J'ai beaucoup aimé
Titre : Les méduses n'ont pas d'oreilles
Auteur : Adèle ROSENFELD
Parution : 2022 (Grasset)
Pages : 240
Présentation de l'éditeur :
Quelques sons parviennent encore à l’oreille droite de Louise, mais plus
rien à gauche. Celle qui s’est construite depuis son enfance sur un
entre-deux – ni totalement entendante, ni totalement sourde – voit son
audition baisser drastiquement lors de son dernier examen chez l’ORL.
Face à cette perte inéluctable, son médecin lui propose un implant
cochléaire. Un implant cornélien, car l’intervention est
irréversible et lourde de conséquences pour l’ouïe de la jeune femme.
Elle perdrait sa faible audition naturelle au profit d’une audition
synthétique, et avec elle son rapport au monde si singulier, plein
d’images et d’ombres poétiques.
Jusqu’à présent, Louise a toujours eu besoin des lèvres des autres pour entendre. C’est grâce à la lumière qu’elle peut comprendre les mots qu’elle enfile ensuite, tels des perles de son, pour reconstituer les conversations. Mais parfois le fil lâche et surgissent alors des malentendus, des visions loufoques qui s’infiltrent dans son esprit et s’incarnent en de fabuleux personnages : un soldat de la Première Guerre mondiale, un chien nommé Cirrus ou encore une botaniste fantasque qui l’accompagnent pendant ces longs mois de réflexion, de doute, au cours desquels elle tente de préserver son univers grâce à un herbier sonore. Un univers onirique qui se heurte constamment aux grands changements de la vie de Louise – les émois d’un début de relation amoureuse, un premier emploi à la mairie, une amitié qui se délite. Le temps presse et la jeune femme doit annoncer sa décision…
Dans ce texte plein d’humour et de douceur, Adèle Rosenfeld tient en joue la peur du silence en explorant les failles du langage ainsi que la puissance de l’imaginaire. Les méduses n’ont pas d’oreilles est une plongée dans le monde des sourds et des malentendants, un premier roman éblouissant.
Jusqu’à présent, Louise a toujours eu besoin des lèvres des autres pour entendre. C’est grâce à la lumière qu’elle peut comprendre les mots qu’elle enfile ensuite, tels des perles de son, pour reconstituer les conversations. Mais parfois le fil lâche et surgissent alors des malentendus, des visions loufoques qui s’infiltrent dans son esprit et s’incarnent en de fabuleux personnages : un soldat de la Première Guerre mondiale, un chien nommé Cirrus ou encore une botaniste fantasque qui l’accompagnent pendant ces longs mois de réflexion, de doute, au cours desquels elle tente de préserver son univers grâce à un herbier sonore. Un univers onirique qui se heurte constamment aux grands changements de la vie de Louise – les émois d’un début de relation amoureuse, un premier emploi à la mairie, une amitié qui se délite. Le temps presse et la jeune femme doit annoncer sa décision…
Dans ce texte plein d’humour et de douceur, Adèle Rosenfeld tient en joue la peur du silence en explorant les failles du langage ainsi que la puissance de l’imaginaire. Les méduses n’ont pas d’oreilles est une plongée dans le monde des sourds et des malentendants, un premier roman éblouissant.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Adèle Rosenfeld est née en 1986, Les méduses n’ont pas d’oreilles est son premier roman.
Avis :
Louise est malentendante depuis la naissance. Restée longtemps sourde moyenne, elle est parvenue jusqu’ici à le cacher en lisant sur les lèvres de ses interlocuteurs. Mais l’aggravation de son handicap la met désormais au pied au mur. Maintenant sourde sévère, elle ne comprend plus ce qu’on lui dit et ne peut plus tromper personne. Il lui faut prendre une décision : accepter la pose d’un implant et perdre immédiatement ce qui lui reste d’audition naturelle, ou assumer une surdité bientôt totale et irréversible.
L’histoire de Louise est tout droit inspirée de celle de l’auteur. A ses côtés, l'on découvre les difficultés directement liées à la surdité, mais aussi, les répercussions psychologiques et sociales du handicap, dans une restitution qui questionne notre rapport à la normalité. Honteuse de sa différence, Louise s'est longtemps appliquée à la gommer dans sa relation à autrui, s'appliquant farouchement à donner le change pour ne pas sembler déficiente parmi les entendants. Ses efforts pour paraître comme tout le monde deviennent contre-productifs, lorsque, son audition se détériorant encore et personne ne prenant la peine de comprendre la véritable raison de ses difficultés relationnelles et professionnelles, Louise s’enfonce dans un malentendu - quoi de plus pré-destiné – propre à la faire passer pour demeurée. C'est ainsi que, très insidieusement, la pression normative de la société mène la jeune femme à se condamner, quasi de fait, à l'échec, instituant une inadaptation sociale qui n'avait pourtant aucune raison d'être.
