Coup de coeur 💓💓
Titre : S'adapter
Auteur : Clara DUPONT-MONOD
Parution : 2021 (Stock)
Pages : 200
Présentation de l'éditeur :
C’est l’histoire d’un enfant aux yeux
noirs qui flottent, et s’échappent dans le vague, un enfant toujours
allongé, aux joues douces et rebondies, aux jambes translucides et
veinées de bleu, au filet de voix haut, aux pieds recourbés et au palais
creux, un bébé éternel, un enfant inadapté qui trace une frontière
invisible entre sa famille et les autres. C’est l’histoire de sa place
dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante et
des montagnes protectrices ; de sa place dans la fratrie et dans les
enfances bouleversées. Celle de l’aîné qui fusionne avec l’enfant, qui,
joue contre joue, attentionné et presque siamois, s’y attache, s’y
abandonne et s’y perd. Celle de la cadette, en qui s’implante le dégoût
et la colère, le rejet de l’enfant qui aspire la joie de ses parents et
l’énergie de l’aîné. Celle du petit dernier qui vit dans l’ombre des
fantômes familiaux tout en portant la renaissance d’un présent hors de
la mémoire.
Comme dans un conte, les pierres de la cour témoignent. Comme dans les contes, la force vient des enfants, de l’amour fou de l’aîné qui protège, de la cadette révoltée qui rejettera le chagrin pour sauver la famille à la dérive. Du dernier qui saura réconcilier les histoires.
La naissance d'un enfant handicapé racontée par sa fratrie. Un livre magnifique et lumineux.
Prix Femina et Prix Landerneau 2021.
Comme dans un conte, les pierres de la cour témoignent. Comme dans les contes, la force vient des enfants, de l’amour fou de l’aîné qui protège, de la cadette révoltée qui rejettera le chagrin pour sauver la famille à la dérive. Du dernier qui saura réconcilier les histoires.
La naissance d'un enfant handicapé racontée par sa fratrie. Un livre magnifique et lumineux.
Prix Femina et Prix Landerneau 2021.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Clara Dupont-Monod est l’auteure de plusieurs romans dont La Passion selon Juette (Grasset, 2007), Le roi disait que j’étais diable (Grasset, 2014) et chez Stock en 2018, La Révolte.
Avis :
A la naissance de leur troisième enfant, les parents apprennent bientôt qu’une anomalie génétique le condamne à brève échéance, après quelques années d’une existence quasi végétative. Dans leur maison cévenole, la vie s’organise autour du séisme qui vient de creuser une faille invisible entre eux et leur entourage. Chaque membre de la famille « s’adapte » à sa manière. Le fils aîné se sent investi d’une responsabilité protectrice et, devenant l’ange gardien de l’enfant, sombre peu à peu avec lui. La cadette, toute à sa rage de voir l’énergie et la joie de vivre des siens littéralement siphonnées par ce petit frère, s’installe dans le rejet et le besoin de prendre le large. Enfin, le benjamin, né sur le tard, grandit dans l’ombre d’un fantôme et le souci de « réparer » ses parents.
Quand vous naît un enfant ou un frère handicapé, et même si pour vous rien ne sera jamais plus comme avant, la terre ne s’arrête pas de tourner. Désormais, il y a aura le monde ordinaire, qui continuera sans vous, et votre petit cercle, isolé parce qu’en rotation autour de son propre centre de gravité. Pour ses membres, c’est un complet recadrage qui marque la fin de l’insouciance et trace une frontière invisible avec les autres. Chacun assume avec les moyens du bord, et d’une façon chaque fois très personnelle, mais une constante perdure : l’amour pour cet enfant pas comme les autres.
Cet amour-là, avec ce qu’il apporte et ce qu’il coûte, irradie le texte, qui, raconté comme une tragédie grecque par les immémoriales pierres des Cévennes, sans prénoms, avec pour personnages centraux l’enfant, l’aîné, la cadette et le dernier, et en périphérie les parents et la grand-mère, prend la portée universelle d’une magnifique histoire d’humanité s’efforçant sans bruit de survivre à la fatalité. Ici, pas de tabous, ni de non-dits. Pas non plus de sentimentalisme, ni de pathos. Mais la narration sensible et délicate, impressionnante de vérité, des impacts et des réactions, en bref des bouleversements profonds au sein de la fratrie dans son face-à-face avec la différence, le handicap et la mort.
