Coup de coeur 💓
Titre : Numéro deux
Auteur : David FOENKINOS
Parution : 2022 (Gallimard)
Pages : 240
Présentation de l'éditeur :
« En 1999 débutait le casting pour trouver le jeune garçon qui allait
interpréter Harry Potter et qui, par la même occasion, deviendrait
mondialement célèbre.
Des centaines d’acteurs furent auditionnés. Finalement, il n’en resta plus que deux. Ce roman raconte l’histoire de celui qui n’a pas été choisi. »
Des centaines d’acteurs furent auditionnés. Finalement, il n’en resta plus que deux. Ce roman raconte l’histoire de celui qui n’a pas été choisi. »
Un mot sur l'auteur :
David Foenkinos est romancier, dramaturge, scénariste et réalisateur.En 2009, son roman La Délicatesse est encensé par la critique et se retrouve sur toutes les listes des grands prix littéraires. Il obtient au total
dix prix et devient un phénomène de vente dans le monde entier.
Avis :
Un jeune Londonien de dix ans participe au casting, qui, en 1999, doit sélectionner le garçon qui interprètera Harry Potter au cinéma. A son grand désespoir, alors qu’ils n’étaient plus que deux candidats en lice, il n’est finalement pas choisi.
Il suffit parfois d’un rien pour que le destin bascule. Et pas toujours dans le bon sens, quoi qu’en dise le fameux adage sur le hasard qui fait bien les choses. Martin Hill, propulsé à portée de rêve par un extraordinaire concours de circonstances, se voit aussitôt ravir cette chance inespérée, alors que rien ne permettant de le départager de son dernier concurrent, le choix qu’il faut bien opérer l’écarte définitivement. Se remet-on jamais d’avoir perdu le ticket gagnant au loto ? D’avoir raté l’embranchement décisif qui pouvait transformer votre existence au-delà de toute espérance ? La plupart du temps, « notre route unique n’offre pas le moindre accès aux chemins que nous n’empruntons pas », mais, pour Martin, bientôt témoin désespéré de l’inextinguible Potter Mania qui viendra notamment, au travers du merchandising, contaminer jusqu’aux objets les plus usuels de son quotidien, tout n’est, sa vie durant, que rappel cuisant de son échec et de ce qu’il a l’impression qu’un autre lui a volé.
Même si construit autour de multiples et bien réelles anecdotes liées à la saga Harry Potter, Martin Hill est un personnage fictif. Inventé à partir du plus impressionnant engouement collectif qui soit, phénomène de société exploité commercialement jusqu’à la lie, il est un puissant prétexte à bien des réflexions. Dans un monde mené par le culte de la performance et de l’image, où le bonheur s’affiche - et se réverbère à l’infini sur les réseaux sociaux - à grands coups de standards aussi vains que factices, ne finit-on pas par trouver la réalité bien plus terne et plus détestable qu’elle ne l’est, et par se laisser dérober le véritable bonheur d’exister, dissous dans la frustration et un absurde sentiment d’échec ? A envier tout ce qu’on nous fait miroiter comme désirable, à quantifier la réussite à l’aune de la notoriété et de la fortune, à ne se satisfaire que d’avoir plus que son voisin, n’en oublie-t-on pas de vivre, tout simplement ?
