J'ai aimé
Titre : Ils ont failli me tuer
Auteur : Vincent TALAOUIT
Bernard NICOLAS
Parution : 2010 (Flammarion)
Pages : 300
Présentation de l'éditeur :
Que s’est-il passé au sein de France Télécom Orange, fleuron de la
technologie française, pour que des dizaines de ses salariés choisissent
de mourir ? Vincent Talaouit peut répondre à cette question. Durant
treize ans, il a travaillé au sein de cette grande entreprise. Jeune
ingénieur, il intègre une filiale du
groupe en 1996 et vit avec passion cette entrée dans le monde du
travail. Il se dit qu’il va pouvoir assouvir son appétit de connaître et
d’inventer. Mais, en 2004, tout bascule. Vincent voit peu à peu fondre
les effectifs de son service sans comprendre, puisque la hiérarchie ne
donne aucune explication. Il saura plus tard que, dans une stratégie
purement financière, usant de méthodes de management d’une dureté rare,
les responsables de France Télécom Orange ont planifié la suppression de
22 000 emplois en trois ans. Parce qu’il a failli mourir, Vincent
Talaouit raconte ce qu’il a subi des années durant dans une entreprise à
laquelle il était si fier d’appartenir.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Vincent Talaouit est né en 1972. C’est son premier livre.
Bernard Nicolas, journaliste-réalisateur indépendant, auteur de nombreux documentaires d’investigation, a déjà publié plusieurs ouvrages dont Un juge assassiné (Flammarion, 2006), avec Élisabeth Borrel.
Bernard Nicolas, journaliste-réalisateur indépendant, auteur de nombreux documentaires d’investigation, a déjà publié plusieurs ouvrages dont Un juge assassiné (Flammarion, 2006), avec Élisabeth Borrel.
Avis:
En 2005, France Télécom déploie un programme de redressement incluant la suppression de 22 000 emplois en trois ans : pour que cela ne coûte rien, pas de licenciements, mais un plan managérial visant à dégrader les conditions de travail et à pousser psychologiquement les salariés au départ volontaire. Sur le terrain, les opérations sont si violentes qu’elles déclenchent une vague de suicides – 35 en 2008 et 2009. Suite au dépôt de plainte de deux syndicats, une enquête est ouverte qui aboutit à un procès et, en 2019, à la condamnation de la société et de ses dirigeants à la peine maximale prévue en matière de harcèlement moral. Orange ouvre alors une commission de réparation en charge d’indemniser les victimes.
Lorsqu’en 2010 Vincent Talaouit publie son livre, l’action en justice ne fait encore que commencer. Ingénieur passionné par les innovations particulièrement disruptives dans ce secteur d’activité, il s’est longtemps refusé à se sentir concerné par les incitations au départ. Jusqu’à ce que, malgré son acharnement à poursuivre son travail, on lui fasse comprendre de plus en plus clairement qu’il n’occupe en réalité plus aucun poste officiel chez France Télécom, qu’il est temps pour lui d’en « faire son deuil » comme le lui signifient lettres recommandées et convocations en entretiens, d’ailleurs aucune place pour lui n’est prévue dans les nouveaux locaux et le voilà seul, sans bureau ni matériel, à se rendre jour après jour dans un bâtiment déserté transformé en chantier.
Son récit décrit son parcours de « work-addict » et son incapacité à décrocher de ses missions malgré tous les signes l’annonçant désormais persona non grata. Enfermé dans l’incompréhension et le déni, lui qui avait sans doute toutes les armes et le bagage pour rebondir ailleurs, préfère croire au malentendu et obtempère à tout, ce qui lui fera déclarer bien plus tard, deux ans en fait après son plongeon dans une dépression peuplée d’idées noires : « C’est seulement aujourd’hui, avec le recul, que je réalise ma soumission à la règle du jeu : jamais je n’ai songé à refuser de me rendre à l’une de ces convocations. (…) Ayant toujours été un bon petit soldat, comme on me donne un ordre, j’obéis. » C’est ainsi que, non sans sidération, le lecteur ne découvre pas seulement des pratiques managériales inhumaines, abusives et condamnables, mais aussi l’étrange soumission qui les accompagne.
L’on assiste dans l’histoire que nous conte Vincent Talaouit au déploiement d’un processus totalitaire, un univers impersonnel et déshumanisé de violence où le mal devient banal – les bourreaux d’ailleurs souvent eux-mêmes victimes – et la soumission si bien la règle que plus personne ne réagit, comme face à une fatalité. Par peur, chacun subit dans le silence et la solitude, espérant, comme l’auteur, passer au travers des mailles du filet, alors que, vu de l’extérieur, tout semble évidemment insupportable et perdu d’avance. Et c’est bien l’aperçu de ce schéma général, au-delà du cas particulier inévitablement partial d’une manière ou d’une autre ici, qui fait aussi l’intérêt de ce livre.
Lorsqu’en 2010 Vincent Talaouit publie son livre, l’action en justice ne fait encore que commencer. Ingénieur passionné par les innovations particulièrement disruptives dans ce secteur d’activité, il s’est longtemps refusé à se sentir concerné par les incitations au départ. Jusqu’à ce que, malgré son acharnement à poursuivre son travail, on lui fasse comprendre de plus en plus clairement qu’il n’occupe en réalité plus aucun poste officiel chez France Télécom, qu’il est temps pour lui d’en « faire son deuil » comme le lui signifient lettres recommandées et convocations en entretiens, d’ailleurs aucune place pour lui n’est prévue dans les nouveaux locaux et le voilà seul, sans bureau ni matériel, à se rendre jour après jour dans un bâtiment déserté transformé en chantier.
