vendredi 7 novembre 2025

[Coe, Jonathan) Les preuves de mon innocence

 



Coup de coeur 💓

 

Titre : Les preuves de mon innocence 
            (The Proof of my Innocence)

Auteur : Jonathan COE

Traduction : Marguerite CAPPELLE

Parution : en anglais en 2024,
                  en français en
2025 (Gallimard)

Pages : 480

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

L’arrivée de Liz Truss au 10, Downing Street.
Des ultraconservateurs réunis dans un vieux manoir.
Une société secrète d’étudiants en plein Cambridge.
Plusieurs morts mystérieuses.
Des jeunes femmes en quête de vérité.
Et une vieille inspectrice bien trop gourmande…

Voici quelques ingrédients du nouveau roman virtuose de Jonathan Coe, le plus brillant et charming des auteurs britanniques, qui se joue ici des codes du polar pour mieux dénoncer montée des extrêmes et désinformation.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Jonathan Coe est né en 1961 à Birmingham. Il est l’un des auteurs majeurs de la littérature britannique contemporaine. On lui doit notamment Testament à l’anglaise (1995), prix du Meilleur Livre étranger 1996, La Maison du sommeil (1998), prix Médicis étranger 1998, Bienvenue au club (2003), Numéro 11 (2016), Le cœur de l’Angleterre (2019), prix du Livre européen 2019, Le royaume désuni (2022)...

 

 

Avis :

Désormais bien connu pour ses observations romanesques de l’Angleterre contemporaine, Jonathan Coe poursuit dans cette veine sous une forme nouvelle mêlant le pastiche littéraire à la satire politique et sociale. Sur fond de bouleversements récents – l’arrivée de Liz Truss au pouvoir et la disparition d’Elizabeth II –, il tisse une intrigue chorale alternant présent et années 1980, qui interroge l’héritage du néolibéralisme, la fabrication des récits politiques et la manière dont les individus tentent de se situer dans une mémoire collective en tension.

Les trajectoires de plusieurs personnages s’y croisent autour d’un manoir, cadre d’un séminaire organisé par un cercle conservateur, où ressurgissent les tensions idéologiques des années Thatcher. La découverte d’un cadavre interrompt les débats et déclenche une enquête menée par une inspectrice en fin de carrière, épaulée par deux jeunes femmes proches de la victime. Blogueur politique engagé et farouchement anti-conservateur, l'homme assassiné menait lui-même des investigations sur les jeux d’influence impliquant certains membres des cercles intellectuels de Cambridge. L’affaire met au jour les liens entre sphère privée et luttes idéologiques, dans une société britannique où les démons du thatchérisme trouvent un écho dans le trumpisme contemporain. 

Cette matière romanesque alimente une construction narrative à la fois ludique et rigoureuse, qui mobilise les codes du whodunit – enquête, fausses pistes, révélations progressives – pour les détourner au profit d’un dispositif critique. L’enquête constitue un levier d'exploration des récits concurrents, des silences familiaux et des fractures générationnelles, dans un monde où la vérité se négocie autant qu’elle se découvre. Le manoir, lieu clos et symbolique, cristallise ces tensions, révélant les lignes de faille entre mémoire intime et idéologie dominante, entre héritages refoulés et récits recomposés.

Le roman conjugue ainsi les ressorts du divertissement narratif avec une réflexion aiguë sur les dérives du pouvoir et les mécanismes de l’oubli. Dans ce jeu de miroirs entre passé et présent, fiction et politique, il sollicite une prise de conscience. Toute enquête – policière ou historique – engage des questions de point de vue et de pouvoir, et le roman s’impose comme un espace critique où s’élabore une lecture lucide des tensions qui traversent la société britannique contemporaine.

Si l'on se perd avec plaisir dans ce récit ironique aux allures de labyrinthe qui emboîte ses multiples niveaux – dialogues, documents, souvenirs – dans une mécanique aussi inventive que maîtrisée, on peut aussi regretter que, dans sa finesse de traitement, le propos politique semble y perdre en mordant, le parallèle entre les années Thatcher et l’ère Trump ne restant jamais qu’esquissé. L'ensemble amuse, intrigue et séduit, mais laisse poindre une réserve : celle d’un regard acéré qui, malgré sa justesse, semble s’arrêter au seuil de la confrontation, pour une oeuvre au final presque plus mélancolique que caustique. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

Dans ce monde, les gens les plus dangereux sont ceux qui savent exactement ce qu’ils veulent, et qui sont bien décidés à l’obtenir.


