samedi 28 janvier 2023

[Kitson, Mick] Poids plume

 


 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Poids plume
            (Featherweight)

Auteur : Mick KITSON

Traduction : Céline SCHWALLER

Parution : en anglais (Ecosse) en 2021
                  en français (Métailié) en 2022

Pages : 320

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

À la fin du XIXe siècle, dans une Angleterre digne de Dickens et des Peaky Blinders, Annie Perry, une petite gitane abandonnée par sa famille, est élevée par un champion de boxe à mains nues, un géant aussi alcoolisé que tendre qui rêve d’ouvrir un pub.

Dans une région qui sent la bière et la boue sèche, qui subit les grèves de l’usine de clous et les caprices des Lords douteux, Annie apprendra que dans la vie il ne faut pas seulement se battre, mais il faut savoir très bien le faire.

Entre coups de poing et coups de cœur, fêtes foraines et matchs de boxe illégaux, une aventure réjouissante où l’art de l’esquive, la souplesse et la rapidité de poids plume d’une héroïne sauvage et attachante l’aideront à contourner la noirceur de la révolution industrielle et la découverte des États-Unis.

Inspiré par l’histoire de son arrière-grand-mère, Mick Kitson signe un roman lumineux où les femmes ne font pas que se défendre, elles se battent.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Mick KITSON est né au Pays de Galles et a étudié l’anglais à l’université avant de lancer le groupe de rock The Senators dans les années 80, avec son frère Jim. Journaliste pendant plusieurs années, il est devenu professeur d’anglais. Il vit dans le Fife, en Écosse, il aime pêcher à la mouche, jouer du banjo, cultiver des framboises, construire des bateaux. Il est l’auteur de Manuel de survie à l’usage des jeunes filles (Métailié, 2019) et d’Analphabète (Métailié, 2021).

 

Avis :

S’inspirant de la légende familiale construite autour de l’histoire de son arrière-grand-mère, Mick Kitson laisse libre cours à son imagination pour en faire le personnage central d’un récit à la croisée du roman historique, social et d’aventures, en tout point évocateur des grandes heures feuilletonesques du XIXe siècle.

Au pays de Galles à cette époque, la misère pousse une famille gitane à vendre l’aînée des filles pour espérer sauver les autres enfants. La petite Anny est recueillie par le champion de boxe à mains nues Bill Perry, une force de la nature toujours imbibée de bière mais au coeur aussi grand que son impressionnante carcasse, qui la considère bientôt comme sa fille. Entre le pub de Bill et les foires où, grâce à des matches de boxe illégaux, le colosse gagne de quoi faire patienter les créanciers, l’enfant grandit dans une petite ville de la région de Birmingham, en plein coeur de la révolution industrielle.

Dans une atmosphère à la Dickens, autant assourdie qu’empuantie par le tintamarre, les fumées et les suies des forges et des usines à clous, Anny découvre les misérables et laborieuses conditions de la vie ouvrière, l’impuissance des grèves menant tout droit aux redoutées « maisons de travail » pour indigents, en même temps que la toute-puissance des Lords venus s’encanailler autour des rings où coulent le sang et l’argent des paris. Comprenant très vite que « si t’es pas capable d’apprendre à te battre, tu peux pas apprendre à vivre », l’adolescente n’aura de cesse de suivre les pas de Bill en se mettant elle aussi à la boxe. Mais, alliée à sa pugnacité naturelle et à sa maîtrise de l’art du pugilat, c’est sa fréquentation de l’école des pauvres, ouverte à l’initiative des deux filles du révérend Warren, qui achèvera de l’armer pour sa conquête d'une toute autre existence.

Bagarres, mais aussi tendresse paternelle et filiale, jalonnent de leurs péripéties un récit rythmé, vantant l’amitié, la ténacité et le courage, en particulier chez les femmes, à l’honneur dans ce livre. Et même si quelque peu idéaliste dans l’ascension sociale de cette petite gitane illettrée si rapidement capable d’effacer son dialecte du Black Country et d’apprécier la poésie de Burns, Keats et Wordsworth, l’histoire nous emporte par la force de ses personnages et de leur combat pour leur survie, si puissamment et lyriquement incarnée dans cette boxe autant brutale que chorégraphique.