Clara Dupont-Monod pénètre à ce point son sujet et fait preuve d’une telle finesse psychologique que l’on ne peut douter de la part autobiographique de son récit. Magnifique et bouleversant dans l’évidence de sa sincérité sobre et pudique, ce livre très personnel impressionne par sa portée si manifestement universelle. Coup de coeur. (5/5)
Quand vous naît un enfant ou un frère handicapé, et même si pour vous rien ne sera jamais plus comme avant, la terre ne s’arrête pas de tourner. Désormais, il y a aura le monde ordinaire, qui continuera sans vous, et votre petit cercle, isolé parce qu’en rotation autour de son propre centre de gravité. Pour ses membres, c’est un complet recadrage qui marque la fin de l’insouciance et trace une frontière invisible avec les autres. Chacun assume avec les moyens du bord, et d’une façon chaque fois très personnelle, mais une constante perdure : l’amour pour cet enfant pas comme les autres.
Cet amour-là, avec ce qu’il apporte et ce qu’il coûte, irradie le texte, qui, raconté comme une tragédie grecque par les immémoriales pierres des Cévennes, sans prénoms, avec pour personnages centraux l’enfant, l’aîné, la cadette et le dernier, et en périphérie les parents et la grand-mère, prend la portée universelle d’une magnifique histoire d’humanité s’efforçant sans bruit de survivre à la fatalité. Ici, pas de tabous, ni de non-dits. Pas non plus de sentimentalisme, ni de pathos. Mais la narration sensible et délicate, impressionnante de vérité, des impacts et des réactions, en bref des bouleversements profonds au sein de la fratrie dans son face-à-face avec la différence, le handicap et la mort.
Clara Dupont-Monod pénètre à ce point son sujet et fait preuve d’une telle finesse psychologique que l’on ne peut douter de la part autobiographique de son récit. Magnifique et bouleversant dans l’évidence de sa sincérité sobre et pudique, ce livre très personnel impressionne par sa portée si manifestement universelle. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Personne ne comprit réellement qu’à cet instant-là, une fracture se dessinait. Bientôt, les parents parleraient de leurs derniers instants d’insouciance, or l’insouciance, perverse notion, ne se savoure qu’une fois éteinte, lorsqu’elle est devenue souvenir.
Dans les mairies, les services sociaux, les instances prétendument dédiées à l’aide des familles, les ministères, on leur enfonçait la tête sous l’eau, multipliant les difficultés. Le parcours était glacial, inhumain, jalonné d’acronymes, MDPH, ITEP, IME, IEM, CDAPH. Les interlocuteurs se montraient absurdement tatillons ou d’une odieuse nonchalance, cela dépendait. Les parents en parlaient le soir à voix basse. Ils durent se plier à des règles folles. Ils entrèrent dans des pièces grises où les attendait un jury qui déciderait si, oui ou non, ils seraient éligibles à une allocation, un recours, une étiquette, une place. Ils durent prouver que, depuis la naissance de l’enfant, la vie avait changé à leurs frais ; prouver aussi que leur enfant était différent, certificats médicaux, bilans neuropsychométriques, classés dans une pochette plus précieuse encore que leur portefeuille. On leur demanda aussi de dessiner un « projet de vie » alors que, de celle d’avant, il restait si peu. Les parents en croisèrent d’autres, brisés, à court d’argent, car les aides tardaient à tomber, ou ahuris parce qu’un département ne transmettait pas le dossier à un autre département, et qu’en cas de déménagement il fallait tout reprendre à zéro. Ils découvrirent l’obligation, tous les trois ans, de prouver que l’enfant était toujours handicapé (« Parce que vous pensez que ses jambes ont repoussé en trois ans ? » avait hurlé une mère devant un bureau). Entendirent un couple craquer car, visiblement, leur enfant n’était pas assez inadapté pour bénéficier d’aide, mais trop pour espérer être inséré. La mère avait cessé de travailler pour s’occuper de l’enfant puisque personne ne le prenait en charge. Les parents découvrirent le grand no man’s land des marges, peuplées d’êtres sans soin ni projet ni ami. Ils apprirent que la maladie mentale, handicap invisible, ajoutait une difficulté supplémentaire, « il faudrait que ma fille soit amochée physiquement pour que vous bougiez votre cul ? » grinça un père à l’accueil d’un centre médico-social, ouvert seulement le matin.
(…) une phrase résonna, quelque chose comme « aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction ». Elle était prononcée au micro par le témoin. C’était la phrase qui, immanquablement, ressortait à chaque discours de mariage ; elle était, paraît-il, de Saint-Exupéry, et il la détesta tant il la trouvait idiote. C’était une logique d’équipe, pas de couple. Quel drôle de monde où l’on apparente l’amour à un but, et quel dommage de ne pas comprendre qu’au contraire, l’amour c’est se noyer dans les yeux de l’autre, même si ces yeux sont aveugles.
