, la tension s’installe dans une ambiance d’emblée sanglante, les plus grands fauves ne s’avérant pas forcément ceux que l’on croit.
Indéniablement addictif, le récit qui, à mesure que l’action s’emballe jusqu’à son dénouement guerrier, abandonne peu à peu les nuances au profit du grand spectacle, de la romance assez convenue et d’une justice pour le moins radicale, se commet sans doute à vouloir trop plaire et divertir pour demeurer totalement convaincant. S’il conjugue suffisamment d’intérêt didactique, d’action cinématographique et de bluette sentimentale pour satisfaire honnêtement un large public, on pourra largement lui préférer le très documenté et bien plus crédible Ivoire de Niels Labuzan, davantage holistique dans son approche de la même thématique.
Aux bémols près de ses aspects les plus racoleurs, Okavango reste un polar instructif et efficace, sur les beautés d’un monde sauvage condamné par l’idiotie et la rapacité des hommes. (3/5)
Citations :
Pouvant nomadiser sur un territoire de dix mille kilomètres carrés, les pachydermes connaissaient par cœur les lieux de leurs ressources, cultivaient leur paysage, comme les petits plans d’eau autour desquels ils gardaient une clairière dégagée pour se prémunir des attaques. N’étant pas épargnés par les insectes suceurs de sang, ils confectionnaient des tapettes à mouches à partir de buissons, coinçaient les bâtons qu’ils n’utilisaient pas derrière l’oreille, comme des artisans avec un crayon. Ils reconnaissaient jusqu’à cent individus au son de leur voix et se déplaçaient selon une hiérarchie bien intégrée par la troupe – si l’on déposait devant la meneuse l’urine fraîche d’un éléphant qu’elle savait derrière elle, cette dernière restait déconcertée – comment un proche pouvait-il se trouver à la fois devant et derrière ?
Les éléphants d’Afrique ne vivront plus jamais comme avant le massacre des « grandes défenses ». Ils se sont adaptés au trafic d’ivoire : leurs défenses ont raccourci.
L’Occident désignait comme nature des territoires inertes ou à exploiter massivement, sanctuarisait quelques parcs voués à la récréation, à la performance sportive ou au ressourcement spirituel : jamais il n’était question d’y habiter. En Afrique, les autochtones étaient même sommés de quitter leurs terres au nom de la préservation exclusive d’animaux sauvages, ceux-là mêmes que l’Occident avait majoritairement exterminés. Un nouveau colonialisme vert. Les aides financières liées à la bonne gouvernance des parcs nationaux poussaient les populations locales à migrer, réfugiés écologiques bientôt incapables de s’intégrer sur des terres où ils ne connaissaient personne.
Les livres de sa bibliothèque étayaient ce qu’il voyait tous les jours : la seule différence importante entre les espèces était le degré supérieur de l’esprit de coopération humain. Beaucoup de vertébrés possédaient une vie affective comparable, ressentaient le chagrin, la peur, l’amour, la joie ou le désarroi, ils se soignaient avec des plantes, d’autres veillaient à la non-transmission des maladies, certains se droguaient, comme ces ours revenant tous les jours à un dépôt de kérosène, ces abeilles alcoolisées qui se voyaient interdites de vol par leurs congénères ou ces dauphins qui se passaient des poissons-globes hautement toxiques comme un joint aquatique. Les oiseaux chantaient, et même jouaient quand ils avaient séduit une femelle, sans autre but que de s’amuser, comme les bonobos jouaient à colin-maillard avec des feuilles de bananier, pour rire. Mais contrairement aux humains, qui respectaient peu le réflexe de fuite, aucun animal ne se faisait exploiter, pervertir, humilier, insulter, torturer, aucun animal n’aimait avoir peur, faire de ses semblables des prisonniers, ou des esclaves.
La guerre de l’humain contre l’animalité s’était répandue sur tous les continents : pièges, lances, poisons, fusils, armes automatiques et engins de guerre, les champs de bataille étaient jonchés de cadavres de rangers morts en mission et de braconniers anonymes manipulés par des trafiquants intouchables. John avait étudié le sujet. Les « prélèvements » d’animaux sauvages se déroulaient surtout ici, en Afrique, avant que le produit (vivant ou mort) soit expédié vers une clientèle majoritairement asiatique, qui s’arrachait ces trésors. On les retrouvait dans des sacs de cacao ou des chargements de bois, regroupés dans les ports sous de fausses appellations, « plastique à recycler », « bœuf congelé », « pétales de rose », mélangés à d’autres viandes ou poissons « légaux » ; le butin voyageait par containers, bateaux de pêche ou simples mules qui rivalisaient d’ingéniosité pour passer entre les mailles des filets, les contrevenants s’en sortant généralement avec une amende dérisoire. Un trafic mondial dont seuls dix pour cent des mouvements étaient saisis. Les combines allaient du scanner débranché par des douaniers corrompus avant l’embarquement du passeur à la complicité des agences ministérielles, chefs de police, intermédiaires bureaucrates, rangers ou villageois locaux. On spéculait sur les espèces les plus menacées et, quand l’imminence d’une extinction provoquait l’envolée des cours de la Bourse faunique, on s’acharnait.
