J'ai beaucoup aimé
Titre : Vivarium
Auteur : Tanguy VIEL
Parution : 2024 (P.O.L.)
Pages : 144
Présentation de l'éditeur :
Ce livre, j’ai choisi de l’appeler Vivarium. Mais qu’est le
vivarium ici ? Cette série de fragments qui se voudraient abris vitrés
pour la mouvante pensée ? Ou bien la vie elle-même qui nous enveloppe et
nous prête, comme le biotope de l’animal, un milieu où tenir ? C’est là
en tout cas que j’ai résidé un temps, au creux de cette indistinction,
dans les échanges incessants du vivant et du nommé, où l’on découvre
quelquefois, à la lisière de toutes les choses, de fugaces résolutions,
précipités de langage qui semblent, plus qu’à l’ordinaire, faire
scintiller le cristal de l’expérience. Or dans l’expérience il y a de
tout : des villes et des fleuves, des souvenirs et des questions, des
fleurs, des amis, du vent et des lignes d’horizon.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Tanguy Viel est né en 1973 à Brest. Il publie son premier roman Le Black Note en 1998 aux Editions de Minuit qui feront paraître Cinéma (1999), L’Absolue perfection du crime (2001), Insoupçonnable (2006), Paris-Brest (2009), La Disparition de Jim Sullivan (2013) et Article 353 du code pénal, Grand prix RTL Lire. La Fille qu'on appelle paraît en 2021. Il a également publié deux essais littéraires : Icebergs (2019) et Vivarium (2024).
Avis:
Tanguy Viel a si bien habitué son lecteur à la virtuosité de ses romans, peuplés de personnages broyés par les rouages sociaux, que l’on finit par s’y jeter les yeux fermés, sûr de se régaler de la complexité de leur intrigue, de la réflexion qui les sous-tend et de la musicalité de leur écriture. La surprise est donc totale de le découvrir ici dans un registre radicalement différent : un essai méditatif rassemblant pêle-mêle les observations, impressions et réflexions qui ont jalonné sa vie d’écrivain, une sorte de précipité de ce qui s’agite plus ou moins fugitivement dans son « vivarium mental ».
L’incipit annonce la couleur : « Je sais par expérience personnelle, écrit T.S. Eliot, que vers le milieu de sa vie un homme se trouve en présence de trois choix : ne plus écrire du tout, se répéter avec, peut-être, un degré toujours plus grand de virtuosité ou, par un effort de la pensée, s’adapter à cet “âge moyen” et trouver une autre façon de travailler. » Voici donc Tanguy Viel à la croisée des chemins, qui sent « un second moi se hisse[r] sur les épaules du premier » et qui, plongeant dans le caléidoscope de sa mémoire et de sa pensée, prend le temps d’un arrêt sur images, aussi furtives et mouvantes soit-elles, pour, d’instants vécus en souvenirs enchantés, de lieux traversés en rencontres marquantes, s’interroger au final sur sa passion pour la littérature, sur la magie et la beauté des mots, enfin sur ce qui peut bien pousser à écrire, c’est-à-dire à produire de « mystérieuses condensations » de son moi intérieur.
D’un intérêt et surtout d’un accès inégal, certains passages s’avérant relativement ésotériques, le texte érudit et exigeant ne nous emporte pas moins dans une vague poétique et sensible qui, roulant au plus profond de l’intimité de l’auteur, nous laisse, lui et nous, à décoder sa riche et foisonnante laisse de mer. Surtout, l’on découvre à la plume de Tanguy Viel des facettes inédites qui, pour la grande impression du lecteur, la rendent plus que jamais irrésistible de beauté.
Rarement a t-on une telle sensation de redécouvrir un écrivain, soudain propulsé à une nouvelle hauteur. Malgré quelques passages plus hermétiques, un livre brillant et fascinant, transcendé par une écriture magnifique. (4/5)
L’incipit annonce la couleur : « Je sais par expérience personnelle, écrit T.S. Eliot, que vers le milieu de sa vie un homme se trouve en présence de trois choix : ne plus écrire du tout, se répéter avec, peut-être, un degré toujours plus grand de virtuosité ou, par un effort de la pensée, s’adapter à cet “âge moyen” et trouver une autre façon de travailler. » Voici donc Tanguy Viel à la croisée des chemins, qui sent « un second moi se hisse[r] sur les épaules du premier » et qui, plongeant dans le caléidoscope de sa mémoire et de sa pensée, prend le temps d’un arrêt sur images, aussi furtives et mouvantes soit-elles, pour, d’instants vécus en souvenirs enchantés, de lieux traversés en rencontres marquantes, s’interroger au final sur sa passion pour la littérature, sur la magie et la beauté des mots, enfin sur ce qui peut bien pousser à écrire, c’est-à-dire à produire de « mystérieuses condensations » de son moi intérieur.
