samedi 19 août 2023

[Tierchant, Hélène] Sarah Bernhardt : Scandaleuse et indomptable

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Sarah Bernhardt :
            Scandaleuse et indomptable

Auteur : Hélène TIERCHANT

Parution : 2023 (Tallandier)

Pages : 384

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Vénérée pour la virtuosité de son jeu, son incroyable vaillance et ses audaces, ou dénigrée pour sa personnalité incandescente, son anticonformisme et ses outrances médiatiques, jamais star n’a autant déchaîné les passions que Sarah Bernhardt (1844-1923), dont le seul nom reste une légende.

Celle qui fut la muse des plus grands écrivains et des plus célèbres portraitistes de son temps, avant d’inspirer romanciers, dramaturges et cinéastes, ne fut pas seulement une actrice géniale. La mythique « Voix d’or », comme la surnommait Victor Hugo, cumulait tous les talents, également auteure, peintre et sculptrice de renom. Révulsée par la misère, l’injustice et l’intolérance, elle se fit aussi connaître pour ses engagements courageux : elle ne cessa de lutter contre la peine de mort, s’engagea aux côtés de Zola pendant l’affaire Dreyfus et combattit avec Louise Michel pour les droits, civils et politiques, des femmes.
On croyait tout connaître de « la Divine », mais l’ouverture de sources longtemps inaccessibles, archives et correspondances inédites, a permis de découvrir des aspects insoupçonnés de cette personnalité brûlante.
C’est la vie de cette Sarah Bernhardt, étonnamment moderne, que ressuscite Hélène Tierchant avec une vraie tendresse et une plume vivante et délicate.

« Je m’armai pour la lutte, aimant mieux mourir en plein combat que m’éteindre dans les regrets d’une vie manquée. » Sarah Bernhardt

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Hélène Tierchant, historienne et romancière, est spécialiste de l’histoire du théâtre et du cinéma. Elle est notamment l’auteure de La Grande Histoire de la Comédie-Française (2011).

 

Avis :

Victor Hugo la surnomma la « Voix d’Or », Jean Cocteau inventa à son propos l’expression « monstre sacré ». Elle était « La Divine » et « La Scandaleuse ». Elle reste la plus célèbre des tragédiennes françaises, la première star connue dans le monde entier, pour ses talents et pour son extravagance. Hélène Tierchant la fait revivre dans une biographie documentée, fourmillant d’anecdotes pittoresques, qui nous replonge entre XIXe et XXe siècles, de la guerre de 1870 à celle de 1914 en passant par la Commune, dans un tourbillon où gravitent les plus grandes personnalités politiques et artistiques de l’époque.

Qu’elle est fascinante, cette femme qui, avec un panache n’égalant que son talent, explore tous les arts : théâtre, littérature, peinture, sculpture, et même le cinéma naissant, avec le même irrésistible succès. Fille sans père d’une courtisane – ce qui lui donnera l’occasion d’entretenir une dramaturgie toute d’affabulation sur ses origines et son identité –, très tôt déterminée à « mourir plutôt que de ne pas devenir la plus grande actrice du monde » et toute sa vie véritable bourreau de travail, elle entre à la Comédie-Française dès sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Paris, y triomphe avant d’en claquer la porte pour créer sa propre compagnie, sillonne les cinq continents dans de triomphales tournées où elle gagne des fortunes aussitôt dilapidées. Elle déchaîne les foules partout où elle passe, côtoie et inspire les plus grands : Victor Hugo, Emile Zola, Edmond Rostand, Pierre Loti, Jean Cocteau, Oscar Wilde, Marcel Proust…, et, toujours, fait preuve d’un art consommé de la mise en scène, au théâtre comme à la ville.

Sa vie privée est mouvementée. Femme fatale, elle collectionne les amants – dont l’empereur Napoléon III et le futur roi Edouard VII – sans exclure les relations rétribuées, s’éprend deux fois à la folie d’hommes voyous et drogués, n’aura qu’un fils, à vingt ans, dont elle prétendra qu’elle ne se souvient jamais si le père est « Victor Hugo, Gambetta, ou le général Boulanger ». Excentrique et passionnée au dernier degré, elle fascine autant qu’elle scandalise, se fait photographier dans un cercueil capitonné trônant en permanence dans sa chambre, abrite chez elle une vraie ménagerie – avec lionceaux, alligator, singe et boa –, organise une expédition punitive, poignard et cravache en main, pour saccager l’appartement de l’auteur de pamphlets à son encontre. Elle s’illustre par son courage patriotique lors de la guerre de 1870 en installant un hôpital au théâtre de l’Odéon. Elle soutient Louise Michel pour la cause des femmes, Victor Hugo contre la peine de mort, Emile Zola dans l’affaire Dreyfus. Amputée d’une jambe à plus de soixante-dix ans, elle continue à se produire sur scène et se fait porter jusque dans les tranchées pour soutenir les Poilus de la Grande Guerre.

