J'ai beaucoup aimé
Titre : La Pâqueline ou les mémoires d'une
mère monstrueuse
Auteur : Isabelle DUQUESNOY
Année de parution : 2021
Editeur : La Martinière
Pages : 400
Présentation de l'éditeur :
Mais quelle est cette femme, qui suscite le dégoût autant que l’éclat de rire et l’émotion ? Et quel est donc ce roman extraordinaire, qui marie finesse et outrance, méchanceté et tendresse, érudition et imagination – jusqu’à l’apothéose finale ? Un chef-d’œuvre étonnant et drôle, qui porte la patte d’un très grand écrivain, assurément.
Après le succès de L’Embaumeur, prix Saint-Maur en poche et prix de la ville de Bayeux, Isabelle Duquesnoy nous livre le portrait d’une mère abominable, qu’on se surprendra étrangement à aimer, écrit dans une langue époustouflante, entre préciosité du XVIIIe siècle et démesure rabelaisienne. Un écrivain inclassable et majeur de ce début du XXIe siècle.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
J’avais apprécié L’embaumeur au-delà du coup de coeur et ne pouvais donc que me précipiter sur cette suite, que l’on peut d’ailleurs lire indépendamment. Victor croupissant désormais dans les immondes profondeurs de son cachot, où seul le paiement d’une pension peut assurer un régime adouci, le voici plus que jamais dépendant de son épouvantable mère et des méchancetés dont elle l’a depuis toujours poursuivi. La narration quitte le point de vue du fils pour embrasser cette fois celui de la mère, dont on va peu à peu comprendre les raisons de sa rancoeur et de son aversion maternelle. L’odieuse figure de cette femme sans vergogne ni morale, qui souvent choquera le lecteur pris d’une répugnance horrifiée, laisse bientôt entrevoir une existence misérable, jalonnée d’épreuves, ainsi qu’une personnalité qui, aussi fruste et bestiale soit-elle, n’en finit pas moins par révéler des facettes humaines et attachantes.
Au travers de la Pâqueline se profilent les réalités de la vie quotidienne du petit peuple de Paris et des campagnes à la fin du XVIIIe siècle, en particulier celui des femmes les moins favorisées, prostituées, servantes ou orphelines. L’on retrouve avec plaisir l’érudition de l’auteur, qui sait distiller les menus détails de la vie de l’époque dans une restitution toujours surprenante, souvent choquante et repoussante, tant elle accumule de sordide et d’horrible dans l’ordinaire misérable qui prévaut alors dans les basses couches de la société. Nombreux sont les passages qui plissent le nez du lecteur de dégoût incrédule, notamment en ce qui concerne les ahurissantes utilisations de matières humaines, le terrifiant manque d’hygiène et les crasses ignorances médicales.
Dans la même veine que L’Embaumeur, La Pâqueline m’a sensiblement moins séduite. Peut-être parce que l’effet de surprise s’y est mué chez moi en une diffuse sensation de réchauffé, et surtout à cause des éléments beaucoup plus burlesques de ce second ouvrage qui donne parfois l'impression d'une surenchère au détail écoeurant. Cette suite n’en demeure pas moins un excellent roman, original et documenté, bien écrit et agréable à lire, dans un genre inclassable qui vaut le détour. (4/5)
Citations :
Pourrait-il croire, ce cher fils, que, durant mon enfance, je ne connaissais pas les serviettes de toilette ? J’utilisais un frottoir en peau de bête, afin de gratter mes bras et faire tomber ma crasse en petites boulettes oblongues. Après quoi, je changeais de chemise et me coulais dans l’une de mes deux robes. Ce qui dépassait de mes vêtements pouvait être passé à l’eau : mes mains, mon visage et mes pieds. Je ne me lavais jamais les cheveux, on m’avait affirmé que cela risquait de me rendre chauve. Ma mère enduisait mes boucles d’une “cire d’Espagne” dont les effluves de jonquille et de cannelle embaumaient la maison.
Je garde en mémoire le souvenir d’une énorme cargaison de Noirs que l’armateur se lamentait d’avoir perdue, ces gens capturés et enchaînés étaient morts les uns après les autres durant la traversée. La saleté avait causé une épidémie de fièvre dont les passagers avaient tous souffert, sans que nul n’ait pu les en guérir. Sur les cinq cents Noirs que le capitaine se vantait d’avoir entassés dans les cales du navire, il n’en restait que vingt-trois, dont la santé semblait chancelante.
– Allez-vous en acheter un, Monsieur Delamarre ?
– Ici, on ne les paie pas en argent, répondit-il. On les échange contre des marchandises plus onéreuses. Je doute que mes plantes médicinales intéressent cet armateur…
– Et que deviennent ces gens, une fois qu’ils ont été choisis par quelqu’un ?
– Ils sont utilisés comme domestiques, mais ils ne sont pas payés. C’est un comportement que je réprouve, même si Voltaire lui-même n’y voit rien de mal. D’ailleurs on raconte qu’il a investi une petite fortune dans un navire négrier ; je t’avoue que, après avoir lu son majestueux Traité sur la tolérance, je ne comprends plus les raisonnements de ce grand esprit.
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