Pour Louise qui, dans sa situation intermédiaire de malentendante, avait toujours pu (se) convaincre de faire partie de l’univers "normal" des entendants, se pose soudain la question de son identité et de son rapport au monde. Rejoindra-t-elle la communauté des sourds ? Un implant lui permettra-t-il de continuer à s’assimiler aux entendants ? Quoi qu’il en soit, Louise doit faire le deuil de toute perception auditive naturelle et n’envisage qu'avec angoisse cette nouvelle interaction avec ce qui l’entoure. A vrai dire, le rapport au monde qu’entretient la jeune malentendante est déjà très particulier. Sa mauvaise audition favorise distorsions et malentendus, et, au fur et à mesure que son imagination comble les trous de sa compréhension, se développent en elle d’étranges images, qui confèrent au récit poésie, onirisme et fantaisie. Cette singularité se fait souvent touchante, comme lorsque Louise s’évertue à la construction d’un herbier sonore, dans l’espoir d’emmener une trace des sons dans son futur monde du silence.
En même temps qu’un émouvant témoignage sur la surdité, empli d’un questionnement plein d’humour sur notre rapport au monde et à la normalité, ce premier roman est une bien jolie création littéraire, toute en originalité et poésie, qui mérite qu’on s’y attarde. (4/5)
L’histoire de Louise est tout droit inspirée de celle de l’auteur. A ses côtés, l'on découvre les difficultés directement liées à la surdité, mais aussi, les répercussions psychologiques et sociales du handicap, dans une restitution qui questionne notre rapport à la normalité. Honteuse de sa différence, Louise s'est longtemps appliquée à la gommer dans sa relation à autrui, s'appliquant farouchement à donner le change pour ne pas sembler déficiente parmi les entendants. Ses efforts pour paraître comme tout le monde deviennent contre-productifs, lorsque, son audition se détériorant encore et personne ne prenant la peine de comprendre la véritable raison de ses difficultés relationnelles et professionnelles, Louise s’enfonce dans un malentendu - quoi de plus pré-destiné – propre à la faire passer pour demeurée. C'est ainsi que, très insidieusement, la pression normative de la société mène la jeune femme à se condamner, quasi de fait, à l'échec, instituant une inadaptation sociale qui n'avait pourtant aucune raison d'être.
Pour Louise qui, dans sa situation intermédiaire de malentendante, avait toujours pu (se) convaincre de faire partie de l’univers "normal" des entendants, se pose soudain la question de son identité et de son rapport au monde. Rejoindra-t-elle la communauté des sourds ? Un implant lui permettra-t-il de continuer à s’assimiler aux entendants ? Quoi qu’il en soit, Louise doit faire le deuil de toute perception auditive naturelle et n’envisage qu'avec angoisse cette nouvelle interaction avec ce qui l’entoure. A vrai dire, le rapport au monde qu’entretient la jeune malentendante est déjà très particulier. Sa mauvaise audition favorise distorsions et malentendus, et, au fur et à mesure que son imagination comble les trous de sa compréhension, se développent en elle d’étranges images, qui confèrent au récit poésie, onirisme et fantaisie. Cette singularité se fait souvent touchante, comme lorsque Louise s’évertue à la construction d’un herbier sonore, dans l’espoir d’emmener une trace des sons dans son futur monde du silence.
En même temps qu’un émouvant témoignage sur la surdité, empli d’un questionnement plein d’humour sur notre rapport au monde et à la normalité, ce premier roman est une bien jolie création littéraire, toute en originalité et poésie, qui mérite qu’on s’y attarde. (4/5)
Citations :
Orpheline. Oui, c’était sûrement ça que j’avais toujours éprouvé, le sentiment de n’appartenir à aucun monde. Pas assez sourde pour être rattachée à la culture sourde, pas assez entendante pour participer pleinement au monde des entendants. Tout tenait à ce que je me persuadais d’être ou de ne pas être. Les dommages collatéraux qui avaient salement ébréché mon ego et la confiance en moi étaient, pour les autres, des troubles orphelins qu’ils avaient du mal à comprendre. Est-ce que le manque qui m’habitait venait de là ? De cette absence qu’il fallait combler par l’excès ?