Mêlant un humour discrètement affleurant à son génie des petites phrases qui font mouche, David Foenkinos réussit d’une bien originale façon à nous faire comprendre, que cet autre que nous envions tant, est peut-être, bien souvent, juste caché au fond de nous-mêmes, incapable de se rendre compte de son bonheur et de sa chance. Coup de coeur. (5/5)
Il suffit parfois d’un rien pour que le destin bascule. Et pas toujours dans le bon sens, quoi qu’en dise le fameux adage sur le hasard qui fait bien les choses. Martin Hill, propulsé à portée de rêve par un extraordinaire concours de circonstances, se voit aussitôt ravir cette chance inespérée, alors que rien ne permettant de le départager de son dernier concurrent, le choix qu’il faut bien opérer l’écarte définitivement. Se remet-on jamais d’avoir perdu le ticket gagnant au loto ? D’avoir raté l’embranchement décisif qui pouvait transformer votre existence au-delà de toute espérance ? La plupart du temps, « notre route unique n’offre pas le moindre accès aux chemins que nous n’empruntons pas », mais, pour Martin, bientôt témoin désespéré de l’inextinguible Potter Mania qui viendra notamment, au travers du merchandising, contaminer jusqu’aux objets les plus usuels de son quotidien, tout n’est, sa vie durant, que rappel cuisant de son échec et de ce qu’il a l’impression qu’un autre lui a volé.
Même si construit autour de multiples et bien réelles anecdotes liées à la saga Harry Potter, Martin Hill est un personnage fictif. Inventé à partir du plus impressionnant engouement collectif qui soit, phénomène de société exploité commercialement jusqu’à la lie, il est un puissant prétexte à bien des réflexions. Dans un monde mené par le culte de la performance et de l’image, où le bonheur s’affiche - et se réverbère à l’infini sur les réseaux sociaux - à grands coups de standards aussi vains que factices, ne finit-on pas par trouver la réalité bien plus terne et plus détestable qu’elle ne l’est, et par se laisser dérober le véritable bonheur d’exister, dissous dans la frustration et un absurde sentiment d’échec ? A envier tout ce qu’on nous fait miroiter comme désirable, à quantifier la réussite à l’aune de la notoriété et de la fortune, à ne se satisfaire que d’avoir plus que son voisin, n’en oublie-t-on pas de vivre, tout simplement ?
Mêlant un humour discrètement affleurant à son génie des petites phrases qui font mouche, David Foenkinos réussit d’une bien originale façon à nous faire comprendre, que cet autre que nous envions tant, est peut-être, bien souvent, juste caché au fond de nous-mêmes, incapable de se rendre compte de son bonheur et de sa chance. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
On associe toujours le hasard à une force positive qui nous propulse vers des moments merveilleux. De manière étonnante, sa version négative est très rarement évoquée, comme si le hasard avait confié la gestion de son image à un génie de la communication. La preuve : on dit communément que le hasard fait bien les choses, ce qui occulte totalement l’idée qu’il peut tout autant mal les faire.
Voilà donc pourquoi Daniel Radcliffe avait été choisi. Une question d’intuition : il aurait la force mentale de traverser une expérience extrême. Mais, plus encore. Au cœur de cette déclaration, la directrice de casting utilise une expression fascinante : « ce petit quelque chose en plus ». Cette qualité impossible à définir avait donc été décisive. Si Martin avait demandé : « Pourquoi lui et pas moi ? », on lui aurait répondu que tout était de la faute de ce petit quelque chose en plus.
Cela pouvait rendre fou de passer à côté de tellement pour si peu.
C’est ainsi qu’une vie humaine bascule du mauvais côté. C’est toujours un rien qui fait la différence, comme si le simple positionnement d’une virgule pouvait changer la signification d’un roman de huit cents pages.
Elle avait été son premier grand amour, celui qui se transforme souvent en condamnation à perpétuité du souvenir.
Avec les années, on acquiert peu à peu la capacité de supporter les coups. La vie humaine se résume peut-être à ça, une incessante expérimentation de la désillusion, pour aboutir avec plus ou moins de succès à une gestion des douleurs.