D’un intérêt et surtout d’un accès inégal, certains passages s’avérant relativement ésotériques, le texte érudit et exigeant ne nous emporte pas moins dans une vague poétique et sensible qui, roulant au plus profond de l’intimité de l’auteur, nous laisse, lui et nous, à décoder sa riche et foisonnante laisse de mer. Surtout, l’on découvre à la plume de Tanguy Viel des facettes inédites qui, pour la grande impression du lecteur, la rendent plus que jamais irrésistible de beauté.
Rarement a t-on une telle sensation de redécouvrir un écrivain, soudain propulsé à une nouvelle hauteur. Malgré quelques passages plus hermétiques, un livre brillant et fascinant, transcendé par une écriture magnifique. (4/5)
Citations :
En tout cas cela m’arrive souvent, quand je lis, de ne plus savoir très bien ce qui me fait frissonner : ce que le texte désigne ou bien l’adresse murmurante qu’il engage vers moi.
En littérature, le destinataire est toujours un ami. Le manque d’adresse, le manque d’ami, c’est l’enfer autophage de la vie non écrite.
C’est un avantage de la littérature, en fût-il une autre limite, qu’il est permis d’y décrire aussi ses tentatives, ses ratages et même, d’en obtenir rétribution. C’est un peu comme s’il existait, mettons en athlétisme, une catégorie « vestiaire » qui serait devenue une discipline à part entière. À moins que ce ne soit comme dans ces tournois sportifs amateurs où, trop vite éliminé, on peut se rattraper dans une « consolante ». En littérature, c’est certain, pour le meilleur et pour le pire, la consolante est devenue depuis longtemps un tournoi majeur.
Atteint l’âge de dix-huit ans, je me souviens que la découverte de la littérature et, plus encore, le saut fait en elle, fut d’abord le rêve d’un territoire ardemment séparé du monde et qui, en me coupant de lui, m’en protégeait. À cet âge, si j’avais pu mettre une porte blindée, une muraille de Chine entre les livres et le monde, entre ma communauté pour ainsi dire négative et la communauté en vrai des hommes et des femmes, en un mot si j’avais pu vivre dans une bibliothèque sans fenêtre, je l’aurais fait. « Moi qui imaginais le Paradis / Sous l’espèce d’une Bibliothèque ». Mais, ayant depuis révisé ce contrat que je n’ai jamais vraiment signé, je me demande : à quoi cela ressemble, un paradis sans fenêtre ?
Sait-on de certains êtres humains ce qui a voulu qu’ils barrent un jour de leur existence tout surgissement d’enfance ?
(…) il m’est arrivé trop souvent de passer sans un regard le long de l’immense crypte qui y mène [au centre de soi] et où il conviendrait précisément de s’arrêter une fois pour toutes afin de scruter enfin, non plus la lampe éblouissante du projecteur, mais toute l’épaisseur projetée de la vie vécue : théâtre d’ombres, de pensées et de souvenirs, en un mot tout l’habitacle d’un esprit qui ne se satisferait pas de sa propre substance mais au contraire se promènerait dans les allées peuplées de son palais aux mille tableaux vivants, aux mille événements faits de mémoire et d’images, de pensées et d’opinions, d’impressions et de figures, bref, fait d’un monde qui serait tout sauf vraiment soi – vivarium géant où la vie entière décante et fait une matière folle offerte à l’écriture, faite de villes et de visages, de rencontres et de lectures, d’horloges et de ciels, d’enfance et de sommeil, toutes choses qui ne demanderaient qu’à s’installer là, dans le grand livre de soi. Là, dans cet espace qui n’est ni l’ordre brut des faits, ni l’exposition solitaire de ses viscères, se découvre un terrain neutre où chacun dépose les armes – chacun : c’est-à-dire le monde alentour et le tumulte intérieur. C’est, je crois, l’un des plus beaux endroits où résider, à ce point de contact qui noue le monde à la découverte de soi et peut-être plus encore inversement : noue le soi à la découverte du monde.
Au fond, je marche encore et toujours à ce carburant secret de la littérature : qu’avant l’écriture d’un livre je ne serais que fragments épars étalés sur le sol, tandis qu’après, je serais organisme vivant, tout de livre fait mais plus solide que n’importe quel rocher de Bretagne.
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