samedi 17 décembre 2022

[Worrall, Simon] Le faussaire de Salt Lake City

 



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Titre : Le faussaire de Salt Lake City
           (The Poet and the Murderer)

Auteur : Simon WORRALL

Traduction : Nathalie PERONNY

Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2003,
                  en français en 2022 (Marchialy)

Pages : 350

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Comment devient-on un faussaire ? L’enfance de Mark Hofmann a été rythmée par les rites et les textes mormons, une religion à laquelle on le sommait de croire sans poser de questions. C’est adolescent, alors qu’il a accès à des livres critiques sur son Église, que sa foi se fissure. Mais Mark se reprend vite : se sentant trompé, il devient usurpateur. Il commence à forger de faux documents, d’abord pour tromper les hauts dirigeants de l’Église mormone, puis, enhardi par son succès, il compose de faux poèmes d’Emily Dickinson. Devenu une figure incontournable sur le marché des manuscrits et des imprimés rares, le sympathique faussaire, pris au piège de sa propre folie, finit par commettre l’irréparable.

Simon Worrall revient sur la trajectoire incroyable et effroyable de Mark Hofmann, faussaire de génie et assassin, et nous montre à quel point la vérité est parfois construite de toutes pièces.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Simon Worrall est un journaliste anglais qui a écrit dans de prestigieuses revues et journaux anglo-saxons tels que The Sunday TimesThe Independant, The New Yorker et le magazine National Geographic. Il a vécu en Allemagne et en Chine avant de s’installer aux États-Unis où il vit toujours aujourd’hui.

 

Avis :

En 1997, Daniel Lombardo, fondateur de l’Emily Dickinson International Society et conservateur des collections de la bibliothèque de la ville d’Amherst où vécut la poétesse, est fier d’acquérir, lors d’une vente aux enchères chez Sotheby’s, un manuscrit inédit de la grande dame. Soucieux de mettre à la disposition du public le maximum d’informations relatives à cette trouvaille inespérée qui attire des foules de visiteurs à Amherst, l’homme entreprend des recherches pour identifier le destinataire du poème signé « Tante Emily ». Il tombe alors de haut : le manuscrit, pourtant vendu certifié par les plus éminents experts, n’est en réalité qu’un faux. Quel génial faussaire a-t-il donc su « cloner l’art d’Emily Dickinson », inventant un poème crédible et imitant l’écriture de la dame, au point de duper le monde ? C’est ce que Simon Worrall s’est attaché à investiguer, mettant au jour une histoire en tout point incroyable, mais vraie.

Né en 1954 dans une famille mormone de Salt Lake City, Mark Hofmann est adolescent lorsqu’il découvre avec colère l’imposture à l’origine de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours et le charlatanisme de Joseph Smith, son fondateur. Cachant sa dissidence tout en entretenant un ardent désir de vengeance, il commence par forger de faux documents, doublant au jeu du mensonge les dignitaires de l’église mormone en leur faisant croire à l’existence de pièces fondatrices qui, et pour cause, étaient toujours demeurées mythiques. Mais, grisé par ses succès dans l’art de berner le monde, le faussaire qui, jusqu’ici, aurait pu plutôt prêter à sourire en arrosant les arroseurs, développe bientôt un trafic à grande échelle destiné à soutenir un train de vie de plus en plus dispendieux, et, finalement aux abois dans ce qui est devenu une véritable pyramide de Ponzi, finit par se muer en meurtrier pour éviter de se faire prendre.

