Coup de coeur 💓
Titre : Le grand secours
Auteur : Thomas B. REVERDY
Parution : 2023 (Flammarion)
Pages : 320
Présentation de l'éditeur :
Prix Landerneau des lecteurs 2023.
Il
est 7 h 30, sur le pont de Bondy, au-dessus du canal. C’est un de ces
lundis de janvier où l’on s’attend à ce qu’il neige, même si ce n’est
plus arrivé depuis très longtemps. Sous l’autoroute A3 qui enjambe le
paysage, un carrefour monstrueux, tentaculaire, sera bientôt le théâtre
d’une altercation dont les conséquences
vont enfler comme un orage, jusqu’à devenir une émeute capable de tout
renverser. Nous la voyons grossir depuis le lycée voisin où nous
suivons, au fil des cours et des récréations, la vie et le destin de Mo
et de Sara, de leurs amis, mais aussi de Candice, la prof de théâtre, de
ses collègues et de Paul, l’écrivain qu’elle a fait venir pour un
atelier d’écriture.
Tout au long de cette journée fatidique, chacun d’entre eux devra réinventer le sens de sa liberté, dans un ultime sursaut de vie.
Tout au long de cette journée fatidique, chacun d’entre eux devra réinventer le sens de sa liberté, dans un ultime sursaut de vie.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Thomas B. Reverdy est né en 1974. Il est l’auteur de sept romans, parmi lesquels La Montée des eaux (Seuil, 2003) et, aux Éditions Flammarion, Les Évaporés (prix Joseph-Kessel 2014), Il était une ville (prix des Libraires 2016), L’Hiver du mécontentement (prix Interallié 2018) et Climax (2021).
Avis :
De son expérience d’enseignant en Seine-Saint-Denis, Thomas B. Reverdy tire une fiction terriblement vraie qui met en scène, en une seule journée explosive, le quotidien banalement chaotique d’un lycée de banlieue parisienne en voie de ghettoïsation.
Unité d’action, de temps et de lieu : nous sommes dans une tragédie classique mais très contemporaine, qui, pour être inventée, ne nous tend pas moins un troublant miroir de l’actualité. Séquencé d’heure en heure pour épouser le rythme d’un établissement scolaire, le récit nous immerge un jour entier dans un lycée de Bondy Nord, planté comme un îlot dans un courant boueux au confluent de l’autoroute A3, du canal de l’Ourcq, d’une zone industrielle et d’un campement de Roms. C’est à ce carrefour dantesque à deux pas du lycée que se resserre le nœud gordien d’un drame que la violence entreprendra de trancher. Tout commence en ces lieux par une altercation, de bon matin, entre un adolescent et un homme que la rumeur identifie bientôt comme un policier en civil. Tel un empoisonnement se répandant rapidement dans le sang, la colère se met aussitôt à enfler et, le temps que le mot d’ordre inonde les réseaux sociaux, une émeute s’apprête à déferler sur le quartier.
Inconscients du raz-de-marée qui se prépare dans un menaçant crescendo de tension narrative, lycéens et professeurs s’efforcent de leur côté de traverser au mieux cette nouvelle journée scolaire. Plusieurs lignes narratives s’entrecroisent et multiplient les points de vue. Tandis que Mo, un lycéen ni pire ni meilleur qu’un autre, s'évertue à plaire à la belle Sara sans s’attirer les railleries des caïds, que Candice la professeur de théâtre s’attèle dans le chahut habituel à une mission d’année en d’année toujours plus difficile, Paul, un écrivain confidentiel animant pour la première fois un atelier d’écriture en milieu scolaire, découvre en observateur candide les réalités de l’enseignement en banlieue défavorisée. Des classes à l’infirmerie en passant par l'infernal chaos de la cantine, des conversations autour de la machine à café aux réunions syndicales, apparaît par petites touches virtuoses un tableau d’ensemble frappant de justesse et de clairvoyance. Pendant que la proviseure atténue les vagues pour complaire à sa hiérarchie et que la CPE court follement de crise en crise, les enseignants rescapés de la démotivation affrontent la déconsidération, le manque de moyens et l’érosion des ambitions, dans des locaux aussi délabrés que ces quartiers de banlieue laissés à l’abandon.
Lorsque surviendra la déflagration, semblable à d’autres observées dans la réalité, l’on aura déjà saisi, au contact de personnages campés avec tendresse dans toute leur authenticité, leur terrible désenchantement en même temps que le miracle de leur ténacité quand l’effondrement général menace. Aux aspirations et aux talents des élèves résistant à la spirale mortifère du ghetto – à Bondy aussi, les pigeons ne demandent qu’à s’élancer vers le ciel, même s’ils reviennent toujours à leur pigeonnier bâti face au lycée – continue malgré tout de répondre le dévouement d’enseignants refusant de les abandonner. Mais le théâtre brûle, bientôt ne restera plus pour les sauver que le « grand secours », cette vanne anti-incendie qui permet d’inonder la scène...