Lors de cette première nuit, Martin ne cessa de se repasser le casting. À quel moment avait-il raté quelque chose ? Qu’aurait-il pu mieux faire ? De toute façon, cela ne changerait rien. La vie n’a pas de marche arrière. Il avait manqué sa chance, et devait maintenant affronter l’avenir avec ce naufrage. Bien sûr, il ne pouvait pas endosser toute la responsabilité. L’autre acteur avait sûrement été meilleur. Et ça, il n’y pouvait rien. C’était la fatalité. Tout juste pouvait-il maudire le destin qui avait propulsé cet Autre sur son chemin. Il y a si souvent quelqu’un pour prendre votre place, pour vous barrer la route. Cela lui était déjà arrivé à l’école, ou au club de sport ; des occasions où il avait failli être premier avant l’apparition de quelqu’un de plus performant que lui. Est-ce toujours ainsi ? Toute vie humaine est, à un moment ou un autre, gâchée par une autre vie humaine.
C’est en novembre 2001 que sa vie bascula. Étrangement, Martin n’avait pas anticipé l’inévitable. Ni ses parents, d’ailleurs. Pourtant, il semblait assez clair que l’adaptation de ce livre phénomène ne passerait pas inaperçue. Ce fut pire que cela. Les avant-premières du film provoquèrent d’emblée une forme d’hystérie collective, battant tous les records. Le jour de la sortie, le 16 novembre, il n’était question que de Harry Potter. L’horreur commença vraiment pour Martin : il lui serait dorénavant impossible d’échapper à ce qu’il avait raté. Ce fameux droit à l’oubli que l’on évoque pour les criminels, il ne pouvait pas s’en prévaloir. Pire, on aurait dit que le pays entier soufflait sur les braises de son échec. Il devenait complexe d’allumer la télévision sans tomber sur l’expression radieuse de Daniel Radcliffe, sans écouter le récit de son quotidien merveilleux. Son visage était placardé partout dans Londres. On le trouvait génial, on voulait tout savoir de lui ; on disait même qu’il allait bientôt rencontrer la reine. La vie de l’Autre s’imposait en permanence.
Pour la première fois, Martin tenta de mettre des mots sur ce qu’il ressentait. Selon lui, c’était comme être quitté par une fille et devoir la croiser chaque jour. Et puis non, cette comparaison sentimentale ne lui semblait pas assez forte. C’était bien pire que ça. « Tout me rappelle sans cesse mon échec, c’est horrible… » finit-il par dire.
On l’a surnommé « l’homme le plus malchanceux du monde ». Il faut dire qu’il a été écarté des Beatles quelques semaines seulement avant que le groupe ne devienne le plus légendaire de tous les temps. (…)
Pendant que ses anciens camarades deviennent riches et célèbres, il demeure à l’écart tel un pestiféré de la gloire. Son échec est pire qu’un échec, car tout le monde en a connaissance. Toute sa vie, il sera en permanence confronté à ce qu’il a manqué. On ne peut pas allumer la télévision, écouter la radio, lire un magazine sans tomber sur les Quatre garçons dans le vent. Sa vie devient un enfer, au point qu’il tente de se suicider en 1965. Il remonte doucement la pente, mais il juge préférable d’arrêter la musique. Il n’a pas envie qu’on vienne l’écouter par curiosité malsaine. Alors qu’il galère, ses anciens partenaires devenus multimillionnaires ne lui viennent pas en aide. Le temps passe, il finit par devenir boulanger. Mais il n’échappa jamais à sa malédiction. Dans le regard de chacun, il sera pour toujours celui qui a failli être un Beatles.
Cette éclaircie n’empêchait pas Martin de rester sur ses gardes ; il continuait d’avoir la peur au ventre quand il se retrouvait seul avec Marc. Tout pouvait recommencer. C’est peut-être ça, la plus grande réussite d’un agresseur : provoquer une terreur sourde sans avoir plus rien à faire.
On l’interrogeait sur les raisons de son absence, il demeurait évasif. Son silence fascinait même certains élèves. C’était une leçon à tirer pour quiconque voulait devenir populaire ; on prête toujours aux taiseux d’incroyables histoires.
