J'ai beaucoup aimé
Titre : Sarah Bernhardt :
Scandaleuse et indomptable
Auteur : Hélène TIERCHANT
Parution : 2023 (Tallandier)
Pages : 384
Présentation de l'éditeur :
Celle qui fut la muse des plus grands
écrivains et des plus célèbres portraitistes de son temps, avant
d’inspirer romanciers, dramaturges et cinéastes, ne fut pas seulement
une actrice géniale. La mythique « Voix d’or », comme la surnommait
Victor Hugo, cumulait tous les talents, également auteure, peintre et
sculptrice de renom. Révulsée par la misère, l’injustice et
l’intolérance, elle se fit aussi connaître pour ses engagements
courageux : elle ne cessa de lutter contre la peine de mort, s’engagea
aux côtés de Zola pendant l’affaire Dreyfus et combattit avec Louise
Michel pour les droits, civils et politiques, des femmes.
On croyait tout connaître de « la Divine »,
mais l’ouverture de sources longtemps inaccessibles, archives et
correspondances inédites, a permis de découvrir des aspects insoupçonnés
de cette personnalité brûlante.
C’est la vie de cette Sarah Bernhardt,
étonnamment moderne, que ressuscite Hélène Tierchant avec une vraie
tendresse et une plume vivante et délicate.
« Je m’armai pour la lutte, aimant mieux mourir en plein combat que m’éteindre dans les regrets d’une vie manquée. » Sarah Bernhardt
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Hélène Tierchant, historienne et romancière, est spécialiste de
l’histoire du théâtre et du cinéma. Elle est notamment l’auteure de La
Grande Histoire de la Comédie-Française (2011).
Avis :
Qu’elle est fascinante, cette femme qui, avec un panache n’égalant que son talent, explore tous les arts : théâtre, littérature, peinture, sculpture, et même le cinéma naissant, avec le même irrésistible succès. Fille sans père d’une courtisane – ce qui lui donnera l’occasion d’entretenir une dramaturgie toute d’affabulation sur ses origines et son identité –, très tôt déterminée à « mourir plutôt que de ne pas devenir la plus grande actrice du monde » et toute sa vie véritable bourreau de travail, elle entre à la Comédie-Française dès sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Paris, y triomphe avant d’en claquer la porte pour créer sa propre compagnie, sillonne les cinq continents dans de triomphales tournées où elle gagne des fortunes aussitôt dilapidées. Elle déchaîne les foules partout où elle passe, côtoie et inspire les plus grands : Victor Hugo, Emile Zola, Edmond Rostand, Pierre Loti, Jean Cocteau, Oscar Wilde, Marcel Proust…, et, toujours, fait preuve d’un art consommé de la mise en scène, au théâtre comme à la ville.
Sa vie privée est mouvementée. Femme fatale, elle collectionne les amants – dont l’empereur Napoléon III et le futur roi Edouard VII – sans exclure les relations rétribuées, s’éprend deux fois à la folie d’hommes voyous et drogués, n’aura qu’un fils, à vingt ans, dont elle prétendra qu’elle ne se souvient jamais si le père est « Victor Hugo, Gambetta, ou le général Boulanger ». Excentrique et passionnée au dernier degré, elle fascine autant qu’elle scandalise, se fait photographier dans un cercueil capitonné trônant en permanence dans sa chambre, abrite chez elle une vraie ménagerie – avec lionceaux, alligator, singe et boa –, organise une expédition punitive, poignard et cravache en main, pour saccager l’appartement de l’auteur de pamphlets à son encontre. Elle s’illustre par son courage patriotique lors de la guerre de 1870 en installant un hôpital au théâtre de l’Odéon. Elle soutient Louise Michel pour la cause des femmes, Victor Hugo contre la peine de mort, Emile Zola dans l’affaire Dreyfus. Amputée d’une jambe à plus de soixante-dix ans, elle continue à se produire sur scène et se fait porter jusque dans les tranchées pour soutenir les Poilus de la Grande Guerre.
