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vendredi 8 mars 2019

[Zykë, Cizia] Amsterdam Zombie






Coup de coeur đź’“

 

Titre : Amsterdam Zombie

Auteur : Cizia ZYKE

Editeur : JC Lattès

Parution : 1994

Pages : 264










PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :   

Amsterdam, pont du Shippergracht. Sous l'arche de pierre enjambant le canal, à deux pas du quartier des touristes, quelques dizaines de paumés attendent la mort à laquelle les voue l'héroïne. Il y a là Susan, séropositive, qui, pour se procurer sa poudre, accepte les plus répugnantes formes de prostitution. Lola, le travesti de quinze ans qu'elle a pris sous son aile. Carole et Toby, les dealers qui rêvent de lointains voyages... Et Zak, journaliste à la dérive, qui a accepté de plonger, le temps d'un reportage-choc. L'auteur de Sahara et d'Alixe décrit, dans sa misère et sa violence nues, l'enfer des toxicos. Mais au rebours de toute complaisance, c'est un sentiment authentique de tendresse et de fraternité qui émane de ce récit terrible.

 

 

Avis :

Thierry Poncet relate dans ZykĂ« l’aventure l’éprouvant Ă©pisode que les deux hommes ont vĂ©cu Ă  Amsterdam afin de rĂ©aliser pour un journal un reportage sur la drogue. Ils en ont fait aussi un roman, Amsterdam Zombie, oĂą ZykĂ« devient Zak, reporter freelance dĂ©sabusĂ© et sans attache. EnvoyĂ© Ă  Amsterdam pour un reportage sur la drogue, il va plonger dans l’expĂ©rience jusqu’à cou : se shooter Ă  l’hĂ©roĂŻne en compagnie de quatre droguĂ©s avec qui il va passer quatre mois. Quatre mois sous un pont d’Amsterdam, dans la crasse, le froid, la misère et la dĂ©fonce. Tout le roman est basĂ© sur du vĂ©cu. Il est impressionnant Ă  double titre : que ZykĂ« et Poncet soient allĂ©s au bout de cette plongĂ©e en enfer, et que les horreurs relatĂ©es soient toutes vĂ©ridiques. 

Ici, plus de dĂ©rision ni de provocation : juste le rĂ©cit dramatique, glaçant, sans complaisance, de l’inĂ©luctable destruction d’êtres humains transformĂ©s en zombies, dans l’habituel style incisif, implacable et sans fioriture de ZykĂ«. Un ZykĂ«/Zak qui n’a plus envie de rire et qui, impuissant, fera malgrĂ© tout son possible pour ses quatre compagnons devenus Ă©paves, survivant de la prostitution, de la pornographie, du vol et du trafic de produits dĂ©naturĂ©s, et condamnĂ©s sans Ă©chappatoire ni espoir Ă  une irrĂ©mĂ©diable destruction physique et mentale. DĂ©goĂ»t et effroi prĂ©dominent durant la lecture, ce qui est ordinaire chez ZykĂ«, mais Amsterdam Zombie est le premier roman de l’auteur Ă  me serrer la gorge et Ă  m’arracher une larme.


ZykĂ« dĂ©nonce l’hypocrisie de notre sociĂ©tĂ© en ce qui concerne la drogue : la tolĂ©rante Amsterdam devenue une lucrative (et pas seulement pour les trafiquants) plaque-tournante de la drogue et de la prostitution, a mis en place une gigantesque organisation d’accompagnement des droguĂ©s. Pas pour les aider Ă  s’en sortir, mais pour les contrĂ´ler et pour contenir leurs dĂ©sordres. La distribution gratuite de mĂ©thadone, cet opiacĂ© qui Ă©vite aux dĂ©pendants Ă  l’hĂ©roĂŻne de ressentir les effets du manque, permet seulement de rĂ©duire les comportements Ă  risques, mais crĂ©e une autre dĂ©pendance aux effets insupportables et tout aussi destructeurs. Ailleurs, les politiques purement rĂ©pressives Ă  l’égard des droguĂ©s les rĂ©duisent au statut de dĂ©linquants, oubliant de les voir avant tout comme des malades en grand danger et Ă  secourir. ZykĂ« se montre quant Ă  lui favorable Ă  la libĂ©ralisation de la drogue.