Loin de se limiter au seul portrait, contrefait en banal père de famille, du plus habile faussaire de tous les temps, l’investigation érudite et approfondie de Simon Worrall fait découvrir au lecteur une quantité de sujets aussi étonnants que passionnants. Histoire et culture mormones ; art de l’imposture en passant par la graphologie, les neurosciences, les techniques de vieillissement de l’encre et du papier et les méthodes de détection de faux ; mécanismes psychologiques de « suspension consentie d’incrédulité » chez les victimes aveuglées par leur passion de la collection ; douteuse complaisance de certains acteurs – y compris parmi les plus vénérables, comme la maison Sotheby’s – face aux enjeux des transactions sur le marché des œuvres d’art, de la joaillerie et des manuscrits littéraires : il ne manque que l’humour d’un Philippe Jaenada ou d’un Grégoire Bouillier pour transformer en coup de coeur cette lecture si sérieusement extraordinaire. (4/5)

 

 

Citations :  

Convaincu qu’il s’agissait d’un faux, Lombardo avait mené sa petite enquête et conclu qu’il ne s’agissait pas d’un manuscrit autographe d’Emily Dickinson, mais d’une version retranscrite par Mabel Loomis Todd. Il avait donc cherché à joindre de toute urgence Mary Jo Klein, la directrice du département des livres rares et des manuscrits chez Sotheby’s, pour lui signaler l’erreur ; elle était absente et ne l’avait jamais rappelé. Il avait donc expliqué le problème à un autre employé de la maison, qui s’était contenté de lui rétorquer que ce ne serait pas la première fois que le collectionneur d’origine, H. Bradley Martin, se faisait « arnaquer ».   
Estomaqué par la désinvolture de cette réponse, Lombardo se dit qu’au moins, grâce à lui, le poème serait retiré de la vente. Quelle n’avait donc pas été sa stupeur quelques jours plus tard, en lisant que la prétendue « transcription autographe » de Dickinson avait trouvé preneur pour 4 400 dollars. Lorsqu’il avait rappelé Mary Jo Klein pour tâcher de comprendre, l’histoire avait pris un tour encore plus étrange. Mme Klein lui avait répondu qu’elle avait contacté Ralph Franklin pour lui demander son avis, et que celui-ci avait confirmé qu’il ne s’agissait pas d’un manuscrit original de Dickinson. Mais Sotheby’s avait quand même décidé de laisser le poème au catalogue en précisant simplement au moment de la vente que le lot n° 2028 n’était pas de la main d’Emily Dickinson. Hélas, deux enchérisseurs au téléphone n’avaient pas pu entendre cette annonce. Résultat, l’un d’eux s’était fièrement porté acquéreur d’un superbe échantillon de l’écriture de Mabel Loomis Todd.
 

Deux lords, un comte, un marquis et Son Altesse Royale l’Infante Pilar de Bourbon, duchesse de Badajoz, siègent au sein du comité de direction de Sotheby’s. Pour autant, ce prestigieux aréopage n’a jamais empêché la célèbre maison de ventes, née à Londres en 1744, de mettre des œuvres d’art ou des manuscrits contrefaits aux enchères.              
Une garantie d’authenticité est bien imprimée dans tous leurs catalogues – quoique en tout petits caractères, et pour une durée de cinq ans. Mais en cas de « problème », la société (comme tous ses concurrents) peut faire valoir, et elle ne s’en prive pas, qu’elle agit comme simple mandataire, et décline toute responsabilité. À vous, client, de vérifier que l’article qui vous intéresse est authentique. Le principe du secret professionnel qui veut que l’on taise l’identité du vendeur et de l’acquéreur ajoute un degré d’obstruction supplémentaire, aux risques et périls du second.              
C’est presque un rituel familier : une toile volée, ou une fausse chaise anglaise Chippendale, sont exposées en salle des ventes. Des doutes s’élèvent. La maison de ventes aux enchères demande au vendeur de rembourser, se protège en disant que ce n’est pas à elle de réguler le marché, et recommence six mois ou un an plus tard. En 1997, un reportage diffusé dans l’émission Dispatches sur Channel 4 montrait un employé de Sotheby’s à Milan en train de faire sortir illégalement un tableau de maître d’Italie : on découvrait tout le cynisme d’un système bien rodé ayant permis à quantité d’œuvres « sans provenance » transitant par l’Italie et l’Inde, et le plus souvent volées par des gangs de pilleurs, d’être tranquillement écoulées aux enchères en Grande-Bretagne avec la complicité de Sotheby’s.
Ce reportage provoqua une telle onde de choc (jusqu’à la une du Times, qui titra : « Sotheby’s et l’art de la contrebande ») que la société fut sommée d’assainir ses pratiques. Au mois de mars 1997, elle annonça en fanfare le lancement d’un vaste audit de 10 millions de dollars depuis son bureau new-yorkais sous la houlette de sa toute nouvelle directrice générale, Diana D. Brooks. 
Comme on ne tarderait pas à le découvrir, l’affaire du tableau volé révélée par le reportage n’était en rien un incident isolé, comme la charismatique Diana Brooks voulut le faire croire au monde entier ; l’incurie était systémique. Cerise sur le gâteau, Sotheby’s fut alors ébranlé par des accusations de fraude à l’encontre de son PDG, Alfred Taubman, soupçonné d’avoir conclu une entente sur les commissions avec Christie’s, son concurrent londonien. Le scandale contraignit Diana Brooks à la démission et valut à Alfred Taubman une mise en examen pour fraude et faute professionnelle, avec une possible peine d’emprisonnement à la clé.
 