Hélène Tierchant nous régale de son récit fluide et rythmé qui se lit comme un roman et qui, non sans humour, ne cesse de nous ébahir de ce portrait si détonant dans sa rigoureuse authenticité. Indomptable portant haut la devise « Quand même », Sarah Bernhardt continue à impressionner comme elle a subjugué le monde entier à son époque. Admirée ou détestée, elle n’a laissé personne indifférent, ni tsar, empereur ou prince, ni grands noms de la littérature, de Flaubert à Victor Hugo en passant par Tchekhov, Oscar Wilde et bien d’autres… (4/5)
Citations :
– Quand on s’est assis sur un fagot d’épines, on ne sait pas laquelle vous a piqué !
Tombée de haut, et durablement blessée, Sarah dira un jour : « L’amour, c’est un coup d’œil, un coup de reins, et un coup d’éponge. » Piquée au vif, elle ne pardonnera pas. Et des décennies plus tard, à un journaliste qui lui demandait qui était le père de son enfant, elle répondra : « Je ne me souviens jamais si c’est Victor Hugo, Gambetta ou le général Boulanger ! »…
« Ce qui n’est pas paroxystique lui semble léthargie », constate un journaliste.
C’est à ce dernier que l’on doit la description du « clou » de la demeure, la chambre de Sarah. Une pièce somptueuse et funèbre, tapissée de noir, des murs au plafond. Un immense dais, de même couleur, surplombe le lit d’ébène dissimulé derrière des rideaux brodés de dragons rouges aux griffes d’or. Lové à côté du lit, on remarque le fameux cercueil en bois de rose. Et dans une encoignure, une psyché sur le cadre de laquelle un vampire ciselé déploie ses ailes velues. À côté veille le squelette d’un jeune homme – mort d’amour, prétend l’actrice –, chef-d’œuvre de préparation anatomique aux os polis comme de l’ivoire. Sarah, qui a le sens de l’humour, l’a baptisé Lazare, allusion au ressuscité des évangiles.
Elle revendique le droit d’être originale, d’être un être à part, crime de « lèse-banalité » pour les foules anonymes. Et refuse de courber l’échine, d’accepter la moindre compromission, crime de « lèse-société » aux yeux de la multitude bêlante. Elle sait qu’il vaut mieux être détesté qu’inconnu quand on brigue la gloire. Et elle recherche la bataille, exprès. Parce que « Mlle Révolte » – c’est le surnom que lui donne Perrin – fonctionne au défi. Elle n’est jamais aussi forte que lorsqu’elle doit lutter, « aimant mieux mourir en plein combat que [s’]éteindre dans les regrets d’une vie manquée ».
La troupe allait donner vingt-sept représentations à New York, devant des salles combles. Peu d’Américains savaient pourtant le français. Mais Jarrett avait pris soin de faire traduire chacune des pièces. Pour quelques dollars supplémentaires, les spectateurs pouvaient, avant le lever de rideau, se procurer une brochure où figuraient les deux textes en regard, et ils s’évertuaient à suivre les dialogues en anglais. « Cela produit un effet assez curieux. Quand on parvient au bas d’une page, mille feuillets se tournent ensemble : on dirait le bruit d’une averse qui ne durerait qu’une seconde », avoue Sarah avec un rien d’agacement.
Marie Colombier devait quant à elle rapporter une anecdote hilarante. À Hartford, « on jouait Froufrou. Par erreur, les employés chargés de la vente des libretti avaient apporté ceux de Phèdre. Les portes du théâtre s’ouvrent… Au contrôle, on vend les livrets de Phèdre.