Oscillant entre découragement et espoir autour d’un sentiment d’urgence, Thomas B. Reverdy signe de sa plume fine et nerveuse un roman du réel, magnifique de poésie et d’intensité, en même temps qu’un formidable hommage aux enseignants qui gardent la vocation malgré un terrible manque de moyens. (5/5)
Unité d’action, de temps et de lieu : nous sommes dans une tragédie classique mais très contemporaine, qui, pour être inventée, ne nous tend pas moins un troublant miroir de l’actualité. Séquencé d’heure en heure pour épouser le rythme d’un établissement scolaire, le récit nous immerge un jour entier dans un lycée de Bondy Nord, planté comme un îlot dans un courant boueux au confluent de l’autoroute A3, du canal de l’Ourcq, d’une zone industrielle et d’un campement de Roms. C’est à ce carrefour dantesque à deux pas du lycée que se resserre le nœud gordien d’un drame que la violence entreprendra de trancher. Tout commence en ces lieux par une altercation, de bon matin, entre un adolescent et un homme que la rumeur identifie bientôt comme un policier en civil. Tel un empoisonnement se répandant rapidement dans le sang, la colère se met aussitôt à enfler et, le temps que le mot d’ordre inonde les réseaux sociaux, une émeute s’apprête à déferler sur le quartier.
Inconscients du raz-de-marée qui se prépare dans un menaçant crescendo de tension narrative, lycéens et professeurs s’efforcent de leur côté de traverser au mieux cette nouvelle journée scolaire. Plusieurs lignes narratives s’entrecroisent et multiplient les points de vue. Tandis que Mo, un lycéen ni pire ni meilleur qu’un autre, s'évertue à plaire à la belle Sara sans s’attirer les railleries des caïds, que Candice la professeur de théâtre s’attèle dans le chahut habituel à une mission d’année en d’année toujours plus difficile, Paul, un écrivain confidentiel animant pour la première fois un atelier d’écriture en milieu scolaire, découvre en observateur candide les réalités de l’enseignement en banlieue défavorisée. Des classes à l’infirmerie en passant par l'infernal chaos de la cantine, des conversations autour de la machine à café aux réunions syndicales, apparaît par petites touches virtuoses un tableau d’ensemble frappant de justesse et de clairvoyance. Pendant que la proviseure atténue les vagues pour complaire à sa hiérarchie et que la CPE court follement de crise en crise, les enseignants rescapés de la démotivation affrontent la déconsidération, le manque de moyens et l’érosion des ambitions, dans des locaux aussi délabrés que ces quartiers de banlieue laissés à l’abandon.
Lorsque surviendra la déflagration, semblable à d’autres observées dans la réalité, l’on aura déjà saisi, au contact de personnages campés avec tendresse dans toute leur authenticité, leur terrible désenchantement en même temps que le miracle de leur ténacité quand l’effondrement général menace. Aux aspirations et aux talents des élèves résistant à la spirale mortifère du ghetto – à Bondy aussi, les pigeons ne demandent qu’à s’élancer vers le ciel, même s’ils reviennent toujours à leur pigeonnier bâti face au lycée – continue malgré tout de répondre le dévouement d’enseignants refusant de les abandonner. Mais le théâtre brûle, bientôt ne restera plus pour les sauver que le « grand secours », cette vanne anti-incendie qui permet d’inonder la scène...
Oscillant entre découragement et espoir autour d’un sentiment d’urgence, Thomas B. Reverdy signe de sa plume fine et nerveuse un roman du réel, magnifique de poésie et d’intensité, en même temps qu’un formidable hommage aux enseignants qui gardent la vocation malgré un terrible manque de moyens. (5/5)
Citations :
C’était vraiment la corrida, ce premier trimestre. Elle y est arrivée mais c’est de plus en plus dur, c’est ce qu’elle se dit, la faute à la politique d’orientation, ou à la politique de la ville, ou à la politique sociale, ou à la société de consommation, aux gamins sauvages, à la drogue qui gangrène tout, aux réseaux sociaux qui remplacent à la fois les informations et le savoir par une bouillie d’invectives, ou bien c’est elle qui vieillit. Les élèves, eux, ils ont toujours le même âge.
C’était vraiment la prof avec du métier, on pouvait penser qu’elle ne rencontrait jamais de problèmes d’autorité. Elle m’a dit : Quand je monte les marches pour aller en cours, je me répète tout du long, Ils vont pas me faire chier, ils vont pas me faire chier, ils vont pas me faire chier. C’était le premier conseil. Le second : Et quand ils me font chier, parce que ça finit quand même par arriver, je ne fais jamais de menace que je ne suis pas en état de mettre à exécution. Si tu dis à un élève de sortir, c’est que tu sais qu’à ce moment-là tu as assez d’énergie pour le sortir toi-même par la peau du cul. Si c’est pas le cas, si c’est en fin de journée, si t’es fatiguée, si t’as déjà trop gueulé, ne le dis pas. Si tu dis un truc, c’est que tu es capable de l’imposer, sinon tu fermes ta gueule. Tu leur donnes un exercice, une page à lire, tu crées une activité, au pire tu essuies cinq minutes de bordel et tu mets ton mouchoir dessus, tu passes à autre chose et tu respires.