La fragilité engendre la brutalité, comme si le vivant souhaitait punir ce qui ne l’est pas assez.
Je n’ai pas ce maintien propre aux femmes des montagnes, faites de roche et de poudre, polies par des siècles de vaillante soumission. Des femmes debout sur leurs chevilles de faïence, dont l’apparente résignation n’est qu’un leurre. Des femmes qui ressemblent aux pierres d’ici. On les croit friables (l’origine du mot « schiste » ne signifie-t-elle pas « que l’on peut fendre » ?), mais en réalité, rien n’est plus solide qu’elles. Car, avec le sort, les femmes se montrent rusées. Elles ont la sagesse de ne jamais le défier. Elles s’inclinent mais, par-derrière, elles s’adaptent. Elles prévoient des sources de réconfort, organisent une résistance, ménagent leur énergie, déjouent les peines. Est-ce un hasard si mon frère aîné met l’endurance au-dessus de tout ? Faire avec et non faire contre. Je ne sais pas faire. Moi, la cadette, je m’oppose sans cesse. Je me cogne et crie à la révolte contre le destin, je n’entends pas que les forces en présence sont inégales, je serai perdante mais je m’obstine à rejeter. Je suis un refus à moi seule. Je n’appartiens pas aux reines d’ici.
La grand-mère parlait peu. Et comme souvent les taiseux, elle parlait par des actes. De la ville, elle rapporta le walkman qu’il fallait, puis les baskets dernier cri. Elle abonna la cadette aux revues de son âge. Elle l’emmena voir les nouveaux films au cinéma dans le bourg d’à côté, si bien que la cadette, dans la cour de l’école, pouvait dire : « Moi aussi, j’ai vu À la poursuite du diamant vert. » Elle pouvait tenir une discussion serrée sur Modern Talking, porter un sweat-shirt Chevignon, mâcher du Tubble Gum. La grand-mère la hissait à la hauteur des autres. Elle lui offrait une normalité. Beaucoup plus tard, devenue adulte, la cadette s’entendrait dire à une amie : « Si un enfant va mal, il faut toujours avoir un œil sur les autres. » Avant d’ajouter, pour elle-même : « Car les bien portants ne font pas de bruit, s’adaptent aux contours cisaillants de la vie qui s’offre, épousent la forme des peines sans rien réclamer. Ils seront les gardiens du phare détestant les vagues mais tant pis, refuser serait déplacé. Un sentiment de devoir les guide. Ils se tiendront là, vigies dans la nuit noire, se débrouilleront pour n’avoir ni froid ni peur. Or, n’avoir ni froid ni peur n’est pas normal. Il faut venir vers eux. »
Pourquoi tes amies, Marthe, Rose et Jeanine, ne me jugent pas ?
– Parce qu’elles sont tristes. Et quand on est triste, on ne juge pas.
– N’importe quoi. Je connais plein de gens tristes qui sont méchants.
– Alors ce sont des gens malheureux. Mais pas tristes.
Un effondrement peut parfois prendre la forme inverse de ce qu’il recouvre. Le désespoir mue en dureté. Ce fut le cas. L’appel cogneur, l’impulsion, le bouillonnement de colère, tous ces courants qui tambourinaient à sa porte disparurent instantanément, cédant la place à un désert froid. Son cœur se couvrit d’une pellicule de gel. Cette intransigeance lui vint d’instinct. La cadette devint bloc de pierre. Son cœur avait été arraché, elle n’en avait plus, pour elle c’était clos.
Dira-t-on un jour l’agilité que développent ceux que la vie malmène, leur talent à trouver chaque fois un nouvel équilibre, dira-t-on les funambules que sont les éprouvés ?
(…) elle comprit soudain que son frère aîné ne guérirait pas de l’enfant. Guérir, cela signifiait renoncer à sa peine, or la peine, c’était ce que l’enfant avait planté en lui. C’était sa trace. Guérir, cela voulait dire perdre la trace, perdre l’enfant à tout jamais. Elle savait désormais que le lien peut avoir différentes formes. La guerre est un lien. Le chagrin aussi.
Les parents l’annoncèrent par téléphone. « Nous attendons un autre enfant. » (…)
Derrière eux palpitait la grande attente des parents blessés, unis en une angoisse, celle d’abîmer la vie alors qu’ils souhaitent la donner.
Un enfant différent est une épreuve très difficile. La majorité des couples se séparent.
Dans cette famille, plus personne ne dormait correctement. Le sommeil était le moulage des peines, il portait leur empreinte.
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