vendredi 27 août 2021

[Jones, Robert F.] L'agonie des grandes plaines

 


 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : L'agonie des grandes plaines
            (Tie my Bones to her Back)

Auteur : Robert F. JONES

Traductrice : Béatrice VIERNE

Parution : en anglais (Etats-Unis) en 1996,
                   en français (Editions du Rocher)
                   en 2021

Pages : 368

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Wisconsin 1873. À la mort de ses parents victimes de la grande crise financière, Jenny Doussmann part dans les Grandes Plaines rejoindre son frère, Otto, vétéran de la guerre de Sécession devenu chasseur de bisons. Ceux-ci commencent à se faire rares, sans compter les rivalités entre chasseurs et la plupart des tribus indiennes entrées en guerre. Le premier hiver de ces deux émigrants allemands, seuls dans l'immensité, tourne au cauchemar. Ils seront sauvés par une vieille connaissance, Two Shields, un Cheyenne du Sud qui s'engage à veiller sur eux. Devenus membres de sa tribu, Jenny et Otto devront combattre à la fois d'autres chasseurs et des tribus ennemies des Cheyennes. Dans ce roman sauvage et lyrique, les Grandes Plaines sont le réceptacle d'un monde à l'agonie et font corps avec l'Indien et le bison décimés. Ce tableau de l'Ouest américain, avec ses descriptions crépusculaires, mais réalistes, n'épargne personne, animaux et humains : Indiens comme Blancs.

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Robert F. Jones (1934-2002), romancier, éditorialiste au Men's Journal et journaliste pour Sports Illustrated et Fields & Stream, a écrit plusieurs ouvrages, documents comme romans, dont Jake et Upland Passage qui ont reçu des prix.

 

 

Avis :

Au lendemain du suicide de ses parents, petits fermiers du Wisconsin d’origine allemande, ruinés par la grande crise qui éclate en 1873, la toute jeune Jenny Doussman rejoint son frère Otto, chasseur de bisons dans les Grandes Plaines de l’Ouest américain. Dans ces étendues encore sauvages, entre attaques indiennes et rixes avec des chasseurs rivaux, le frère et la sœur ne vont bientôt plus devoir leur salut qu’à la protection de Two Shields, Cheyenne métissé de sang allemand, dont ils vont rejoindre la tribu.

Vaste fresque historique mais aussi roman d’aventures, cette épopée commence dans le sang des bisons et s’achève dans celui des hommes. Car, après la colonisation de tout l’est américain, c’est maintenant dans les grandes plaines inhospitalières de l’ouest, grillées l’été, glacées l’hiver, mais toujours lacérées par les vents, qu’il faut aller tenter sa chance et chercher la fortune. Dans ces espaces encore vierges, vivent paisiblement d’immenses hordes de bisons, et, dans leur sillage, une multitude d’autres espèces participant à l’équilibre de la prairie. Parmi elles, et non des moindres, les Amérindiens, dont tout le mode de subsistance repose sur la chasse des bovidés bossus. Dès lors, pour les conquérants venus de l’est, commence un massacre à grande échelle, pour le commerce des peaux, mais aussi pour affecter les tribus indiennes. Des dizaines de millions de ces animaux sont abattus, souvent laissés à pourrir sur place. Par endroits, poussent des montagnes de crânes de bisons… Menacés par l’extinction imminente de ces grands bovidés, la plupart des Indiens partent sur le sentier de la guerre : une autre hécatombe ensanglante la prairie, flèches contre balles de mitrailleuse…

Après une première partie exposant le point de vue des blancs et leur insouciant pillage qui transforme la prairie en gigantesque abattoir à ciel ouvert, dans d’hallucinantes scènes de carnage qui m’ont rappelé celles des Crépuscules de la Yellowstone de Louis Hamelin, la narration s’intéresse au ressenti des Amérindiens, dans une immersion au sein d’une tribu cheyenne, de ses coutumes et de ses croyances, enfin de sa colère impuissante face à l’avidité incontrôlable des « araignées » blanches. Pot de terre contre pot de fer, la confrontation donne lieu, là aussi, à de dantesques tableaux où se déchaîne le flamboyant lyrisme de Robert F. Jones.