Amsterdam Zombie diffère des prĂ©cĂ©dents Ă©crits de ZykĂ«. Si on retrouve son style rĂ©aliste et cinglant, son courage et sa profonde humanitĂ© derrière sa façade de dur, le sujet sordide et Ă©coeurant Ă  souhait Ă©carte toute possibilitĂ© de dĂ©rision et de « dĂ©connade Â». Coup de coeur. (5/5)




Citations :


Quelle leçon tirer de ce fatras ? Zak n’en voyait qu’une, unique, urgente : il fallait aider ces gens ! La seule réponse humaine à apporter au problème posé dans une société par des toxicomanes était de les assister, quoi qu’il en coûtât. Leur existence quotidienne était un calvaire, celui des êtres privés d’espoir qui cheminent sciemment et misérablement vers le néant.

Il convenait que la méthadone offrait l’avantage, pour des gens chargés de sauvegarder la sécurité générale, de produire des drogués placides et obéissants, aisément «contrôlables», comme aimait à le dire le bon Dr Binning. Mais au prix de quelles souffrances ! Et Zak n’était pas du tout certain, lui, qu’on puisse reconnaître à une nation le droit d’imposer à certains de ses membres ce genre de tortures.

Il fallait leur donner de l’héroïne. La distribuer légalement. Il fallait donner aux toxicos le pouvoir de ne jamais souffrir du manque, le droit de se tuer à petit feu avec leur poison et de passer à côté de l’existence si ça leur chantait. Là était le seul véritable service qu’une société pouvait rendre à ses drogués. Tout système social engendre des perdants, des poissards, des inadaptés, des êtres qui sont voués dès la naissance à la misère et à une existence au ras des égouts. En d’autres temps, ceux-ci avaient erré de taverne en taverne en se soûlant au mauvais vin. Aujourd’hui, ils se droguaient à outrance. Il fallait, une bonne fois pour toutes, accepter de voir le fléau tel qu’il était et prendre conscience de son irréversibilité.
Dans les pays du tiers monde, la production en masse de stupéfiants ne pouvait être stoppée. Croire qu’on pouvait en empêcher l’importation, le déluge, dans les pays occidentaux était pure folie. Rien ne pouvait plus enrayer le système. Il se trouverait toujours quelque négociant, quelque pourri, amateur de bénéfices rapides, toujours un chimiste clandestin, avide de fortune, pour inventer un nouveau produit à rêves, plus puissant que le précédent. Et il y aurait toujours des candidats au cauchemar, toujours des êtres faibles incapables de résister aux dangers des plaisirs. La drogue, désormais, faisait intimement partie de notre monde. Le plus aberrant dans cela, c’était que la plupart des sociétés européennes répondaient à la drogue par la répression. Poursuivre et emprisonner les drogués est la politique la plus grotesquement cruelle qui soit. Les délits liés à la drogue ne sont pas motivés par la défonce elle-même, mais par le manque, par des êtres arrivés à la dernière extrémité. C’est à ce manque qu’il fallait s’attaquer !
C’était cette possibilité de crise qu’il fallait faire disparaître, pour que cessent les agressions et autres cambriolages de pharmacies, tant redoutés par les bourgeois d’Europe. Rien ne sera jamais résolu, tant que les drogués seront considérés comme des délinquants et non pour ce qu’ils sont : des malades. Ayant droit à l’assistance au même titre que les accidentés, les sinistrés, les infirmes, tous ceux que la malchance avait plongés dans la mouise. Minorité que ces pauvres gens ! Toutes les drogues seraient-elles en vente libre chez l’épicier du coin, que leur nombre en resterait toujours limité, et leur tribu comprendrait exactement les mêmes individus. Ce n’était pas la présence de la drogue qui faisait les drogués. L’immense majorité des toxicos d’Europe sortaient des milieux les plus défavorisés. À eux la misère, l’alcoolisme, les cas sociaux, le chômage… La drogue était pour eux un aboutissement prévisible, voire logique. On ne cède pas à la drogue, on ne plonge pas dans un poison sans y être poussé par un drame intérieur. À tous les drogués, la vie faisait déjà mal au moment où ils avaient rencontré l’héroïne. Voilà quel était le vrai débat ! Fallait-il distribuer aux drogués des doses d’héroïne remboursées par la Sécurité sociale ? Ou bien fallait-il brûler tous les stocks disponibles en un grand bûcher, et jeter avec eux tous ces junkies paresseux, parasites et fauteurs de troubles ? Non, répondit Zak. Que l’on donne leur drogue aux drogués ! Et que le premier centre officiel de distribution soit baptisé de son nom !

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