J'ai beaucoup aimé
Titre : De ruines et de gloire
Auteur : Akli TADJER
Parution : 2024 (Les Escales)
Pages : 336
Présentation de l'éditeur :
La guerre d’Algérie à travers le regard d'un jeune avocat contraint de défendre l’« ennemi ».
Sous la plume éminemment romanesque d’Akli Tadjer, c’est toute la complexité d’une époque et d’un pays en plein chaos, mais aussi de la psyché humaine, qui prend vie. De ruines et de gloire est un roman puissant, aux résonances très contemporaines.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
Troisième et dernier volet d’une saga relatant le parcours d’une famille Kabyle de 1939 à 1962, ce roman nous plonge, pendant les derniers mois de la guerre d’indépendance, dans une Algérie sur le point de tourner la page du colonialisme.
Mars 1962. Les accords d’Evian aboutissant à un cessez-le-feu n’ont pas été signés depuis huit jours qu’éclate la fusillade de la rue d’Isly. Tournant à la panique pour une raison indéterminée, une manifestation de civils favorables à l’Algérie française est mitraillée par des soldats tricolores. Des dizaines de morts et deux centaines de blessés tombent sur le pavé d’Alger. A son grand désarroi, l’avocat frais émoulu Adam El Hachemi Aït Amar, tout entier à ses idéaux d’une Algérie indépendante rassemblant démocratiquement habitants de souche et immigrés français, se voit confier la défense d’Emilienne Postorino, une fervente partisane de l’Algérie française, accusée d’avoir déclenché la panique et le massacre en tirant la première.
Ajouté à la perspective quasi certaine de l’indépendance – un référendum d’autodétermination doit avoir lieu dans trois mois –, cet épisode qui, entre attentats de l’OAS et du FLN, enlèvements et assassinats, vient renchérir sur le climat de violence, précipite l’exode massif de ceux que l’on appellera pieds-noirs et harkis. C’est donc dans un contexte plus que jamais tourmenté qu’Adam, déchiré entre convictions personnelles, éthique professionnelle et inquiétude pour son père vaquant à de mystérieuses affaires dans sa campagne, doit décider quel parti adopter.
« Il y a trois sortes d’avocats : ceux qui se soumettent aux lois, au-dessus ceux qui les refusent, au-delà ceux qui s’en imposent. Débrouillez-vous avec ça, mon cher confrère. Pardon, j’en oublie une, les avocats hors-la-loi, ceux qui n’écoutent que la loi de leur cœur. » Pour notre personnage capable de se garder de tout manichéisme dans un environnement pourtant dramatiquement clivé, ce sera donc la voie du coeur, sans haine et avec la prise de recul autorisant une pondération lucide et douce-amère. Lui qui a dû fuir Paris pour échapper à la conscription ne sait que trop ce que déracinement veut dire et saura reconnaître aussi bien les torts et travers réciproques que l’intensité des drames vécus de part et d’autre.
Immersif et rythmé, le récit très cinématographique embarque efficacement le lecteur dans ses péripéties historiques. Et même si les épisodes relatifs au père finissent, dans leur improbable conclusion, par verser dans l’outrance mélodramatique, l’on se laisse volontiers séduire par cette histoire si bien contée qui sait avec intelligence et empathie souligner responsabilités et souffrances de chaque camp. A noter qu’il n’est pas besoin d’avoir lu les précédents tomes de la saga pour apprécier celui-ci. (4/5)
Mars 1962. Les accords d’Evian aboutissant à un cessez-le-feu n’ont pas été signés depuis huit jours qu’éclate la fusillade de la rue d’Isly. Tournant à la panique pour une raison indéterminée, une manifestation de civils favorables à l’Algérie française est mitraillée par des soldats tricolores. Des dizaines de morts et deux centaines de blessés tombent sur le pavé d’Alger. A son grand désarroi, l’avocat frais émoulu Adam El Hachemi Aït Amar, tout entier à ses idéaux d’une Algérie indépendante rassemblant démocratiquement habitants de souche et immigrés français, se voit confier la défense d’Emilienne Postorino, une fervente partisane de l’Algérie française, accusée d’avoir déclenché la panique et le massacre en tirant la première.
Ajouté à la perspective quasi certaine de l’indépendance – un référendum d’autodétermination doit avoir lieu dans trois mois –, cet épisode qui, entre attentats de l’OAS et du FLN, enlèvements et assassinats, vient renchérir sur le climat de violence, précipite l’exode massif de ceux que l’on appellera pieds-noirs et harkis. C’est donc dans un contexte plus que jamais tourmenté qu’Adam, déchiré entre convictions personnelles, éthique professionnelle et inquiétude pour son père vaquant à de mystérieuses affaires dans sa campagne, doit décider quel parti adopter.