Son récit décrit son parcours de « work-addict » et son incapacité à décrocher de ses missions malgré tous les signes l’annonçant désormais persona non grata. Enfermé dans l’incompréhension et le déni, lui qui avait sans doute toutes les armes et le bagage pour rebondir ailleurs, préfère croire au malentendu et obtempère à tout, ce qui lui fera déclarer bien plus tard, deux ans en fait après son plongeon dans une dépression peuplée d’idées noires : « C’est seulement aujourd’hui, avec le recul, que je réalise ma soumission à la règle du jeu : jamais je n’ai songé à refuser de me rendre à l’une de ces convocations. (…) Ayant toujours été un bon petit soldat, comme on me donne un ordre, j’obéis. » C’est ainsi que, non sans sidération, le lecteur ne découvre pas seulement des pratiques managériales inhumaines, abusives et condamnables, mais aussi l’étrange soumission qui les accompagne.
L’on assiste dans l’histoire que nous conte Vincent Talaouit au déploiement d’un processus totalitaire, un univers impersonnel et déshumanisé de violence où le mal devient banal – les bourreaux d’ailleurs souvent eux-mêmes victimes – et la soumission si bien la règle que plus personne ne réagit, comme face à une fatalité. Par peur, chacun subit dans le silence et la solitude, espérant, comme l’auteur, passer au travers des mailles du filet, alors que, vu de l’extérieur, tout semble évidemment insupportable et perdu d’avance. Et c’est bien l’aperçu de ce schéma général, au-delà du cas particulier inévitablement partial d’une manière ou d’une autre ici, qui fait aussi l’intérêt de ce livre.
Devenue un symbole de la souffrance au travail, l’affaire France Télécom a conduit en France à des actions générales de prévention des risques psychosociaux et à une meilleure prise en compte des situations de harcèlement moral. Ces dernières restent toujours très difficiles à prouver et les cas de souffrance au travail de plus en plus nombreux. (3,5/5)
Citations :
C’est seulement aujourd’hui, avec le recul, que le réalise ma soumission
à la règle du jeu : jamais je n’ai songé à refuser de me rendre à l’une
de ces convocations (…) Ayant toujours été un bon petit soldat, comme
on me donne un ordre, j’obéis.
L’objectif présenté dans ces brochures n’est pas discuté et, d’ailleurs, il pourrait servir plusieurs objectifs.
Ce n’est pas un ordre qui va être donné, c’est là toute la nuance.
Le but, il faut le masquer, le dissimuler : et ce but, c’est de faire partir le salarié. Il s’agit donc d’un document destiné à présenter les méthodes qui permettent au manager d’apprendre à manier la relation qu’il devra développer avec les salariés.
A priori, on peut penser que les gens auxquels on va dire de prendre la porte n’ont pas envie de s’en aller. Donc il faut les manipuler, afin qu’ils admettent peu à peu l’idée de ce départ et qu’ils finissent par participer à leur propre départ. C’est là l’enjeu. On va faire quelque chose qui n’est pas rien, faire partir 22 000 personnes, et que cela se passe sans remous.
C’est très particulier d’amener les gens à être consentants. Il faut les manipuler afin qu’ils acceptent de partir, il faut donc des manipulateurs. Les manipulateurs seront formés et accepteront de mettre leur énergie, leur imagination, au service d’une stratégie mise en place par leur direction.
On a donc entraîné une grande quantité de managers dans des actions très discutables d’un point de vue moral. Bien sûr, rien de tout cela n’est formulé de cette manière.
Afin d’être efficace, la manipulation doit d’abord s’appliquer aux managers, afin qu’ensuite ils puissent manipuler leurs subordonnés, et le tout sans remous. C’est pour cela que tout est “euphémisé”, que tout est allé très vite, comme si on prenait le personnel de vitesse pour éviter le moindre mouvement social.
Ce n’est pas un ordre qui va être donné, c’est là toute la nuance.
Le but, il faut le masquer, le dissimuler : et ce but, c’est de faire partir le salarié. Il s’agit donc d’un document destiné à présenter les méthodes qui permettent au manager d’apprendre à manier la relation qu’il devra développer avec les salariés.
A priori, on peut penser que les gens auxquels on va dire de prendre la porte n’ont pas envie de s’en aller. Donc il faut les manipuler, afin qu’ils admettent peu à peu l’idée de ce départ et qu’ils finissent par participer à leur propre départ. C’est là l’enjeu. On va faire quelque chose qui n’est pas rien, faire partir 22 000 personnes, et que cela se passe sans remous.
C’est très particulier d’amener les gens à être consentants. Il faut les manipuler afin qu’ils acceptent de partir, il faut donc des manipulateurs. Les manipulateurs seront formés et accepteront de mettre leur énergie, leur imagination, au service d’une stratégie mise en place par leur direction.
On a donc entraîné une grande quantité de managers dans des actions très discutables d’un point de vue moral. Bien sûr, rien de tout cela n’est formulé de cette manière.
Afin d’être efficace, la manipulation doit d’abord s’appliquer aux managers, afin qu’ensuite ils puissent manipuler leurs subordonnés, et le tout sans remous. C’est pour cela que tout est “euphémisé”, que tout est allé très vite, comme si on prenait le personnel de vitesse pour éviter le moindre mouvement social.
Bonjour Canetille, cela fait une excellente proposition pour l'activité sur le monde du travail : je pique ton lien !
RépondreSupprimerBonjour Ingannmic, avec plaisir !
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