 
Le département des livres rares et des manuscrits est le parent pauvre de Sotheby’s. Les plus grosses transactions concernent les beaux-arts et la joaillerie. Les livres et les manuscrits sont également plus longs à répertorier. Résultat, il y a une énorme pression pour engranger le plus de lots possible. « Tout est devenu désirable, de nos jours, analyse Justin Schiller, libraire ancien très réputé sur la place de New York. Autrefois, on collectionnait des objets qui avaient de la valeur. Aujourd’hui, les gens ne savent plus quoi collectionner, alors on se retrouve avec des robes de Lady Di qui s’arrachent pour 250 000 dollars, ou une carte de base-ball d’Honus Wagner adjugée pour 500 000 dollars. Mais ce n’est pas ce que gagnent les salles de ventes avec ce genre d’opérations. Leur véritable gain, c’est la publicité. » Les articles rares et très recherchés, comme un manuscrit inédit d’Emily Dickinson par exemple, rapportent bien plus qu’une commission. Ils génèrent de gros titres dans la presse. Et attirent les curieux.               
Tout cela constitue un terreau propice à ce que T.S. Eliot appelait en son temps la suspension consentie de l’incrédulité. Ce phénomène s’opère avec la même force chez l’enchérisseur.              
« Il y a chez les gens un puissant désir de croire en ce qu’ils achètent, estime pour sa part Jennifer Larson. C’est ce que vous pensez avoir, et ce que vous voulez croire en votre possession – non ce que vous avez réellement – qui compte. »


Sur un site de cinq hectares autour du temple, les rues sont numérotées en fonction de leur distance avec la base du méridien, un repère placé à l’extrémité nord-est du temple – sorte d’équivalent mormon du méridien de Greenwich. Cette géométrie rigoureuse illustre un dévouement absolu à l’ordre et à la discipline. « Aucune autre organisation n’est aussi parfaite », écrivait un religieux à propos des mormons du XIXe siècle, « excepté l’armée allemande ». Ici, toute façon de penser qui s’éloignerait de la norme est aussi improbable qu’une rue courbe.              
Le Dieu mormon est donc celui de l’ordre. Et aussi celui du business. Plus que n’importe quels citoyens américains, les mormons sont convaincus que gagner de l’argent est un devoir religieux. Avec une fortune estimée à 30 milliards de dollars et des revenus annuels avoisinant les 6 milliards, soit plus que le chiffre d’affaires de Nike, l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours est aujourd’hui l’une des religions les plus riches au monde. Elle possède d’immenses terrains, dont le plus gros ranch des États-Unis (150 000 ha) situé à Orlando, en Floride, et gère un portefeuille de biens immobiliers, d’actifs médias et de titres boursiers estimé à plusieurs milliards de dollars. Avec ses près de 12 millions de membres à travers le monde et une croissance annuelle à faire pâlir tous ses concurrents, c’est aussi l’une des religions les plus dynamiques. Certains des plus grands géants de l’industrie américaine sont mormons, comme Steve Marriott, le propriétaire de la chaîne d’hôtels du même nom, ou Jon Hunstman, le milliardaire de l’industrie chimique. Aucune autre religion ne dispose à Washington d’une machine de lobbying aussi agressive et structurée. 