« Il y a trois sortes d’avocats : ceux qui se soumettent aux lois, au-dessus ceux qui les refusent, au-delà ceux qui s’en imposent. Débrouillez-vous avec ça, mon cher confrère. Pardon, j’en oublie une, les avocats hors-la-loi, ceux qui n’écoutent que la loi de leur cœur. » Pour notre personnage capable de se garder de tout manichéisme dans un environnement pourtant dramatiquement clivé, ce sera donc la voie du coeur, sans haine et avec la prise de recul autorisant une pondération lucide et douce-amère. Lui qui a dû fuir Paris pour échapper à la conscription ne sait que trop ce que déracinement veut dire et saura reconnaître aussi bien les torts et travers réciproques que l’intensité des drames vécus de part et d’autre.
Immersif et rythmé, le récit très cinématographique embarque efficacement le lecteur dans ses péripéties historiques. Et même si les épisodes relatifs au père finissent, dans leur improbable conclusion, par verser dans l’outrance mélodramatique, l’on se laisse volontiers séduire par cette histoire si bien contée qui sait avec intelligence et empathie souligner responsabilités et souffrances de chaque camp. A noter qu’il n’est pas besoin d’avoir lu les précédents tomes de la saga pour apprécier celui-ci. (4/5)
Citations :
— Je suis avocat depuis vingt minutes et j’aimerais que vous me donniez des conseils, maître. Enfin, un seul suffira.
Il avait plissé ses yeux jusqu’à ce qu’ils ne forment plus qu’un trait et je l’avais écouté.
— Il y a trois sortes d’avocats : ceux qui se soumettent aux lois, au-dessus ceux qui les refusent, au-delà ceux qui s’en imposent. Débrouillez-vous avec ça, mon cher confrère. Pardon, j’en oublie une, les avocats hors-la-loi, ceux qui n’écoutent que la loi de leur cœur.
Il avait plissé ses yeux jusqu’à ce qu’ils ne forment plus qu’un trait et je l’avais écouté.
— Il y a trois sortes d’avocats : ceux qui se soumettent aux lois, au-dessus ceux qui les refusent, au-delà ceux qui s’en imposent. Débrouillez-vous avec ça, mon cher confrère. Pardon, j’en oublie une, les avocats hors-la-loi, ceux qui n’écoutent que la loi de leur cœur.
Une société civilisée doit-elle faire mourir un condamné ?
Du plus profond de mon âme, j’ai la conviction, depuis ma lecture du Dernier Jour d’un condamné, qu’elle n’en a pas le droit moral. Ce n’est ni du laxisme ni de la faiblesse que de penser qu’une horreur ne saurait en faire taire une autre, ni de la lâcheté que de mettre sur le même plan le crime du condamné et celui commis par des hommes de loi au nom du peuple.
Demain et les jours à venir, des têtes tomberont encore dans ce panier en bois noirci de sang séché. Aujourd’hui, je sais qu’il est vain et naïf d’imaginer que cette guillotine cachée sous cette bâche soit mise au rebut, mais je me battrai contre la peine de mort : c’est le sens que je veux donner à ma vie d’homme, et à ma vie d’avocat. Je n’aurai pas, c’est sûr, les mots puissants, justes, implacables du plaidoyer de Victor Hugo pour l’abolition de ce châtiment suprême, mais ce seront les miens. Des mots qui diront que la justice n’est pas la vengeance des hommes mais qu’elle doit être leur humanité.
— Je vais vous laisser votre bled, maître. Vous allez nous regretter. On a tout fait, ici.
— Tout fait pour vous. Vous êtes venus chez nous pour créer un pays sans nous. Voilà la vérité.
Le pire n’est jamais sûr, dit-on. Sous d’autres cieux sans doute, sous d’autres latitudes certainement, mais en Algérie les dictons ont tous été battus en brèche. Le pire n’est jamais une option, c’est une certitude.
— Vos pieds sont ici, mais votre tête est restée là-bas. C’est ce que j’appelle l’esprit colonial.
Quand on a vingt ans, on croit qu’on a l’éternité devant soi pour refaire le monde, mais quand on est un vieux monsieur comme moi, on réalise que la vie dure le temps d’une étincelle. Allez à l’essentiel. L’essentiel, c’est l’audace, l’amour, la liberté.
— Je me suis promis de ne pas l’abandonner et je tiendrai parole.
— J’aime votre fougue, mais ne la confondez pas avec de la candeur. Personne ne vous fera de cadeaux. En France, quel que soit votre talent d’avocat, vous resterez un bicot pour vos confrères.
— Je ne suis pas si candide que ça, maître, mais si je ne tiens pas ma promesse, comment pourrai-je me regarder dans la glace ?
— Vous aimez votre cliente ?
— Aimez ? Non, je ne l’aime pas, si c’est à ça que vous faites allusion. Mais les déracinés me touchent parce que je sais ce que c’est d’être toujours l’étranger dans le regard de l’autre. Émilienne Postorino est de cette race-là. Elle va subir l’exil dans un pays qu’elle ne connaît pas, qu’elle n’aime pas et dont elle ne veut pas entendre parler.
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