Hélène Tierchant nous régale de son récit fluide et rythmé qui se lit comme un roman et qui, non sans humour, ne cesse de nous ébahir de ce portrait si détonant dans sa rigoureuse authenticité. Indomptable portant haut la devise « Quand même », Sarah Bernhardt continue à impressionner comme elle a subjugué le monde entier à son époque. Admirée ou détestée, elle n’a laissé personne indifférent, ni tsar, empereur ou prince, ni grands noms de la littérature, de Flaubert à Victor Hugo en passant par Tchekhov, Oscar Wilde et bien d’autres… (4/5)

 

Citations : 

Il est probable que Sarah a rencontré le jeune Belge quelques semaines auparavant, à Paris où il venait régulièrement goûter aux plaisirs de la fête impériale. Mais une altesse n’épouse pas une histrionne, née bâtarde et juive, qui plus est catin notoire. Lorsqu’elle lui avait avoué qu’elle attendait un enfant, le soir de la première d’Un mari qui lance sa femme, le goujat avait ricané :
– Quand on s’est assis sur un fagot d’épines, on ne sait pas laquelle vous a piqué !
Tombée de haut, et durablement blessée, Sarah dira un jour : « L’amour, c’est un coup d’œil, un coup de reins, et un coup d’éponge. » Piquée au vif, elle ne pardonnera pas. Et des décennies plus tard, à un journaliste qui lui demandait qui était le père de son enfant, elle répondra : « Je ne me souviens jamais si c’est Victor Hugo, Gambetta ou le général Boulanger ! »…
 
 
Il faut toujours être ivre, pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous ! », pourrait répéter Sarah à l’instar de Baudelaire.
« Ce qui n’est pas paroxystique lui semble léthargie », constate un journaliste.
 

C’est à ce dernier que l’on doit la description du « clou » de la demeure, la chambre de Sarah. Une pièce somptueuse et funèbre, tapissée de noir, des murs au plafond. Un immense dais, de même couleur, surplombe le lit d’ébène dissimulé derrière des rideaux brodés de dragons rouges aux griffes d’or. Lové à côté du lit, on remarque le fameux cercueil en bois de rose. Et dans une encoignure, une psyché sur le cadre de laquelle un vampire ciselé déploie ses ailes velues. À côté veille le squelette d’un jeune homme – mort d’amour, prétend l’actrice –, chef-d’œuvre de préparation anatomique aux os polis comme de l’ivoire. Sarah, qui a le sens de l’humour, l’a baptisé Lazare, allusion au ressuscité des évangiles.
 

Elle revendique le droit d’être originale, d’être un être à part, crime de « lèse-banalité » pour les foules anonymes. Et refuse de courber l’échine, d’accepter la moindre compromission, crime de « lèse-société » aux yeux de la multitude bêlante. Elle sait qu’il vaut mieux être détesté qu’inconnu quand on brigue la gloire. Et elle recherche la bataille, exprès. Parce que « Mlle Révolte » – c’est le surnom que lui donne Perrin – fonctionne au défi. Elle n’est jamais aussi forte que lorsqu’elle doit lutter, « aimant mieux mourir en plein combat que [s’]éteindre dans les regrets d’une vie manquée ».
 

La troupe allait donner vingt-sept représentations à New York, devant des salles combles. Peu d’Américains savaient pourtant le français. Mais Jarrett avait pris soin de faire traduire chacune des pièces. Pour quelques dollars supplémentaires, les spectateurs pouvaient, avant le lever de rideau, se procurer une brochure où figuraient les deux textes en regard, et ils s’évertuaient à suivre les dialogues en anglais. « Cela produit un effet assez curieux. Quand on parvient au bas d’une page, mille feuillets se tournent ensemble : on dirait le bruit d’une averse qui ne durerait qu’une seconde », avoue Sarah avec un rien d’agacement.
Marie Colombier devait quant à elle rapporter une anecdote hilarante. À Hartford, « on jouait Froufrou. Par erreur, les employés chargés de la vente des libretti avaient apporté ceux de Phèdre. Les portes du théâtre s’ouvrent… Au contrôle, on vend les livrets de Phèdre.
Le public a suivi consciencieusement le dialogue de Meilhac et Halévy dans les tirades de Racine. Personne n’a réclamé. Voilà comment ils comprennent ! Mais quoi : ils ont payé, ils ont pleuré. Que veut-on de plus ? »
 