Ivoire, cornes, peaux, écailles de pangolin, dents, griffes, testicules, tout se vendait sur les marchés parallèles, alimentés par des tueurs professionnels ayant combattu dans différents conflits et qui n’avaient pas peur des brigades anti-braconnage. Ces groupes armés provoquaient la dislocation des communautés locales et l’instabilité politique et finançaient le terrorisme – Boko Haram et Al-Qaida participaient au trafic –, précipitant l’extinction en cours. Une extinction exponentielle, comme l’avaient subie les peuplades qui considéraient la terre comme leur mère nourricière, privées de l’imaginaire qui fondait leur entité, exactement comme les animaux dans un zoo. Voilà l’avenir que l’homme moderne réservait aux bêtes sauvages : une prison. Un cachot avec des barreaux de fer dans la tête, qui leur feraient perdre jusqu’à l’idée même de liberté.
Ivoire, cornes, peaux, écailles de pangolin, dents, griffes, testicules, tout se vendait sur les marchés parallèles, alimentés par des tueurs professionnels ayant combattu dans différents conflits et qui n’avaient pas peur des brigades anti-braconnage. Ces groupes armés provoquaient la dislocation des communautés locales et l’instabilité politique et finançaient le terrorisme – Boko Haram et Al-Qaida participaient au trafic –, précipitant l’extinction en cours. Une extinction exponentielle, comme l’avaient subie les peuplades qui considéraient la terre comme leur mère nourricière, privées de l’imaginaire qui fondait leur entité, exactement comme les animaux dans un zoo. Voilà l’avenir que l’homme moderne réservait aux bêtes sauvages : une prison. Un cachot avec des barreaux de fer dans la tête, qui leur feraient perdre jusqu’à l’idée même de liberté.
Les abattages d’animaux sauvages étaient strictement réglementés en Namibie, la chasse dite sportive se monnayait – des dizaines de milliers de dollars le trophée, réinjectés dans le système de protection de la faune – et la viande était donnée aux villageois voisins. Un business légal qui attisait certaines imaginations. Jusqu’à récemment, l’Afrique du Sud autorisait l’exportation des squelettes de lions d’élevage : deux cents enclos abritaient entre six et huit mille fauves, dont plusieurs centaines étaient tués chaque année, le plus souvent d’une balle à bout portant par des clients venus du monde entier, heureux d’étaler ensuite les peaux et les crinières dans leurs villas ou leurs yachts. Quant aux os de lion, à raison de soixante-dix tonnes par an, les analystes de la Bourse faunique faisaient grimper les prix, jusqu’à trois mille cinq cents dollars le kilo ; crânes, griffes et crocs étaient récoltés par les éclaireurs des filières asiatiques qui, installés en Afrique, voyaient là un dérivatif au tigre, devenu rare et donc hors de prix.
Un consortium pétrolier avait commencé le forage et la construction d’oléoducs pour exploiter des réserves du continent, qui dépassaient les cent milliards de barils, avec l’assentiment des États accueillant les concessions. De nombreux territoires protégés étaient menacés par les dommages collatéraux, dont certaines réserves de la KaZa, ainsi que des peintures rupestres du Botswana, sur le site archéologique de Tsodilo Hills. Même le delta de l’Okavango était pillé depuis des mois par une multinationale pétrolière, les protestations des riverains, les pétitions citoyennes et le soutien d’artistes demeurant lettre morte.
— On envisage même de déplacer les parcs nationaux selon le tracé des lieux de forages, et bien sûr les populations qui vivent là, sans leur demander leur avis, gronda Solanah, très au courant du projet. J’aimerais voir la tête des Occidentaux si des experts africains venaient leur dicter quoi faire sur leurs propres territoires, quelle espèce protéger et quelle population expulser en conséquence : tu nous imagines, virant la population entière de l’Arkansas pour la sauvegarde d’un oiseau rare ? Quand un ours ou un loup est réintroduit en Europe, il faut tout de suite le tuer, tandis qu’en Afrique c’est aux populations de dégager.
— On envisage même de déplacer les parcs nationaux selon le tracé des lieux de forages, et bien sûr les populations qui vivent là, sans leur demander leur avis, gronda Solanah, très au courant du projet. J’aimerais voir la tête des Occidentaux si des experts africains venaient leur dicter quoi faire sur leurs propres territoires, quelle espèce protéger et quelle population expulser en conséquence : tu nous imagines, virant la population entière de l’Arkansas pour la sauvegarde d’un oiseau rare ? Quand un ours ou un loup est réintroduit en Europe, il faut tout de suite le tuer, tandis qu’en Afrique c’est aux populations de dégager.
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