Un jour, lors d’une pause, il fit un tour pour rendre visite à Mona Lisa. Comme prévu, autour du tableau le plus célèbre du monde, c’était l’effervescence. En observant ce spectacle, Martin pensa : « La Joconde, c’est le Harry Potter de la peinture. » Autour de ce minuscule cadre, plus rien n’existait. Son regard balaya alors les autres œuvres de la salle des États. Pour les visiteurs présents, elles étaient invisibles. Martin s’identifia à elles : lui aussi avait été tout proche du rêve avant d’être plongé dans l’anonymat. Son destin était celui d’un tableau accroché à côté de La Joconde.
Parmi les candidats, il rencontra un écrivain finaliste du prix Goncourt 1978. Cette année-là, Patrick Modiano l’avait obtenu, à l’âge de trente-trois ans, pour son sixième roman, Rue des Boutiques Obscures. Depuis, le lauréat enchaînait les succès, et fascinait les foules lors de ses passages télévisuels chez Bernard Pivot. Pour le perdant, la gloire de l’Autre était devenue la prolongation permanente de son échec. (…)
Tous les perdants de concours médiatiques avaient vécu cette même souffrance : un échec accentué par l’image permanente de la joie du gagnant. On pouvait toujours leur dire : « C’est formidable d’être allé jusqu’en finale ! » Mais non, personne ne pouvait se réjouir d’un parcours achevé si près du but. Il était préférable de rester dans l’ombre plutôt que de frôler la lumière. L’amertume en était décuplée. Le refoulé retournait dans les profondeurs du désintérêt général pendant que le lauréat s’aveuglait des attentions de tous. Si un Goncourt ne valait pas un Potter en matière d’intensité, les épreuves étaient tout de même comparables.
Tous les perdants de concours médiatiques avaient vécu cette même souffrance : un échec accentué par l’image permanente de la joie du gagnant. On pouvait toujours leur dire : « C’est formidable d’être allé jusqu’en finale ! » Mais non, personne ne pouvait se réjouir d’un parcours achevé si près du but. Il était préférable de rester dans l’ombre plutôt que de frôler la lumière. L’amertume en était décuplée. Le refoulé retournait dans les profondeurs du désintérêt général pendant que le lauréat s’aveuglait des attentions de tous. Si un Goncourt ne valait pas un Potter en matière d’intensité, les épreuves étaient tout de même comparables.
Sophie avait demandé : « Et toi ? Tu fais quoi ? » Il fallait donc toujours se définir, avoir des choses à dire sur soi, offrir son passé pour recevoir du présent. Il rêvait d’une rencontre ne reposant sur rien de concret. Cela lui rappelait les mots de Flaubert à Louise Collet : « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien qui se tiendrait par la force intérieure de son style. » Oui, c’était exactement ça son désir, celui de vivre une rencontre sans devoir se raconter, une rencontre qui ne tiendrait que par la force intérieure de son style.
Elle ne voulait pas aller à cette soirée. L’une de ses amies avait fortement insisté. N’est-ce pas toujours ainsi ? Les grandes rencontres s’opèrent dans l’ombre de notre volonté. Sachant cela, on devrait toujours faire le contraire de ce que l’on avait prévu.
Rencontrer quelqu’un, c’est se permettre d’exister à nouveau sans son passé. On se raconte comme on veut, on peut sauter des pages, et même commencer par la fin.
Ce qui est violent dans l’échec, c’est d’avoir perdu la maîtrise de son destin.
La pire conséquence d’un échec, c’est qu’il transforme le reste de votre vie en un perpétuel échec.
— Quand je vais sur Instagram et que je vois la vie merveilleuse des gens, il m’arrive aussi d’avoir l’impression que la mienne est nulle ou ratée.
— …
— On vit aujourd’hui sous la dictature du bonheur des autres. Ou, en tout cas, leur prétendu bonheur…
— On vit aujourd’hui sous la dictature du bonheur des autres. Ou, en tout cas, leur prétendu bonheur…
Il est rare que l’on ait ainsi accès à son destin opposé ; notre route unique n’offre pas le moindre accès aux chemins que nous n’empruntons pas.
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