lundi 23 août 2021

[Cayeux, Charlotte] L'Autre Ahmed ou l'Attente

 


 

 

J'ai aimé

 

Titre : L'Autre Ahmed ou l'Attente

Auteur : Charlotte CAYEUX

Parution : 2021 (Chèvre-feuille étoilée)

Pages : 142

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Charlotte réalise des courts-métrages, Ahmed écrit des scénarios. Ils se rencontrent chez des amis communs. Tous vivent à Paris dans un milieu de jeunes créateurs. L’amour est au rendez-vous. Mais Ahmed semble parfois absent, troublé, parano et Charlotte devine en lui un « autre » qu’elle cherche à appréhender.Tout bascule quand Ahmed, si ponctuel, ne vient pas à leur rendez-vous. Puis Charlotte apprend son incarcération. Commence alors pour elle l’autre peine, celle vécue par les proches de prisonniers… Mars 2020, confinement dû à la crise sanitaire, l’auteure écrit leur histoire.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Née en Normandie en 1986, Charlotte Cayeux obtient un Master en Études Cinématographiques à l’Université Paris III, et réalise plusieurs courts-métrages de fiction dont Une scène, Nassara et Ceux qui peuvent mourir. Ce récit est sa première publication littéraire.

 

 

Avis :

Charlotte et Ahmed écrivent des scénarios et réalisent des courts-métrages. Ils s’aiment, mais Ahmed est épisodiquement sujet à des troubles psychiques, à tendance paranoïaque, qui donnent à Charlotte l’impression qu’un autre Ahmed, inconnu et imprévisible, sommeille en son compagnon. Un jour, il disparaît, et Charlotte finit par apprendre son incarcération. Commence pour elle « l’autre peine », celle des proches de personnes emprisonnées. Le confinement sanitaire de 2020 la décide à raconter leur histoire.

C’est donc un récit personnel et un témoignage que nous propose ce livre court, à la lecture fluide et agréable. Dès les premières pages, une tension s’installe, puisque l’on sait que le drame guette, et parce qu’a posteriori, la narratrice s’attache à relater les mille signaux qui l’ont annoncé sans que le couple s’en préoccupe sérieusement. Charlotte ignore alors encore bien des aspects de son compagnon et de son passé. Confiante et toute à son bonheur d’aimer, elle choisit de se rassurer quand Ahmed élude la question de ses troubles et ne manifeste que des velléités de consulter. Entre-temps, l’empathie s’est établie entre la jeune femme et le lecteur, qui se retrouve de plain-pied dans son angoisse quand Ahmed disparaît, ressent sa stupeur de le découvrir déjà condamné après une comparution immédiate, et réalise le poids de cette « autre peine » qui accable les proches de condamnés.

Il est plus difficile de partager complètement la colère de l’auteur contre le système judiciaire et pénitentiaire, même si l’on conçoit aisément l’impuissance ressentie face à son implacable lourdeur et à ses aspects déshumanisants, sans même parler des conditions de détention dans des établissements vétustes et surpeuplés. L’on serait plutôt tenté de s’inquiéter de la vraie prise de conscience d’Ahmed de la nécessité d’une prise en charge médicale, a priori l’élément-clé de la réussite de sa future réinsertion, et dont il est – mais ce n’est peut-être qu’un ressenti – finalement peu question. Et, en même temps que plein de respect pour la fidélité de Charlotte, c’est affligé par ce que l’on imagine des souffrances d’un homme dépassé par des troubles qu’il ne sait comment affronter, que l’on quitte cette narration suspendue à l’attente d’une possible remise de peine. Finalement, n’est-ce pas l’insuffisante et souvent inadéquate prise en compte, dans notre société, des personnes souffrant de maladies mentales qui mérite ici aussi notre indignation ? (3,5/5)

 

Citations :

J’observe autour de moi et je me sens décalée. Munie d’un bac+5, originaire d’une famille lettrée typiquement classes moyennes, mon statut social ne cadre pas. Je le savais de façon théorique mais je le réalise vraiment maintenant : l’incarcération concerne essentiellement les milieux populaires, et en très grande partie des familles issues de l’immigration.

C’est le sentiment de l’injustice qui m’étreint en premier, le sentiment qu’on me punit moi autant que lui, et cela sans aucune raison, la sensation d’un énorme gâchis.

Il revient et nous nous levons, abandonnant sur la table nos cocktails à peine entamés. Ce détail me frappe, comme une métonymie de la situation : devant cette réalité qui vient de s’abattre sur moi, tout s’arrête. Les jours qui suivront, la vie va se poursuivre autour de moi comme dans un deuil, comme si elle ne me concernait pas, les événements glisser sur moi.

Je pense au temps où on avait le temps, et que le bonheur on ne le ressent pleinement que lorsqu’il est passé. Et je crains confusément que lorsqu’il sera revenu, on ne sache plus alors le ressaisir.

Tous les proches de détenus purgent leur peine à l’extérieur, c’est ce que certains ont appelé « l’autre peine ».

 

1 commentaire:

  1. Merci de ce commentaire, il faut savoir que le livre s'arrête délibérément à un instant précis et donc on peut supposer que vos questions trouvent des réponses dans la vie d'après la narration.

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