Avec ses mises en scène et ses décors aussi impressionnants que réalistes, ses personnages forts et bien campés aux dialogues saisissants de vérité, et le rythme intense de ses péripéties, ce récit d’aventure historique, lucide et documenté, assène bon nombre de sombres vérités, quant à l’abjection et à la cruauté dont l’espèce humaine sait faire preuve. (4/5)

 

Citations :

Dans nos rapports avec les Indiens, nous ne devons jamais oublier que nous sommes plus puissants qu'eux… Nous partons, à juste titre, me semble-t-il, du principe que notre civilisation devrait prendre la place de leurs habitudes barbares. Nous revendiquons, par conséquent, le droit de contrôler les terres qu' ils occupent, et nous estimons qu' il est de notre devoir de les contraindre, s' il le faut, à adopter et à suivre nos mœurs et nos coutumes… Quant à moi, eu égard à son effet sur les Indiens, je ne regretterais pas sérieusement la disparition totale du bison de nos prairies de l'Ouest, la considérant plutôt comme un moyen de hâter chez eux l' éclosion du sentiment qu' ils doivent dépendre des produits de la terre. Columbus Delano, Ministre de l'Intérieur des États-Unis (1873).

Quand les chevaux meurent de faim, les hommes leur donnent de la viande, et ils l'avalent avec autant d'appétit que si c'était du foin. Vous les verrez, de loin en loin, au-delà de la lueur du feu de camp, entravés, mâchonnant les os de voyageurs morts depuis longtemps, tantôt terrassés par le gel, tantôt rôtis tout vifs par le soleil ; peu importe à votre monture.

Pas un bison en vue. Pas même un arbre. Il n'y avait pas d'horizon. À moyenne distance, le ciel et les pâturages se fondaient en une masse monochrome beige pâle. Vers l'est, très bas, le soleil matinal luisait comme la tête argentée d'un clou de tapissier, fiché dans le bois du ciel.

Aujourd'hui, tu vois les résultats. Des bisons de tous les âges et toutes les tailles, abattus en toute saison, partout où ils vont. Ils ont disparu dans toute la région qui va de la Republican River jusqu'au Cimarron, alors à présent nous filons vers le sud pour mettre à mal les troupeaux du Texas. C'est pire que la guerre. Pendant la guerre au moins, on enterrait les morts. L'Ouest tout entier est un véritable Schlachthof, un abattoir. Mais on y gaspille beaucoup plus que dans un abattoir. Parce que la viande, personne ne la mange.

Croyez-moi, Miss Dousmann, continua le général d'une voix moins forte, plus raisonnable, si nous voulons une paix durable dans ces prairies — si nous voulons voir de hautes cités s'élever sur ces plaines, et y entendre bourdonner des ruches d'hommes industrieux — et nous le voulons bien entendu —, nous devons autoriser les chasseurs de peaux à tuer, à dépouiller et à vendre, jusqu'à ce que le dernier bison ait disparu. Ce n'est qu'alors que ces étendues d'herbe — les plus grands, les plus riches, les plus beaux pâturages du monde — pourront se couvrir de bétail domestique et de ceux que les bellâtres de l'Est appellent, avec tant de cynisme, “les cow-boys en liesse". Car il est vrai de dire que la civilisation suit le chasseur, aussi sûrement que la pluie suit la charrue. 
 
La seule façon dont nous pouvons espérer empêcher toutes ces femmes d'être violées, toutes ces maisons d'être incendiées, la seule façon de mettre fin à cette guerre d'escarmouches, où le Peau-Rouge excelle, c'est de l'exterminer dans l'Ouest, racines et branches. Ou de l'obliger à se soumettre en l'affamant. Vous autres chasseurs de bisons faites exactement ce qu'il faut pour cela, en détruisant son moyen de subsistance.

Tu ne comprends donc pas ce qui se passe ? C'est exactement ce que m'a dit le général Sheridan, là-bas à Fort Dodge. Le gouvernement veut parquer les Indiens dans des réserves, sous son contrôle. Les chasseurs de peaux tuent les bisons afin d'être sûrs que les Indiens devront dépendre pour leur subsistance du bœuf américain. Les cow-boys sont déjà en train d'amener leurs troupeaux dans le coin pour remplacer les bisons. Toutes ces bêtes sont marquées, et même les Blancs peuvent être pendus pour vol de bétail. Le fil de fer barbelé permettra aux propriétaires d'enclore leurs pâturages et d'en interdire l'accès à quiconque, Blanc ou Rouge, n'aura pas les moyens d'acheter leur viande.


 

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