jeudi 25 août 2022

[Teulé, Jean] Azincourt par temps de pluie

 



 

J'ai aimé

 

Titre : Azincourt par temps de pluie

Auteur : Jean TEULE

Parution : 2022 (Mialet Barrault)

Pages : 208

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Azincourt, un joli nom de village, le vague souvenir d’une bataille perdue. Ce 25 octobre 1415, il pleut dru sur l’Artois. Quelques milliers de soldats anglais qui ne songent qu’à rentrer chez eux se retrouvent pris au piège par des Français en surnombre. Bottés, casqués, cuirassés, armés jusqu’aux dents, brandissant fièrement leurs étendards, tout ce que la cour de France compte d’aristocrates se précipite pour participer à la curée. Ils ont bien l’intention de se couvrir de gloire, dans la grande tradition de la chevalerie française. Aucun n’en reviendra vivant. Toutes les armées du monde ont, un jour ou l’autre, pris la pâtée, mais pour un désastre de cette ampleur, un seul mot s’impose : grandiose !

 

Un mot sur l'auteur : 

Né en 1953 à Saint-Lô, dans la Manche, Jean Teulé est romancier et auteur de bande dessinée. Il a aussi travaillé pour le cinéma et la télévision.

 

Avis :

Débarquée en Normandie en août 1415, l’armée anglaise menée par le roi Henri V s’empare de la ville d’Harfleur après un mois de siège, mais, épuisée par une épidémie de dysenterie, doit provisoirement abandonner la poursuite de sa conquête. Elle met le cap vers le Nord de la France, pour rejoindre la ville anglaise de Calais et rembarquer vers l’Angleterre. A proximité du village d’Azincourt, en Artois, ses quelques milliers d’hommes se heurtent à la fine fleur de la chevalerie française, accourue en masse leur barrer la route. Contre toute attente, la bataille qui s’ensuit le 25 octobre est un désastre sans précédent pour le camp français.

La défaite est d’autant plus cuisante qu’elle prend au dépourvu une armée, qui, avec l’avantage du nombre et la puissance de ses charges caparaçonnées d’acier, pensait, en toute arrogance, ne faire qu’une bouchée de la piétaille dépenaillée adverse. C’était sans compter la configuration du terrain, les conditions météorologiques et les « long bows » anglais : enlisée dans la boue après une nuit de pluie, serrée en contre-bas d’un terrain étroit où les chevaux abattus font chuter les autres comme des dominos, la cavalerie lourde subit dans une totale impuissance les tirs de sape d’une archerie inexpugnable dans ses retranchements.

Sérieusement documenté et pédagogiquement exposé, le récit pas à pas de cette bérézina sanglante qui mit fin à l’ère de la chevalerie - supplantée par la suprématie des armes à distance, mais aussi sabordée par d’irréparables erreurs stratégiques -, est aussi passionnant qu’édifiant. Prenant appui sur les aspects les plus ubuesques de cette déculottée d’une armée, tellement convaincue de sa supériorité et de l’immuabilité de principes éprouvés, qu’elle commet déjà bévue sur bévue au-delà même de comprendre que les règles du jeu ont changé, l’auteur transforme sa narration en une pantalonnade très politiquement incorrecte, au langage cru et à l’humour trivial qui sont sa marque de fabrique.

Peu friande du ton et du style rabelaisien de ce texte, j’ai davantage apprécié la restitution revisitée et indéniablement frappante d’un fait historique jusqu’ici très vague dans ma mémoire. Il n’est désormais plus près de s’en effacer ! (3/5)

 

 Citations : 

— Venus de la mer vers la mi-août pour attaquer notre royaume par la Normandie, après avoir débarqué devant la petite ville fortifiée d’Harfleur qui, sans aucune aide de l’armée royale, s’est défendue vaillamment et dont la prise a beaucoup trop traîné à leur ôte humide. Les vivres qu’ils avaient apportés ont moisi. Leur roi Henry V a donc renoncé à remonter la Seine, jusqu’à l’invasion de Paris et peut-être de toute la France…                 
Philippe parle maintenant plus fort à cause du vacarme de la pluie percutant les sonores visières relevées des casques métalliques entourant les têtes assourdies à proximité. Quel déluge ! mais le seigneur du Quesne poursuit :                 
— Début octobre, après avoir laissé dans Harfleur mille de ses hommes et tous ses canons parce que trop difficiles à transporter, le roi d’Angleterre a préféré longer la côte jusqu’à Calais, l’autre ville qu’ils détiennent en France, afin de retourner sur leur île. En route, ses troupes affamées et épuisées par des semaines de marche sous la pluie se sont jetées sur des moules de la baie de Somme, hélas pour eux avariées. Une dysenterie foudroyante a ravagé l’armée anglaise et a tué ses soldats par milliers. Stoppés au sud de ce champ et à seulement quinze lieues du port de Calais, ceux encore dans les bataillons doivent se sentir découragés…
— … D’autant qu’ils se trouvent maintenant face à nous qui nous sommes lancés à leur poursuite et, après les avoir contournés, leur barrons le passage au nord de ce champ, intervient le Flameng, enthousiaste.
 