C’est pour ça que les flics ne devraient pas avoir d’armes. Une fois que tu as dit que tu allais tirer, qu’est-ce que tu fais si le mec continue à courir ?
Autrefois job étudiant, surveillant est à présent un emploi précaire qui attire le genre de jeunes gens courageux qui n’ont pas vraiment le choix. Il faut avoir le sens des responsabilités, le contact facile avec les ados, une certaine forme d’autorité naturelle. Ce n’est pas simple. Même si cette personne existe, il faut encore qu’elle ait envie de faire ce travail ridiculement mal payé, contraignant et ingrat, et qu’elle ait envie de le faire à Bondy. En d’autres termes, il faut qu’elle n’ait pas peur. Qu’elle connaisse déjà. Qu’elle sache que, en fait, ça se gère. C’est-à-dire qu’il faut qu’elle vienne de là. C’est la définition du ghetto.
En gros, ici, les élèves ont toujours été arabes ou noirs. Il y avait un peu plus de mélange avant, c’est vrai, il y avait même des enfants de profs. Les Blancs ont fini par déserter complètement e quartier, ils se débrouillent pour aller au Raincy par le jeu des options, et sinon dans le privé. On serait aux États-Unis, on appellerait ça le white fly. Mais disons que les élèves sont à peu près les mêmes. C’est pas grave. C’est un échec social et politique complet, c’est la honte d’une nation civilisée, mais c’est pas grave. Tant qu’ils ont en face d’eux des adultes qui leur montrent autre chose, qui les élèvent, qui leur disent que le monde est plus vaste que ça et qui leur donnent des exemples et des codes, parce que l’exemple ça marche, quand même, en matière d’éducation, tant que tu as des adultes différents, c’est pas si grave. Ça fonctionne. Ça frotte, mais du coup ça fonctionne. Quand tout le monde est pareil, en vase clos, avec quatre pions sur cinq qui sont des anciens élèves, voilà, c’est le ghetto. On fait le boulot quand même, mais c’est de plus en plus dur.
Au moment des conseils de classe, qui ont eu lieu malgré tout, le commissariat a proposé aux profs de les escorter jusqu’au RER, et leur a demandé d’éviter de faire ce trajet seuls dans la mesure du possible.
L’an dernier, un élève de cinquième qui s’endormait en cours, et faisait des cauchemars dont il se réveillait en criant, a fini par expliquer qu’il vivait dans une ancienne clinique de Bondy reconvertie en hôtel pour sans-papiers, où les loyers des chambres étaient exorbitants. Comme il n’y avait plus assez de place quand ses parents sont arrivés, on l’avait mis, lui, avec d’autres enfants, dans l’ancienne morgue de la clinique, dans les tiroirs sortis du mur comme si c’étaient des lits superposés.
On n’imagine pas ce qu’on fait aux enfants.
On n’imagine pas ce qu’on fait aux enfants.
Qui n’a pas peur de répondre à une annonce du genre : Cherche professeur de français pour vacations sur tout type de poste collège et/ou lycée sur l’académie de Créteil. Niveau licence requis. Sans garantie d’emploi sur l’année et sans congés payés. Éventuellement sur plusieurs établissements. Emploi du temps sur six jours. Salaire minimum. Postes à pourvoir en général dans les zones urbaines sensibles et les zones franches, dans des établissements situés en zone sensible, prioritaire +, ou prévention violence. Qui ? Qui n’a pas peur ?
Le ghetto, ce n’est pas quand tous les élèves viennent du même quartier pourri, mais également leurs professeurs. Le vase clos, abandonné de la République.
Ici, on les a relégués, abandonnés. Les grands ensembles, construits pour reloger après la guerre de 40 et puis après la guerre d’Algérie, ils appartenaient à la mairie de Paris. Tu imagines ? À La Courneuve, à Aulnay, à Bondy Nord, les mairies n’avaient même pas la main sur les populations qu’on entassait chez eux juste parce qu’on ne voulait pas les voir dans la capitale, pas dans la Ville lumière. Et bien sûr, pas la main non plus sur l’aménagement, sur l’entretien. Tu parles comme Paris en avait quelque chose à foutre. Il faut les voir, les immeubles. L’état des façades. Les portes d’entrée au verre cassé, les digicodes foutus, les peintures de 1982, les parties communes dégradées. Les canisses aux balcons, les rideaux tirés, tous ces gens qui s’enferment, qui deviennent fous de vivre les uns sur les autres. À Bondy Nord, il n’y a pas un seul ascenseur qui marche, pas un seul. La mairie a récupéré les immeubles il y a moins de quinze ans, quand le maire PS a tapé du poing sur la table. Alors le lycée, c’est pareil. Tant qu’on tient les murs, ils tirent sur la corde. À moyens constants, au début, avec une population qui explose. À moindre coût. Jusqu’à ce que tout s’écroule. Des émeutes.
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