Les visions du prophète redonnaient foi aux gens comme lui – pauvres et malmenés par l’existence – en les convainquant que l’Amérique était bien la terre promise, tout compte fait. Le mormonisme était une religion 100 % made in USA. Selon Smith, la véritable Église avait été dévoyée peu de temps après la mort du Christ, avec la « Grande Apostasie ». La construction du Vatican, Luther et la Réforme, à vrai dire toute l’histoire occidentale depuis l’an 100 jusqu’en 1832, l’année de sa naissance, n’avait été qu’une longue hallucination collective. Seules les révélations de Smith permettaient de restaurer la véritable Église chrétienne. Les adeptes du nouveau prophète s’appuyaient sur trois grands principes : Smith était en contact direct avec Dieu, il avait restauré l’ancien clergé datant d’Abraham et de l’Ancien Testament, et surtout, l’Église mormone était en possession d’un document historique inestimable, un ouvrage canonique intitulé le Livre de Mormon.               
Imaginez un mélange entre Le Seigneur des anneaux et le sermon le plus interminable que vous ayez jamais entendu (comportant notamment plus de 2 000 occurrences de l’expression « Et c’est ainsi que ») : voilà en quoi consiste le Livre de Mormon. Mark Twain comparait sa lecture à « du chloroforme imprimé ». Mais pour les fermiers illettrés qui buvaient les paroles de Joseph Smith, le texte offrait à la fois une leçon d’histoire et une illusion rassurante.


Sans surprise, la nouvelle religion de Smith se heurta dès le départ à un problème de crédibilité. La plupart des Américains réagirent exactement comme ils le firent un siècle plus tard face aux adeptes du mouvement raëlien ou de la secte Moon. L’histoire du mormonisme était aussi teintée de violence, à l’image des territoires qui la virent naître, où les armes à feu avaient souvent le dernier mot. Les schismes se réglaient fréquemment dans un bain de sang. La société secrète des Danites, ou « Anges vengeurs », était chargée d’éliminer les ennemis de la nouvelle religion. Mais l’aspect le plus controversé du mormonisme était sans conteste son acceptation de la polygamie.
Joseph Smith était un prédateur sexuel. En 1830, à l’âge de 25 ans, il lui fallut fuir précipitamment la petite ville d’Harmony, en Pennsylvanie, accusé par Hiel Lewis, la cousine de son épouse, de « comportement déplacé ». Une certaine Mary Elizabeth Rollins Lightner affirma qu’il avait tenté de la « séduire » alors qu’elle avait à peine 12 ans. Smith avait utilisé le boniment classique : au cours d’une vision, Dieu lui aurait ordonné de la prendre pour épouse plurale. Ces fameuses visions allaient se succéder tout au long de sa vie : au moment de son assassinat en 1844, il avait contracté plus de quarante « mariages célestes ». Les adolescentes semblaient particulièrement l’intéresser. Sa stratégie consistait à faire pression sur ses amis proches pour qu’ils acceptent de lui céder leurs filles ou leurs épouses, usant de flatteries ou de menaces pour parvenir à ses fins. C’était en même temps un test de loyauté, et une façon d’instaurer une forme de solidarité primitive et tribale au sein de sa communauté : en faisant des enfants aux femmes et aux filles de ses plus fidèles amis, il tissait de solides liens génétiques avec eux. En 1843, à l’âge de 37 ans, le fermier miséreux du Vermont était devenu le patriarche d’une vaste colonie implantée à Nauvoo, dans l’Illinois. Les tentes et les cahutes des premiers adeptes avaient cédé la place à 1 500 chalets en rondins et plus de 300 maisons en briques avec des échoppes et une loge maçonnique. Smith ouvrit un magasin d’alimentation générale. Les produits, achetés à crédit, n’étaient jamais remboursés. En 1842, il recourut à la méthode classique des escrocs : il se déclara en faillite.


