Coup de coeur 💓
Titre : Amsterdam Zombie
Auteur : Cizia ZYKE
Editeur : JC Lattès
Parution : 1994
Pages : 264
Présentation de l'éditeur :
Amsterdam, pont du Shippergracht. Sous l'arche de pierre enjambant le
canal, à deux pas du quartier des touristes, quelques dizaines de paumés
attendent la mort à laquelle les voue l'héroïne. Il y a là Susan,
séropositive, qui, pour se procurer sa poudre, accepte les plus
répugnantes formes de prostitution. Lola, le travesti de quinze ans
qu'elle a pris sous son aile. Carole et Toby, les dealers qui rêvent de
lointains voyages... Et Zak, journaliste à la dérive, qui a accepté de
plonger, le temps d'un reportage-choc. L'auteur de Sahara et d'Alixe
décrit, dans sa misère et sa violence nues, l'enfer des toxicos. Mais au
rebours de toute complaisance, c'est un sentiment authentique de
tendresse et de fraternité qui émane de ce récit terrible.
Avis :
Thierry Poncet relate dans Zykë l’aventure l’éprouvant épisode que les deux hommes ont vécu à Amsterdam afin de réaliser pour un journal un reportage sur la drogue. Ils en ont fait aussi un roman, Amsterdam Zombie, où Zykë devient Zak, reporter freelance désabusé et sans attache. Envoyé à Amsterdam pour un reportage sur la drogue, il va plonger dans l’expérience jusqu’à cou : se shooter à l’héroïne en compagnie de quatre drogués avec qui il va passer quatre mois. Quatre mois sous un pont d’Amsterdam, dans la crasse, le froid, la misère et la défonce. Tout le roman est basé sur du vécu. Il est impressionnant à double titre : que Zykë et Poncet soient allés au bout de cette plongée en enfer, et que les horreurs relatées soient toutes véridiques.
Ici, plus de dérision ni de provocation : juste le récit dramatique, glaçant, sans complaisance, de l’inéluctable destruction d’êtres humains transformés en zombies, dans l’habituel style incisif, implacable et sans fioriture de Zykë. Un Zykë/Zak qui n’a plus envie de rire et qui, impuissant, fera malgré tout son possible pour ses quatre compagnons devenus épaves, survivant de la prostitution, de la pornographie, du vol et du trafic de produits dénaturés, et condamnés sans échappatoire ni espoir à une irrémédiable destruction physique et mentale. Dégoût et effroi prédominent durant la lecture, ce qui est ordinaire chez Zykë, mais Amsterdam Zombie est le premier roman de l’auteur à me serrer la gorge et à m’arracher une larme.
Zykë dénonce l’hypocrisie de notre société en ce qui concerne la drogue : la tolérante Amsterdam devenue une lucrative (et pas seulement pour les trafiquants) plaque-tournante de la drogue et de la prostitution, a mis en place une gigantesque organisation d’accompagnement des drogués. Pas pour les aider à s’en sortir, mais pour les contrôler et pour contenir leurs désordres. La distribution gratuite de méthadone, cet opiacé qui évite aux dépendants à l’héroïne de ressentir les effets du manque, permet seulement de réduire les comportements à risques, mais crée une autre dépendance aux effets insupportables et tout aussi destructeurs. Ailleurs, les politiques purement répressives à l’égard des drogués les réduisent au statut de délinquants, oubliant de les voir avant tout comme des malades en grand danger et à secourir. Zykë se montre quant à lui favorable à la libéralisation de la drogue.
Amsterdam Zombie diffère des précédents écrits de Zykë. Si on retrouve son style réaliste et cinglant, son courage et sa profonde humanité derrière sa façade de dur, le sujet sordide et écoeurant à souhait écarte toute possibilité de dérision et de « déconnade ». Coup de coeur. (5/5)
Quelle leçon tirer de ce fatras ? Zak n’en voyait qu’une, unique, urgente : il fallait aider ces gens ! La seule réponse humaine à apporter au problème posé dans une société par des toxicomanes était de les assister, quoi qu’il en coûtât. Leur existence quotidienne était un calvaire, celui des êtres privés d’espoir qui cheminent sciemment et misérablement vers le néant.
Il convenait que la méthadone offrait l’avantage, pour des gens chargés de sauvegarder la sécurité générale, de produire des drogués placides et obéissants, aisément «contrôlables», comme aimait à le dire le bon Dr Binning. Mais au prix de quelles souffrances ! Et Zak n’était pas du tout certain, lui, qu’on puisse reconnaître à une nation le droit d’imposer à certains de ses membres ce genre de tortures.
