mardi 31 août 2021

[Kakuta, Mitsuyo] Lune de papier

 


 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Lune de papier (Kami no tsuki)

Auteur : KAKUTA Mitsuyo

Traductrice : Sophie REFLE

Parution : en japonais en 2012,
                   en français (Actes Sud) en 2021

Pages : 336

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Mariée depuis peu, Rika tente avec beaucoup d’humilité de correspondre à l’image qu’elle se fait du bonheur conjugal, mais ne tarde pas à percevoir l’inélégance de son mari.
À cela la jeune femme ne voit qu’une parade : réintégrer le monde du travail pour assumer ses propres dépenses, être relativement autonome, et retrouver un semblant de vie sociale. Dès lors, elle prépare un examen qu’elle obtient haut la main et entre dans une banque où lui est rapidement attribué un poste de responsable de clientèle. Rika s’attelle ainsi à la gestion de produits d’épargne un peu particuliers, puisqu’il s’agit de les vendre exclusivement à des personnes âgées dont elle doit gagner la confiance à l’occasion de visites régulières, et toujours à domicile.
Quand un jeune homme la croise chez son grand-père, Rika a déjà basculé dans une véritable addiction. Bien loin d’être une héroïne hollywoodienne, cette femme ordinaire est néanmoins sur le point de mettre en place l’une des plus importantes escroqueries de l’époque.
Avec une férocité saisissante, Mitsuyo Kakuta explore de livre en livre les effets de la société japonaise sur la psychologie du féminin. Capables de briser le carcan du quotidien, de sauter de l’autre côté de leur vie pour échapper au renoncement, ses créatures sans faille apparente sont inoubliables car effroyablement proches de nous.

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Mitsuyo Kakuta est née en 1967, dans la préfecture de Kanagawa au sud de Tokyo. Diplomée de littérature de l’Université de Waseda à Tokyo, elle commence par écrire pour la jeunesse. Elle obtient de nombreux prix et en 2005, le prix Naoki, pour Celle de l’autre rive (Actes Sud 2008). Elle est l'auteur de La Maison dans l'arbre (Actes Sud, 2014) et La Cigale du huitième jour (Actes Sud, 2015) qui a été porté à l'écran par Akimistu Sasaki.

 

 

Avis :

La vie avec un mari distant ne lui apportant pas le bonheur espéré, Rika décide de s’investir dans un emploi. Devenue chargée de clientèle dans une banque, elle visite régulièrement à domicile les personnes âgées qui lui font confiance pour leurs opérations bancaires et la gestion de leur épargne. Sa hiérarchie et ses clients l’apprécient, mais le vide de sa vie privée devient de plus en plus obsédant. Pour tenter de le combler, elle noue une relation extra-conjugale avec un jeune homme et, insensiblement, se retrouve occupée à détourner des sommes de plus en plus importantes…

A travers Rika, mais également les autres femmes du roman, tout aussi ingénument engagées dans une vie maritale dont elles n’imaginaient pas le poids des désillusions, c’est la vacuité du quotidien ordinairement réservé aux Japonaises, que l’auteur nous dépeint ici avec férocité. Au foyer ou employée le plus souvent à mi-temps, avec ou sans enfants, aucune, dans ce récit, n’était préparée à la somme des renoncements qui l’attendait, alors que toutes se retrouvent liées à des époux absents, exclusivement accaparés par leur carrière professionnelle et pétris de la certitude de leur prééminence masculine. Dans cette histoire, aucune communication n’existe au sein du couple, chacun vaque à ses occupations parallèles au détriment même, parfois, de toute intimité conjugale. Les maris décident et disposent sans partage, partent plusieurs années à l’étranger sans se préoccuper de ce qu’il advient à la maison, divorcent rarement, mais alors abandonnent leur ex-conjointe sans ressources pour confier la garde des enfants à leurs propres parents.

Dans ces couples cimentés principalement par le souci des apparences et des conventions sociales, sans doute parce que chacun pense compenser ses manques affectifs par davantage de satisfactions matérielles, c’est finalement autour des questions d’argent que se cristallisent tensions et conflits. Tel mari craint l’ombre d’une épouse capable de gagner sa vie, tel autre est mal considéré par sa belle-famille parce que ses revenus sont insuffisants, le dernier se résout au divorce – si rare au Japon -, en raison des achats compulsifs de sa femme. Quand, depuis les années quatre-vingt, beaucoup de Japonais se retrouvent prisonniers des crédits à la consommation et du surendettement, c’est dans un tout autre engrenage que la si sage Rika, sans intention malhonnête initiale, se laisse happer, dans une irrésistible escalade qui installe un sentiment de malaise et tend imperceptiblement le récit : en rébellion à sa morne et insignifiante existence, la jeune femme succombe elle aussi au mirage de l’argent, en se transformant en improbable escroc. Par ses malversations, c’est de la société japonaise toute entière, de ses hypocrisies et de son corset de convenances, que Rika tente en réalité de s’affranchir…

Au travers de ses personnages féminins, réduits à tromper l’indigence affective de leur couple et à s’inventer un semblant d’affirmation de soi par une surconsommation de biens matériels, Mitsuyo Kakuta pointe du doigt l’écrasante pression sociale qui poursuit les Japonais jusque que dans leur relation maritale, sacrifiée à l’hypertrophie du carriérisme masculin. Une lecture fascinante et troublante, où sous ses apparences lisses et policées, la société japonaise, tout comme cette histoire, se révèle d’une incommensurable violence psychologique. (4/5)

 

Citations :

Il ne lui offrait pas ce voyage pour compenser ses absences mais pour affirmer sa supériorité. De la même manière qu’il l’avait emmenée dans un restaurant de sushis de luxe après qu’elle l’avait invité dans un bistrot près de chez eux. Il voulait la lui faire sentir. Lui montrer qu’il lui était supérieur, par lui-même, par le contenu et l’importance de son travail, et par son salaire qui dépassait de loin le sien.

Pourquoi pense-t-on toujours que ce qui est plus plaisant que la réalité est un rêve, se demanda Rika sans le dire tout haut. Pourquoi ne pense-t-on pas le contraire ? Que là où ils retourneraient tous les deux demain était un rêve moins plaisant que la réalité ?

L’argent, plus on en a, moins on le voit, pour une raison inexplicable. Quand on n’en a pas, on y pense sans arrêt, mais quand on en a beaucoup, on trouve immédiatement cela naturel.

C’est ça, avoir commis un crime, en vint-elle à penser. Cela ne libérait pas, mais enfermait dans un lieu bien plus exigu que soi-même.


 

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