En 1844, sa mégalomanie était à son comble lorsqu’il annonça sa candidature aux élections présidentielles. Il se présenta comme « le Roi, le Prêtre et le Souverain d’Israël sur Terre » et prédit que tous les gouvernements, y compris celui des États-Unis, finiraient par se soumettre au « gouvernement de Dieu » pour fonder le Nouvel Ordre mondial dirigé par lui. La colonie mormone de Nauvoo commençait déjà à ressembler à ce que serait la future secte de Waco au Texas un siècle et demi plus tard. Elle était sous le coup d’accusations d’immoralité et d’enlèvements d’épouses. Les « Anges vengeurs », dépeints des années plus tard par Conan Doyle dans Une étude en rouge, une enquête de Sherlock Holmes parue en 1887, parcouraient la campagne pour harceler, intimider – et parfois même assassiner – les dissidents de l’Église. 


Les mormons croient au châtiment collectif. La moindre infraction aux lois de l’Église par un membre de la famille peut anéantir les chances de vie éternelle pour tous les autres.


Hofmann mit donc ces compétences à profit pour dissimuler son agnosticisme croissant. Soucieux de garder les apparences, et de ne surtout pas décevoir ses parents, il fit semblant de continuer à adhérer à un culte auquel il ne croyait plus. Il dut prêter serment sur le Livre de Mormon, qu’il considérait comme une œuvre de fiction. Il apprenait la leçon la plus néfaste qui soit pour un enfant : qu’il était dangereux d’être soi-même. S’il avouait ses doutes à l’égard de la théologie mormone, s’il continuait à parler d’évolution ou de philosophie, il perdrait définitivement l’amour de ses parents. Ils l’aimaient seulement lorsqu’il jouait un rôle. Peu à peu, il laissa donc tomber ses provocations pour rentrer dans le rang, se cacha derrière un masque et commença à mener une double vie. Cela généra une confusion intérieure énorme, ainsi qu’un ressentiment profond envers ses parents et la culture qu’ils représentaient.


Parmi tous les sacrifices exigés des jeunes mormons, le fait de ne pas pouvoir entrer dans une boutique Gap pour se choisir des boxers à motif dauphin ou s’acheter des caleçons Calvin Klein n’était sans doute pas la plus terrible des privations. Mais la perspective de devoir porter toute sa vie un maillot de corps et un caleçon long en coton blanc n’avait rien de très exaltant non plus. Jusqu’à récemment, les femmes n’avaient droit qu’à des sous-vêtements une-pièce, sortes de barboteuses en coton blanc. Heureusement, la modernité l’a emporté : elles sont désormais autorisées à porter des brassières de coton blanc et de larges culottes bouffantes.


Les faussaires n’ont pas toujours été poussés par l’appât du gain ; c’est même un phénomène relativement récent. Patriotisme échevelé, haine de l’autorité, soif de prestige ou besoin de réinvention personnelle ont longtemps été leurs principales motivations. La contrefaçon servit à des fins religieuses et politiques ; elle fut employée pour tromper, influencer ou discréditer un ennemi. La reine Élisabeth Ire eut recours à de fausses lettres pour faire condamner Mary Stuart. Durant la Seconde Guerre mondiale, les alliés firent imprimer de faux timbres à l’effigie de Hitler en tête de mort pour miner le moral des Allemands. Un manuscrit conservé au British Museum avait dû faire rêver plus d’un alchimiste en détaillant la formule qui transformait prétendument le métal en or.               
Les faussaires sont souvent attirés par l’aspect ludique et créatif de leur art. Il faut beaucoup d’érudition, d’inventivité et d’heures de recherches pour truquer les pièces du grand puzzle de l’Histoire.