Il fallait leur donner de l’héroïne. La distribuer légalement. Il fallait donner aux toxicos le pouvoir de ne jamais souffrir du manque, le droit de se tuer à petit feu avec leur poison et de passer à côté de l’existence si ça leur chantait. Là était le seul véritable service qu’une société pouvait rendre à ses drogués. Tout système social engendre des perdants, des poissards, des inadaptés, des êtres qui sont voués dès la naissance à la misère et à une existence au ras des égouts. En d’autres temps, ceux-ci avaient erré de taverne en taverne en se soûlant au mauvais vin. Aujourd’hui, ils se droguaient à outrance. Il fallait, une bonne fois pour toutes, accepter de voir le fléau tel qu’il était et prendre conscience de son irréversibilité.
Dans les pays du tiers monde, la production en masse de stupéfiants ne pouvait être stoppée. Croire qu’on pouvait en empêcher l’importation, le déluge, dans les pays occidentaux était pure folie. Rien ne pouvait plus enrayer le système. Il se trouverait toujours quelque négociant, quelque pourri, amateur de bénéfices rapides, toujours un chimiste clandestin, avide de fortune, pour inventer un nouveau produit à rêves, plus puissant que le précédent. Et il y aurait toujours des candidats au cauchemar, toujours des êtres faibles incapables de résister aux dangers des plaisirs. La drogue, désormais, faisait intimement partie de notre monde. Le plus aberrant dans cela, c’était que la plupart des sociétés européennes répondaient à la drogue par la répression. Poursuivre et emprisonner les drogués est la politique la plus grotesquement cruelle qui soit. Les délits liés à la drogue ne sont pas motivés par la défonce elle-même, mais par le manque, par des êtres arrivés à la dernière extrémité. C’est à ce manque qu’il fallait s’attaquer !
C’était cette possibilité de crise qu’il fallait faire disparaître, pour que cessent les agressions et autres cambriolages de pharmacies, tant redoutés par les bourgeois d’Europe. Rien ne sera jamais résolu, tant que les drogués seront considérés comme des délinquants et non pour ce qu’ils sont : des malades. Ayant droit à l’assistance au même titre que les accidentés, les sinistrés, les infirmes, tous ceux que la malchance avait plongés dans la mouise. Minorité que ces pauvres gens ! Toutes les drogues seraient-elles en vente libre chez l’épicier du coin, que leur nombre en resterait toujours limité, et leur tribu comprendrait exactement les mêmes individus. Ce n’était pas la présence de la drogue qui faisait les drogués. L’immense majorité des toxicos d’Europe sortaient des milieux les plus défavorisés. À eux la misère, l’alcoolisme, les cas sociaux, le chômage… La drogue était pour eux un aboutissement prévisible, voire logique. On ne cède pas à la drogue, on ne plonge pas dans un poison sans y être poussé par un drame intérieur. À tous les drogués, la vie faisait déjà mal au moment où ils avaient rencontré l’héroïne. Voilà quel était le vrai débat ! Fallait-il distribuer aux drogués des doses d’héroïne remboursées par la Sécurité sociale ? Ou bien fallait-il brûler tous les stocks disponibles en un grand bûcher, et jeter avec eux tous ces junkies paresseux, parasites et fauteurs de troubles ? Non, répondit Zak. Que l’on donne leur drogue aux drogués ! Et que le premier centre officiel de distribution soit baptisé de son nom !
Ici, plus de dérision ni de provocation : juste le récit dramatique, glaçant, sans complaisance, de l’inéluctable destruction d’êtres humains transformés en zombies, dans l’habituel style incisif, implacable et sans fioriture de Zykë. Un Zykë/Zak qui n’a plus envie de rire et qui, impuissant, fera malgré tout son possible pour ses quatre compagnons devenus épaves, survivant de la prostitution, de la pornographie, du vol et du trafic de produits dénaturés, et condamnés sans échappatoire ni espoir à une irrémédiable destruction physique et mentale. Dégoût et effroi prédominent durant la lecture, ce qui est ordinaire chez Zykë, mais Amsterdam Zombie est le premier roman de l’auteur à me serrer la gorge et à m’arracher une larme.
Zykë dénonce l’hypocrisie de notre société en ce qui concerne la drogue : la tolérante Amsterdam devenue une lucrative (et pas seulement pour les trafiquants) plaque-tournante de la drogue et de la prostitution, a mis en place une gigantesque organisation d’accompagnement des drogués. Pas pour les aider à s’en sortir, mais pour les contrôler et pour contenir leurs désordres. La distribution gratuite de méthadone, cet opiacé qui évite aux dépendants à l’héroïne de ressentir les effets du manque, permet seulement de réduire les comportements à risques, mais crée une autre dépendance aux effets insupportables et tout aussi destructeurs. Ailleurs, les politiques purement répressives à l’égard des drogués les réduisent au statut de délinquants, oubliant de les voir avant tout comme des malades en grand danger et à secourir. Zykë se montre quant à lui favorable à la libéralisation de la drogue.