 
Son périple aura duré trente-deux mois au total, et en deux ans et huit mois, tous frais de troupe et de voyage déduits, elle aura gagné, net, trois millions et demi de francs-or, grâce à son génie. Un record en forme de défi, puisqu’elle se sera aventurée en pionnière dans des contrées où jamais une Melpomène française, ni même occidentale, n’avait jusqu’alors porté ses cothurnes.
Dressant le bilan de cet exploit hors norme, le dramaturge Edmond Haraucourt remarque finement  : « Les cinq continents se tenaient pour suffisamment érudits s’ils connaissaient deux mots de notre langue, deux noms de notre Histoire  : Napoléon, Sarah Bernhardt. » Et le critique Jules Lemaître a ce beau compliment : « Sarah Bernhardt aura connu la gloire énorme, concrète, enivrante, affolante, la gloire des conquérants et des césars. On lui a fait dans tous les pays du monde des réceptions qu’on ne fait point aux rois. Elle a eu ce que n’auront jamais les princes de la pensée. »


De Max aura le mot de la fin : « Sa gloire sera d’être Sarah, d’être un nom… Elle a créé tant de beauté, elle a eu tant de talent, elle a eu tant de génie, que la mesure n’est plus possible à l’admiration. Princesse, reine, déesse, elle a été la grande admirée des foules et tous ces mots murmurés, dits, criés sur ses pas comme des hymnes ou des prières, l’ont transformée peu à peu en idole. »


« Il y a une chose bien plus étonnante que celle de voir jouer Sarah Bernhardt, c’est de la voir vivre », répétait Victorien Sardou. Et Sacha Guitry de confirmer : « Tout ce que faisait cette femme était extraordinaire, mais son entourage trouvait absolument normal qu’elle ne fasse que des choses extraordinaires. »


Jusqu’à sa mort, qui devait survenir en 1905, de lettre en lettre, Louise Michel ressassera son adoration à la comédienne, terminant chaque missive par un fervent  : « Je vous embrasse et vous aime de tout mon cœur. »
La communarde et l’actrice étaient toutes deux des enfants naturelles, des bâtardes nées de père « non dénommé ». Des déclassées, fille d’une servante analphabète pour Louise, d’une courtisane pour Sarah. Leur mal-être foncier avait fait d’elles des révoltées. Et l’une et l’autre allaient se révéler de forcenées féministes. Avec l’approbation militante de Victor Hugo, qu’elles admiraient pareillement et qui était très proche d’elles.
« Il est douloureux de le dire : dans la civilisation actuelle, il y a une esclave. La loi a des euphémismes : ce que j’appelle une esclave, elle l’appelle une mineure ; cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité, c’est la femme. Dans notre législation telle qu’elle est, la femme ne possède pas, elle n’est pas en justice, elle ne vote pas, elle ne compte pas, elle n’este pas. Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est là un état violent ; il faut qu’il cesse », martelait le poète, qui devait accepter en 1882 de devenir président d’honneur de la Ligue française pour le droit des femmes. Louise Michel, qui réclamait elle aussi les mêmes droits civils et politiques pour les deux sexes, était plus radicale encore : « La question des femmes est, surtout à l’heure actuelle, inséparable de la question de l’humanité… Notre place dans l’humanité ne doit pas être mendiée, mais prise. » Et, leur faisant écho, Sarah répétait qu’il faut « donner pour contrepoids au droit de l’homme le droit de la femme ». 


Tenaillé par une mauvaise pleurésie, Edmond Rostand n’avait pu assister à la première de sa pièce et il avait suivi la représentation depuis son lit grâce au théâtrophone. Mais son fils Maurice, neuf ans, qui avait eu le droit d’écouter en coulisse, aura ce mot aussi joli qu’éloquent : « Je sortis avec quelque chose que je ne puis comparer qu’à une insolation prise au soleil de Sarah Bernhardt. »


Il faut se rendre compte de ce que représentait Sarah Bernhardt, vers 1900. Plus qu’une impératrice, une espèce de divinité. Je crois qu’au point de vue de sa situation dans le monde, Victor Hugo est le seul qu’on puisse lui comparer », devait écrire Jacques Porel, fils de Paul Parfouru-Porel et de la comédienne Réjane…


Certes, il est des critiques pour estimer qu’elle exagère. Qu’elle « fait sa Sarah Bernhardt » – expression récemment passée dans le langage courant. Mais comme l’écrit l’humoriste Marc Twain : « Il y a cinq sortes de comédiennes : les mauvaises, les passables, les bonnes, les grandes – et puis il y a Sarah Bernhardt. »


Un jour, « Sarah Bernhardt, pour s’amuser, a fait avec moi un compte approximatif de ce qu’elle avait gagné au cours de son existence. Elle estima le total à plus de quarante-cinq millions de francs-or [quelque 185 millions d’euros !]… Et elle ne possédait pas dix mille francs à elle », écrit Louis Verneuil, dans sa biographie de la Divine. « Imprévoyance tragique, mais qu’on peut aussi juger admirable. Toute sa vie, elle avait eu en son génie, en sa puissance de travail et aussi en son étoile, une telle confiance que jamais elle n’avait pensé à économiser. D’ailleurs, y serait-elle jamais parvenue ? »


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire