lundi 16 janvier 2023

[Adimi, Kaouther] Des ballerines de papicha

 


 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Des ballerines de papicha
            (L'envers des autres)

Auteur : Kaouther ADIMI

Parution : 2010 en Algérie,
                  2011 et 2022 en France
                  (Actes Sud, Points)

Pages : 128

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Une famille, quelque part dans un quartier populaire d’Alger. L’auteure en offre une « coupe transversale », donnant parole à tour de rôle à chacun de ses membres, croisant ainsi les regards, les vécus individuels, les perceptions réfractées d’un quotidien fait de promiscuité, de désœuvrement, de mal-vie… S’en dégagent la solitude tragique des êtres et leur souffrance, dans la révolte et le désespoir, parfaitement rendus par la structure même de l’œuvre. Un premier roman sensible et percutant.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Née en 1986 à Alger, Kaouther Adimi vit et travaille à Paris. Elle est l'auteure de plusieurs romans tous disponibles chez Points, parmi lesquels Nos richesses, prix Renaudot des lycéens 2017, et Les Petits de décembre, prix du Roman Métis des lycéens en 2019.

 

Avis :

Dans ce premier roman qui donne tour à tour la parole aux membres et aux voisins d’une famille semblable à tant d’autres des quartiers populaires d’Alger, Kaouther Adimi révèle le mal-être grandissant d’une jeunesse désoeuvrée et sans avenir, en perte totale de repères.

Adel, le fils trop féminin, vit dans la terreur de la violence qu’il attire. Yasmine, la jolie cadette, voudrait tant que ses études débouchent sur bien davantage que le mariage. L’aînée, Sarah, étouffe dans la soumission à un époux qu’elle rejette au point de le prendre pour fou. Pour tromper son ennui d’écolière, sa fille Mouna s'enferme dans un présent de papicha sans cervelle, limité à ses ballerines de toutes les couleurs et à son attirance pour un garçon. Le tout au grand désespoir du gendre Hamza, dépassé par le comportement de sa femme, pendant qu’ombre laborieuse silencieusement barricadée dans son autorité réprobatrice, la mère et grand-mère s'accroche bec et ongle au maintien des traditions familiales et sociales.
 
Tous vivent sous le même toit et sous le regard inquisiteur des voisins, de jeunes hommes occupant leur désœuvrement d’expédients, entre drogue et alcool, et rêvant, les uns de la « vraie vie » en Europe, les autres de la reconstruction de leur pays, sans jamais parvenir à faire plus que se réunir à longueur de jours et de nuits dans les cages d’escaliers de leur immeuble, mais capables néanmoins d’affirmer comme bon leur semble leur loi sur le quartier : gare à celui ou à celle qui leur semblera déchoir au gré d’un comportement trop libre ou marginal. Alors dans cette promiscuité qui pèse comme un couvercle, révolte et désespoir se vivent dans le secret d’une intimité personnelle soigneusement repliée sur elle-même, dans une souffrance et une solitude propices aux tragédies les plus extrêmes.

Un texte d’une grande maturité de la part d’une auteur alors encore toute jeune, et une illustration aussi sensible qu’efficace de la dérive d’une population acculée au désespoir, à la folie et à la mort, avec souvent pour seul espoir le mirage migratoire. (4/5)

 

 

Citations :  

En même temps, c’est quoi être comme tout le monde ? Si on en croit les professeurs, c’est faire toute une série d’actions, dans le bon ordre. Etre soit un homme, soit une femme, et se marier. Faire les courses. Avoir deux ou trois enfants. Les inscrire à l’école et leur acheter des livres. Travailler en même temps pour faire tout ça. Prendre un prêt bancaire pour avoir un appartement plus grand. Travailler plus, pour rembourser son prêt bancaire. Acheter une petite voiture. Voter. Marier ses enfants. S’occuper des petits-enfants. Mourir. Ne pas laisser de dettes en héritage aux enfants.
 

Ça fait beaucoup d’actions, quand même. Je pense que c’est pour ça qu’il y a tant de gens qui ne sont pas comme tout le monde. Moi, j’aurais bien aimé suivre ce schéma-là. Contrairement à Mouna, j’aimerais bien entrer dans le moule. Le problème, c’est que j’ai l’air d’un petit vieux, et ça m’exclut déjà du monde normal. En plus, je n’ai pas de père. Deuxième anormalité. Et malgré tout, ma mère aime toujours mon père. Troisième anormalité.          
En fait, ce n’est pas tout à fait vrai. J’ai bien un père, mais là, il achète des cigarettes. Il en achète sûrement beaucoup. Pour toute la vie, parce que ça fait quand même quatre ans qu’il est descendu en gandoura pour acheter juste un paquet de clopes, quelques minutes avant le dîner, un soir de ramadan. Il n’est jamais revenu. C’est pour ça que, lorsqu’on me demande ce que fait mon père, je réponds qu’il achète des cigarettes.


(…) autant je ne peux pas comprendre ce qui cloche chez Yasmine. Pourtant, elle est intelligente, c’est ce que me disaient ses enseignants lorsque j’allais récupérer son bulletin de notes au lycée, à la fin de chaque trimestre. Qu’elle était brillante, qu’elle irait loin. Loin, loin, moi je ne veux pas qu’elle aille loin ! Je veux qu’elle aille à la fac, qu’elle trouve un bon travail, un bon mari, qu’elle sourie de temps en temps et c’est bien assez, non ?


 

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