Je n’étais pas seule dans ce cas, précisait-elle, tous les malentendants passent par des phases dépressives, résultat de tous les efforts cumulés qui ne sont pas perçus par la société entendante. Il est difficile de mesurer cette énergie et l’entourage peine à s’en rendre compte, c’est le propre de ce handicap invisible. Le sujet malentendant a tendance, dès lors, à se couper du monde.
Je n’entendais jamais la porte s’ouvrir au matin malgré l’appel de l’infirmière. Les infirmières semblaient agacées. Même dans le service d’hospitalisation ORL, mal entendre relevait encore de la lutte des classes avec les entendants.
C’est alors que je me suis souvenue de cette phrase de Victor Hugo : « Qu’importe la surdité de l’oreille, quand l’esprit entend ? La seule surdité, la vraie surdité, la surdité incurable, c’est celle de l’intelligence. » Ni lui, ni Anna ne pouvaient me consoler.
J’adorais Blue Train.
Plus tard, j’ai reconnu les premières notes du premier morceau de l’album, elles coulaient en moi comme jamais elles ne m’étaient parvenues.
J’avais dit à Thomas, le saxophone, c’est ce qui se rapproche le plus de la voix humaine, parfois je les confonds.
Puis, il m’avait écrit cette phrase de Miles Davis : « La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu’encadrer le silence », m’invitant à accepter que le silence était premier sur le son.
À la fin, j’ai dû pleurer de plaisir quand la basse a percé, puis le piano. J’entendais chacun des instruments.
Comment était-ce possible ? « Tu te souviens l’audiogramme ? » Thomas l’avait donné à un de ses amis régisseur et il avait adapté Blue Train à ma courbe auditive, réglant chacune des fréquences pour qu’elles me parviennent au mieux.
En termes d’imaginaire collectif, le sourd était passé à la trappe, nulle légende dorée autour d’oreilles crevées. Les sourds n’avaient pas leur place dans les mythes fondateurs de l’humanité. L’empathie de l’humanité était indéniablement réservée aux aveugles. En Chine, les sourds étaient jetés à la mer ; en Gaule, ils étaient sacrifiés à leurs dieux ; à Sparte, ils étaient précipités du haut des falaises ; à Rome et Athènes, ils étaient exposés sur les places publiques ou abandonnés dans les campagnes.
Œdipe s’était crevé les yeux, mais pourquoi ? Il aurait dû plutôt se crever les oreilles. En réalité, c’était une affaire d’oreilles. Œdipe a mal entendu le message de l’oracle, c’était un malentendant, il n’avait pas su écouter les mises en garde. Mais le sourd n’a pas la grandeur de l’aveugle, ni son calme philosophique. Et l’engouement de la psychanalyse a persévéré dans ce malentendu. Non, vraiment, ça n’avait aucun sens, les psy ne sont ni yeux ni bouches, ils sont oreilles.
Dans la vitrine suivante, des carrés gris avec en leur centre des petits trous noirs étaient épinglés sur des plaques numérotées. Je me référais à la légende pour y lire qu’il s’agissait d’oreilles de poissons. Un bouton était disposé à côté, j’ai appuyé dessus, déclenchant une salve de vibrations qui sont remontées jusque dans mes avant-bras. Un panneau lumineux s’est affiché pour compléter les informations : l’expérience sensorielle nous présentait la façon dont le poisson appréhendait le son, par vibrations.
Puis, on s’orientait vers le carré suivant complètement translucide : l’ouïe de méduse, l’opposé du trou noir que représente l’oreille chez les poissons et chez l’homme.
À la place d’un bouton, on pouvait plonger son doigt dans un amas visqueux qui, de temps en temps, se contractait comme une vulve. Le petit encart lumineux précisait que les méduses n’avaient pas d’oreilles, qu’elles possédaient des organes sensoriels orientés vers la sensibilité visuelle ou l’équilibre. Je me sentais méduse, flottant dans la masse, sans visibilité.
L’huître occupait l’espace de transition vers l’oreille humaine. On pouvait glisser de nouveau son doigt et ça pinçait. L’encart lumineux précisait que l’huître réagissait aux audiogrammes qu’une équipe de chercheurs avait produits en se refermant brutalement, surtout lors des fréquences graves. Leur sensibilité aux vibrations du son leur permettait d’entendre le ressac, les dorades et les navires. L’encart, enfin, expliquait que ces derniers nuisaient à la santé des huîtres qui s’ouvraient et se refermaient bien trop fréquemment. Je les comprenais.