Le capitalisme roi, un marché dopé par les coups de com’ et surtout un public crédule ayant plus d’argent que de bon sens : tous ces éléments ont fait de notre époque un nouvel âge d’or de la contrefaçon littéraire.
(…) à la fin des années 1990, quand le faux poème d’Emily Dickinson fut mis aux enchères, s’acheter un morceau du gâteau de mariage des Windsor, vendu chez Sotheby’s à New York pour 27 000 dollars, était du dernier chic pour les amateurs de glamour rêvant de s’offrir une part (sans mauvais jeu de mots) des célébrités qui les fascinaient. Et comme l’a montré la vente des objets personnels de Marilyn Monroe chez Christie’s, il n’y a pas de limite à ce que les gens sont prêts à dépenser pour se rapprocher de leurs idoles : le nécessaire à maquillage de la star, estimé à 1 000 dollars au départ, est parti pour un quart de million. La même année, la maison de ventes Guernsey’s, située elle aussi à New York, a adjugé la balle de base-ball frappée par Mark McGwire lors de son 70e home-run pour 3,2 millions de dollars. (…)
C’est notre obsession de la célébrité qui est à l’origine de la plupart des scandales de contrefaçons littéraires de ces vingt-cinq dernières années. Qu’il s’agisse de la fausse autobiographie du milliardaire reclus Howard Hughes par Clifford Irving, de la fausse correspondance entre JFK et Marilyn Monroe apparue à New York au début des années 1990, ou du journal intime de Jack l’Éventreur, prétendument retrouvé en Angleterre en 1993, ce sont toujours les nouvelles révélations « explosives » contenues dans ces documents qui augmentent leur valeur. La plupart de ces faux sont médiocres d’un point de vue technique. Mais le tourbillon permanent de l’info, la course aux scoops et le manque d’éthique des médias ont rendu le public prêt à croire n’importe quoi.


Lorsqu’il s’agit de coordonner la cinquantaine de muscles mobilisés pour nous permettre l’écriture, le contrôle passe du cortex supérieur au tronc cérébral, responsable de nos fonctions et de nos réflexes les plus basiques. Nous commençons à former les lettres et notre main se déplace de haut en bas à mesure que nos muscles se contractent et se relâchent les uns contre les autres. On parle de couple musculaire agoniste et antagoniste.
Toutes ces opérations s’enchaînent à une vitesse fulgurante, sans même qu’on s’en rende compte. Les lettres et les mots jaillissent de nos doigts sur le papier comme le feu d’une mitraillette, en un flot continu. Il nous faut seulement 150 millisecondes pour donner un trait de stylo, sachant que nous en produisons entre quatre et sept, soit l’équivalent de deux lettres, par seconde. Notre stylo se déplace à une vitesse de 200 mm par seconde. Le temps que nous remarquions avoir commis une faute, nous sommes déjà trois ou quatre lettres plus loin.


Au moment d’embarquer à Greenwich [en 1638], il emporta clandestinement une presse typographique, 60 livres de papier et quelques caisses de bouteilles d’encre. Il emmena aussi un imprimeur professionnel. Pour des raisons liées au contexte juridique et administratif de l’époque, le nom de ce dernier ne figure pas sur le manifeste de bord : seuls les membres de la Stationer’s Company, créée par charte royale, avaient le droit d’exercer l’activité d’imprimerie. Ceux qui ne respectaient pas les termes de cette franchise s’exposaient à de graves pénalités. « Je remercie Dieu », écrit sir William Berkley, gouverneur royal de Virginie, en 1671, « qu’il n’y ait ni écoles ni imprimeries libres, et j’espère qu’il en sera ainsi pendant des siècles ; car l’éducation a fait naître la désobéissance, l’hérésie, les sectes, et l’imprimerie les a propagées dans le monde… Que Dieu nous préserve de ces deux fléaux. »


 

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