Un très beau roman donc, que ce Poids plume épique et enchanteur, où l’art du pugilat cache une fort jolie métaphore de l’art de prendre en main sa vie, surtout lorsqu’on fait partie des plus faibles - pauvres, manouches, femmes ou enfants… (4/5)

 

Citations :

Il y avait trois forges juste un peu plus haut et de l’autre côté du chenal, l’usine sidérurgique où ils laminaient des feuilles de tôle et découpaient des plaques carrées sans interruption avec des marteaux-pilons à vapeur. Le fourneau qu’il y avait là-bas rendait le ciel orange toute la nuit et des grosses étincelles dansaient dans la vapeur avant de se recroqueviller et de retomber comme les feuilles perdues par un arbre en fer chauffé à blanc. Y avait jamais de paix ni d’air pur ; celui-ci était toujours noir de suie, de saletés et de volutes de vapeur de fer. Dans les fonderies on versait des creusets de fer fondu nuit et jour, et des lignes blanches brillaient sur les moules au milieu des hommes qui criaient et s’interpellaient. Là-bas, y avait pas d’aube ni de nuit, et y avait pas d’oiseaux qui chantaient quand le soleil rouge se levait le matin, aussi flou et brumeux qu’une flamme à travers de la mousseline.
 

Il m’avait rapporté un globe terrestre de Liverpool, la plus belle chose que j’avais jamais vue, et il a dit qu’il l’avait acheté à un Irlandais qui descendait d’un bateau à vapeur. Il était plus gros que ma tête et tournait lentement, et tous les pays étaient d’une couleur différente, les mers bleu pâle et les montagnes marron. Le Marinier avait dit qu’il venait d’Autriche et il savait lire un peu alors il a trouvé le mot Autriche et on a vu que c’était une grande île de couleur rose en bas du globe.
 

(…) si t’es pas capable d’apprendre à te battre, tu peux pas apprendre à vivre.
 

La boxe, c’est toujours de côté, elle a dit en bondissant devant moi, ses cheveux dorés s’envolant de son joli visage comme les feuilles d’un saule avant un orage. Demande à Bill et il te dira qu’la seule façon d’gagner, c’est d’pas s’prendre de coups et d’feinter l’autre quand tu lui en donnes…
 

Des fois, deux joies peuvent chasser un chagrin de votre cœur comme un vieux clou se fait déloger par un nouveau.
 

M. Burns avait eu le cœur brisé par une jeune fenotte écossaise et il avait souffert pendant tout ce temps et j’adorais les mots : “Tu me briseras le cœur, toi l’oiseau qui gazouille, qui erre joyeusement dans les épines en fleurs.” Et je me suis dit que c’était la chose la plus triste et la plus belle, qu’il y avait des épines en fleurs dans nos vies et des épines en fleurs dans la lande. Une fleur et une épine ensemble c’est ce qu’on connaît dans la vie et en amour aussi.
 

Et j’ai appris quelle merveille il y avait dans les mots. Que ces petits traits et ces petites marques sur une page pouvaient me faire pleurer, me mettre en colère ou me donner envie d’attraper Jem Mason pour l’embrasser et faire courir mes mains sur ses muscles durs. De simples marques sur une page sont capables de faire ça et des marques sur une page peuvent aussi vous faire sentir que votre esprit tout entier s’ouvre et explose en lumières célestes. M. Wordsworth disait qu’on naissait et qu’on était faits par Dieu, traînant des nuages de gloire, qu’on était au paradis à notre naissance mais qu’ensuite tout disparaissait. Dans ce poème, c’était un jeune homme plein de regrets et de tristesse. Comme tous les poètes dont j’ai lu les œuvres, alors je me demandais si on pouvait écrire un poème sans le rendre triste et beau comme eux le faisaient. Les poèmes, c’est de la tristesse et de la douceur dans les mêmes mots : c’est deux choses en une seule comme les fleurs et les épines.


 

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