Puis, on s’orientait vers le carré suivant complètement translucide : l’ouïe de méduse, l’opposé du trou noir que représente l’oreille chez les poissons et chez l’homme.
À la place d’un bouton, on pouvait plonger son doigt dans un amas visqueux qui, de temps en temps, se contractait comme une vulve. Le petit encart lumineux précisait que les méduses n’avaient pas d’oreilles, qu’elles possédaient des organes sensoriels orientés vers la sensibilité visuelle ou l’équilibre. Je me sentais méduse, flottant dans la masse, sans visibilité.
L’huître occupait l’espace de transition vers l’oreille humaine. On pouvait glisser de nouveau son doigt et ça pinçait. L’encart lumineux précisait que l’huître réagissait aux audiogrammes qu’une équipe de chercheurs avait produits en se refermant brutalement, surtout lors des fréquences graves. Leur sensibilité aux vibrations du son leur permettait d’entendre le ressac, les dorades et les navires. L’encart, enfin, expliquait que ces derniers nuisaient à la santé des huîtres qui s’ouvraient et se refermaient bien trop fréquemment. Je les comprenais.
Mais l’article que j’ai découvert ensuite m’a interpellée : « Selon ces études, les personnes sourdes montrent une augmentation de leur capacité à traiter le mouvement visuel. Entre autres, elles sont plus rapides et précises à percevoir la direction du mouvement dans le champ visuel périphérique et elles produisent des ondes de potentiels évoqués visuels d’une plus grande amplitude. »
J’avais ainsi lu le texte intitulé : « Le passé échappe ». Il expliquait que les tentatives qui se développaient pour archiver le Web n’y faisaient rien, que le passé échappait, que le futur allait être encore moins enregistrable et conservable. La fragilité des supports, leur durée de vie extrêmement courte faisaient que nous entrions plus encore dans l’oubli. Je courais le danger de voir s’effacer de mes oreilles tout ce que je ne consignais pas quotidiennement dans mon herbier sonore.
La bouche d’Anna s’ouvrait pour les l, me dévoilant ainsi sa langue qui cherchait à décoller les miettes coincées entre ses dents. Les phrases d’Anna étaient pleines de voyelles extrêmes, striant son visage de multiples ridelles, comme si sa bouche était l’endroit d’impact du ricochet dans l’eau et son visage des ronds en gigogne.
La Revue anarchiste des neurosciences avait publié un dossier entier sur les déracinés du langage. Un psycho-pédiatre spécialisé en linguistique et en phonologie avait entrepris d’analyser les cris et les sons inarticulés d’un panel d’enfants déficients mentaux et était parvenu à la conclusion que chacun disposait du matériel sonore de toutes les langues – le th anglais, le r roulé espagnol, le r guttural arabe, le ch allemand. Il démontrait ainsi que tout être humain avait à l’origine de quoi articuler toutes les langues existantes mais aussi toutes les langues possibles, et qu’en assimilant la langue maternelle, il perdait les phonèmes inutilisés. La conclusion m’a rendue perplexe : notre langue était plus riche quand nous étions privés de langue maternelle.
Un écrivain, pfff, il peut toujours recommencer quelque chose d’imparfait. La vie non, ce que nous avons vécu ne peut être ni corrigé ni jeté. C’est terrible.
J’ai longtemps réfléchi et je me suis dit que si le silence faisait partie du langage, il n’était pas son contraire mais une entité intrinsèque à la langue. Le silence était un lieu où résider dans le langage. Le silence libérait des mots et des images que le langage retenait prisonniers. Je n’étais donc pas perdue mais en chemin.
L’homme est un être plein d’espoir et de désespoir, a-t-il repris, si le désespoir l’emportait constamment, tout le monde sombrerait, et comme il n’est pas raisonnable de conserver de l’espoir dans ce monde dans lequel nous vivons, c’est la preuve même que l’homme n’est pas un être raisonnable. La renaissance d’une chose si absurde que l’espoir montre bien que vous allez tenir, et que ce n’est pas votre raison, mais votre déraison qui va faire que vous allez dépasser cette situation. Servez-vous-en pour avancer, ne regardez pas l’aspect raisonnable des choses, Louise, mais puisez dans la folie la force pour grandir.
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