J’ai tendance à penser que l’un des marqueurs les plus puissants de cet individualisme nouveau, c’est le téléphone portable : cet objet improbable, à l’origine désopilante brique en plastique munie d’une antenne radio, et aujourd’hui omniprésent, indispensable, pièce maîtresse et pierre angulaire de nos existences. Vous souvenez-vous de son lancement auprès du grand public, au Royaume-Uni ? C’était à l’occasion du nouvel an 1985. Vous rappelez-vous qui était chargé de présenter cette innovation ? Ernie Wise, bien sûr. Eric Morecambe était mort l’année précédente, laissant Ernie seul et endeuillé : ce parfait microcosme de société grâce auquel son partenaire et lui avaient diverti la nation des années durant s’était brisé pour toujours. Il était tout seul, désormais : quoi de mieux pour symboliser ce nouvel individualisme, qui en fin de compte (on se demande bien pourquoi personne n’y a pensé, à l’époque) n’est jamais qu’une autre façon de désigner la solitude.
Bref, ne laissez personne vous dire que les années quatre-vingt ont commencé le jour où les années soixante-dix ont pris fin. Les années quatre-vingt ont commencé le 1er janvier 1985, quand Ernie Wise a passé le premier appel avec un téléphone mobile au Royaume-Uni.


Les domaines d’expertise de Christopher étaient divers et variés : il s’intéressait entre autres à la guerre de Cent Ans, au gouvernement de Robert Walpole et à la dictature d’António de Oliveira Salazar au Portugal. Mais son sujet de prédilection était l’essor des idées conservatrices en Amérique et au Royaume-Uni, depuis la période de la « relation spéciale » entre Reagan et Thatcher. Christopher ne faisait pas mystère de ses opinions, mais comme il aimait le souligner malicieusement : « j’ai des amis très proches qui sont conservateurs ». Il témoignait d’un généreux respect envers les fondements intellectuels du conservatisme, mais s’inquiétait de la mainmise croissante des extrêmes sur ce mouvement, de part et d’autre de l’Atlantique. 


… oh oui, il débordait de colère, Peter. Tout comme Howard. Des hommes calmes, discrets, et puis en une fraction de seconde ils pouvaient se mettre à brailler, à s’énerver. Toujours à s’emporter, ces deux-là. Des hommes en colère. (…) Ah, ces hommes en colère. Je ne sais pas ce qui les énerve à ce point, parce qu’ils n’en font globalement qu’à leur tête, la plupart du temps. Et pourtant, on dirait qu’ils sont partout dans nos vies, ces hommes en colère…


On en revient toujours à ça, en général. L’argent. Les gens n’arrêtent pas de parler de valeurs, de nos jours, et de guerres culturelles, mais d’après mon expérience, on s’entre-tue rarement pour des histoires de valeurs ou de culture. On s’entre-tue pour l’argent. Les humains sont des créatures primitives, en réalité.


Est-ce que ce serait tout le temps comme ça, désormais ? Chacun dans sa réalité, incapable de se mettre d’accord pour savoir si la pandémie a vraiment eu lieu ou si c’était un canular, si le changement climatique existe ou pas, si la Terre est plate ou plutôt ronde. À quoi bon écrire un livre, dans un monde pareil ?


Mais vous voyez, tel est le pouvoir de l’écrit. Grâce à lui, rien ne s’oublie jamais. Rien ne se perd. La littérature interrompt le cours du temps. C’est la seule raison de s’y adonner, au bout du compte. 


Comment survivent les écrivains ? Je ne parle pas de leurs moyens de subsistance, je parle de la façon dont leurs livres leur survivent, après leur disparition. Ils s’en tirent rarement sans aide. Les livres survivent parce que des gens tombent dessus ou sont aiguillés vers eux. Des lecteurs les lisent. Des enthousiastes font du prosélytisme. Des critiques font du débat. Des enseignants font des cours. 
L’objectif avait toujours été que mes livres me survivent. En les écrivant, j’avais accompli la première étape de ce projet. Il était peut-être temps, désormais, de me lancer dans la phase suivante ?


 

2 commentaires:

  1. J'ai quand même eu une impression de lenteur, à la lecture. Peut-être parce que j'y voyais trop un polar ? Ca m'a aussi incité à ne pas prendre le livre très au sérieux. J'y ai vu une agréable lecture de distraction.

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    1. C'est un livre qui en cache un autre, Denis. Une agréable distraction, mais aussi un regard critique, social et politique.

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