L’un des deux opposants politiques évoqués, l’Armagnac, s’était choisi deux épis d’orge pour nouvel emblème. L’autre, le Bourguignon, qui ne pouvait pas saquer son noble confrère, avait alors changé le sien par de l’ortie, sous-titré de la devise : « Attention, qui s’y frotte s’y pique ! » La menace était claire mais c’était compter sans la réplique du premier qui vira alors l’orge de sa bannière pour le remplacer par un bâton noueux utilisé dans les campagnes afin de saccager la plante urticante. Au motif représenté il fit ajouter l’expression JE LENNUIE (comprendre : « Je l’emmerde, ce fils de pute, et je vais lui pourrir sa gueule ! »). Ce à quoi, le gravement insulté répondit sur ses étendards par un rabot signifiant qu’il allait raboter ce bâton et que de son adversaire il ne resterait plus que des copeaux. L’un des deux avait été ensuite vite assassiné, et concernant l’autre ça n’allait pas tarder. Oh, la querelle « courtoise », à coups d’oriflammes belliqueuses, quel battle comme on dirait en face.
 

Partis de Harfleur début octobre, les Anglais ont souffert de la faim sans s’arrêter de marcher, de l’aube à la nuit, durant deux semaines de presque jeûne. Ils n’ont traversé aucune ville pour la piller de nourriture.                 
« Défense de viol et de rapine sous peine d’écartèlement, avait prévenu Henry V. Défense de voler des commerçants même ambulants sous peine de s’en trouver égorgé. Je refuse qu’en chemin vos désordres soulèvent les populations. Je veux seulement qu’on atteigne Calais au plus vite. D’ailleurs même les petites cités fortifiées nous ferment leurs portes car elles savent qu’on ne prendra pas le temps d’attaquer leurs remparts pour avoir à manger. Tant pis si la colonne d’hommes que vous formez s’en trouve durement éprouvée. Le long des haies, vous n’avez qu’à cueillir des mûres, des noisettes, sans jamais ralentir le pas. »
 
 
Autant le souverain français dit le Fol est fragile alors que son armée est surpuissante, autant à Maisoncelle c’est le contraire. Le souverain anglais a une forte personnalité qui fascine son armée pourtant très mal en point. 


— Au connétable du sérénissime Charles VI par la grâce de Dieu, Henry V par la même grâce vous salue et propose la paix en ce jour.  
— La paix ?! n’en revient pas le chef de l’armée française, estomaqué.  
— Henry V offre de vous rendre Harfleur et même Calais si vous nous laissez poursuivre notre route pour rentrer chez nous en Angleterre…  Boucicaut, également très surpris, avoue être prêt à accepter cet étonnant arrangement mais le duc d’Orléans (en deuxième ligne) ainsi que toute la noblesse du premier rang, pressée de vaincre, se récrient :  
— Comment ? s’insurgent en chœur les ducs de Bar et d’Alençon. Nous sommes céans très nombreux, fort bien pourvus de toutes choses, et le roi à la joue détruite jusqu’à l’œil voudrait que nous abandonnions la bataille ? Jamais !


Au premier rang, beaucoup de grands noms de l’aristocratie française ont péri. Ces morts ne bougent pas, ce qui est fréquent, mais quoique debout ils ne tombent pas non plus, ce qui est plus rare. Ils ne tombent pas car ils ne peuvent tomber. L’armure médiévale étant peu flexible, et parce qu’ils sont englués jusqu’aux genoux dans la gadoue qui les retient, leurs dépouilles ne parviennent à basculer ni en avant ni en arrière. Les nombreux succombés sans avoir combattu, entre d’autres Français qui étouffent dans leur armure, forment un vertical rempart. Ils ressemblent aux statues alignées de l’île de Pâques.


 

4 commentaires:

  1. Le livre donne envie mais je suis toujours déçue quand je lis Jean Teulé. En même temps je n'ai lu que deux livres de l'auteur. Je vais l'ajouter à mes listes... Si l'occasion se présente

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    1. Le ton est spécial, mais l'analyse et la restitution historique indéniablement fascinantes.

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  2. C'est vrai que grâce aux interventions de la charmante Fleur de Lys, on peut effectivement parler de pantalonnade pour qualifier cette déculottée!
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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    1. Un peu trop à mon goût. Dans le genre humour grinçant dans le registre historique, Isabelle Duquesnoy me semble plus accessible.

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