Le public a suivi consciencieusement le dialogue de Meilhac et Halévy dans les tirades de Racine. Personne n’a réclamé. Voilà comment ils comprennent ! Mais quoi : ils ont payé, ils ont pleuré. Que veut-on de plus ? »
Dressant le bilan de cet exploit hors norme, le dramaturge Edmond Haraucourt remarque finement : « Les cinq continents se tenaient pour suffisamment érudits s’ils connaissaient deux mots de notre langue, deux noms de notre Histoire : Napoléon, Sarah Bernhardt. » Et le critique Jules Lemaître a ce beau compliment : « Sarah Bernhardt aura connu la gloire énorme, concrète, enivrante, affolante, la gloire des conquérants et des césars. On lui a fait dans tous les pays du monde des réceptions qu’on ne fait point aux rois. Elle a eu ce que n’auront jamais les princes de la pensée. »
De Max aura le mot de la fin : « Sa gloire sera d’être Sarah, d’être un nom… Elle a créé tant de beauté, elle a eu tant de talent, elle a eu tant de génie, que la mesure n’est plus possible à l’admiration. Princesse, reine, déesse, elle a été la grande admirée des foules et tous ces mots murmurés, dits, criés sur ses pas comme des hymnes ou des prières, l’ont transformée peu à peu en idole. »
« Il y a une chose bien plus étonnante que celle de voir jouer Sarah Bernhardt, c’est de la voir vivre », répétait Victorien Sardou. Et Sacha Guitry de confirmer : « Tout ce que faisait cette femme était extraordinaire, mais son entourage trouvait absolument normal qu’elle ne fasse que des choses extraordinaires. »
Jusqu’à sa mort, qui devait survenir en 1905, de lettre en lettre, Louise Michel ressassera son adoration à la comédienne, terminant chaque missive par un fervent : « Je vous embrasse et vous aime de tout mon cœur. »
La communarde et l’actrice étaient toutes deux des enfants naturelles, des bâtardes nées de père « non dénommé ». Des déclassées, fille d’une servante analphabète pour Louise, d’une courtisane pour Sarah. Leur mal-être foncier avait fait d’elles des révoltées. Et l’une et l’autre allaient se révéler de forcenées féministes. Avec l’approbation militante de Victor Hugo, qu’elles admiraient pareillement et qui était très proche d’elles.
« Il est douloureux de le dire : dans la civilisation actuelle, il y a une esclave. La loi a des euphémismes : ce que j’appelle une esclave, elle l’appelle une mineure ; cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité, c’est la femme. Dans notre législation telle qu’elle est, la femme ne possède pas, elle n’est pas en justice, elle ne vote pas, elle ne compte pas, elle n’este pas. Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est là un état violent ; il faut qu’il cesse », martelait le poète, qui devait accepter en 1882 de devenir président d’honneur de la Ligue française pour le droit des femmes. Louise Michel, qui réclamait elle aussi les mêmes droits civils et politiques pour les deux sexes, était plus radicale encore : « La question des femmes est, surtout à l’heure actuelle, inséparable de la question de l’humanité… Notre place dans l’humanité ne doit pas être mendiée, mais prise. » Et, leur faisant écho, Sarah répétait qu’il faut « donner pour contrepoids au droit de l’homme le droit de la femme ».
Il faut se rendre compte de ce que représentait Sarah Bernhardt, vers 1900. Plus qu’une impératrice, une espèce de divinité. Je crois qu’au point de vue de sa situation dans le monde, Victor Hugo est le seul qu’on puisse lui comparer », devait écrire Jacques Porel, fils de Paul Parfouru-Porel et de la comédienne Réjane…
Certes, il est des critiques pour estimer qu’elle exagère. Qu’elle « fait sa Sarah Bernhardt » – expression récemment passée dans le langage courant. Mais comme l’écrit l’humoriste Marc Twain : « Il y a cinq sortes de comédiennes : les mauvaises, les passables, les bonnes, les grandes – et puis il y a Sarah Bernhardt. »
Un jour, « Sarah Bernhardt, pour s’amuser, a fait avec moi un compte approximatif de ce qu’elle avait gagné au cours de son existence. Elle estima le total à plus de quarante-cinq millions de francs-or [quelque 185 millions d’euros !]… Et elle ne possédait pas dix mille francs à elle », écrit Louis Verneuil, dans sa biographie de la Divine. « Imprévoyance tragique, mais qu’on peut aussi juger admirable. Toute sa vie, elle avait eu en son génie, en sa puissance de travail et aussi en son étoile, une telle confiance que jamais elle n’avait pensé à économiser. D’ailleurs, y serait-elle jamais parvenue ? »
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