Amsterdam Zombie diffère des précédents écrits de Zykë. Si on retrouve son style réaliste et cinglant, son courage et sa profonde humanité derrière sa façade de dur, le sujet sordide et écoeurant à souhait écarte toute possibilité de dérision et de « déconnade ». Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Quelle leçon tirer de ce fatras ? Zak n’en voyait qu’une, unique, urgente : il fallait aider ces gens ! La seule réponse humaine à apporter au problème posé dans une société par des toxicomanes était de les assister, quoi qu’il en coûtât. Leur existence quotidienne était un calvaire, celui des êtres privés d’espoir qui cheminent sciemment et misérablement vers le néant.
Il convenait que la méthadone offrait l’avantage, pour des gens chargés de sauvegarder la sécurité générale, de produire des drogués placides et obéissants, aisément «contrôlables», comme aimait à le dire le bon Dr Binning. Mais au prix de quelles souffrances ! Et Zak n’était pas du tout certain, lui, qu’on puisse reconnaître à une nation le droit d’imposer à certains de ses membres ce genre de tortures.
Il fallait leur donner de l’héroïne. La distribuer légalement. Il fallait donner aux toxicos le pouvoir de ne jamais souffrir du manque, le droit de se tuer à petit feu avec leur poison et de passer à côté de l’existence si ça leur chantait. Là était le seul véritable service qu’une société pouvait rendre à ses drogués. Tout système social engendre des perdants, des poissards, des inadaptés, des êtres qui sont voués dès la naissance à la misère et à une existence au ras des égouts. En d’autres temps, ceux-ci avaient erré de taverne en taverne en se soûlant au mauvais vin. Aujourd’hui, ils se droguaient à outrance. Il fallait, une bonne fois pour toutes, accepter de voir le fléau tel qu’il était et prendre conscience de son irréversibilité.
Dans les pays du tiers monde, la production en masse de stupéfiants ne pouvait être stoppée. Croire qu’on pouvait en empêcher l’importation, le déluge, dans les pays occidentaux était pure folie. Rien ne pouvait plus enrayer le système. Il se trouverait toujours quelque négociant, quelque pourri, amateur de bénéfices rapides, toujours un chimiste clandestin, avide de fortune, pour inventer un nouveau produit à rêves, plus puissant que le précédent. Et il y aurait toujours des candidats au cauchemar, toujours des êtres faibles incapables de résister aux dangers des plaisirs. La drogue, désormais, faisait intimement partie de notre monde. Le plus aberrant dans cela, c’était que la plupart des sociétés européennes répondaient à la drogue par la répression. Poursuivre et emprisonner les drogués est la politique la plus grotesquement cruelle qui soit. Les délits liés à la drogue ne sont pas motivés par la défonce elle-même, mais par le manque, par des êtres arrivés à la dernière extrémité. C’est à ce manque qu’il fallait s’attaquer !
C’était cette possibilité de crise qu’il fallait faire disparaître, pour que cessent les agressions et autres cambriolages de pharmacies, tant redoutés par les bourgeois d’Europe. Rien ne sera jamais résolu, tant que les drogués seront considérés comme des délinquants et non pour ce qu’ils sont : des malades. Ayant droit à l’assistance au même titre que les accidentés, les sinistrés, les infirmes, tous ceux que la malchance avait plongés dans la mouise. Minorité que ces pauvres gens ! Toutes les drogues seraient-elles en vente libre chez l’épicier du coin, que leur nombre en resterait toujours limité, et leur tribu comprendrait exactement les mêmes individus. Ce n’était pas la présence de la drogue qui faisait les drogués. L’immense majorité des toxicos d’Europe sortaient des milieux les plus défavorisés. À eux la misère, l’alcoolisme, les cas sociaux, le chômage… La drogue était pour eux un aboutissement prévisible, voire logique. On ne cède pas à la drogue, on ne plonge pas dans un poison sans y être poussé par un drame intérieur. À tous les drogués, la vie faisait déjà mal au moment où ils avaient rencontré l’héroïne. Voilà quel était le vrai débat ! Fallait-il distribuer aux drogués des doses d’héroïne remboursées par la Sécurité sociale ? Ou bien fallait-il brûler tous les stocks disponibles en un grand bûcher, et jeter avec eux tous ces junkies paresseux, parasites et fauteurs de troubles ? Non, répondit Zak. Que l’on donne leur drogue aux drogués ! Et que le premier centre officiel de distribution soit baptisé de son nom !
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