J'ai aimé
Titre : La fête des mères
Auteur : Richard MORGIEVE
Parution : 2023 (Joëlle Losfeld, Gallimard)
Pages : 432
Présentation de l'éditeur :
Une famille de la haute bourgeoisie versaillaise dans les années
soixante : la vipère parfumée à L’Heure Bleue, c’est la mère. Le père
banquier est absent, les quatre frères se détestent. Ou bien ils
s’aiment un peu, beaucoup. Ils ont faim car la mère ne veut pas qu’ils
mangent. Ils ne sentent pas bon car elle leur interdit l’eau chaude, et
puis à peu près tout, sauf la confession. Jacques se rebelle. Il refuse
de faire sa communion solennelle et tombe gravement malade. Il veut
vivre. Ce n’est pas si facile. Il faut se battre contre la maladie,
contre le sort. Il faut garder l’espoir, attendre l’amour qui guérit
tout. Pour accomplir ce miracle, Jacques a deux talismans : un trèfle à
cinq feuilles et une graine de haricot. Quarante ans plus tard, il
raconte son histoire.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Richard Morgiève est l’auteur de trente et un romans et de trois pièces de théâtre publiés aux Éditions Ramsay, Robert Laffont, Calmann-Lévy, Carnets Nord, entre autres. En 1995, Joëlle Losfeld reprend Un petit homme de dos, qui est un véritable succès. Elle a depuis publié Mon petit garçon, Bébé-Jo, La demoiselle aux crottes de nez, Mondial cafard, Les hommes, Le Cherokee – prix Mystère de la critique 2020 et Grand Prix de littérature policière 2019 – et Cimetière d’étoiles.
Avis :
Se fondant dans la voix et la vie d’une relation de jeunesse pour un roman d’inspiration autobiographique, Richard Morgiève s’y lance plus que jamais à la poursuite de ses propres fantômes, taraudé qu’il est par cette question, lui qui perdit sa mère à sept ans et son père à treize : comment se construire sur une enfance dévastée ?
L’écrivain avait d’abord refusé, avant d’imposer ses conditions. Cette biographie qu’on lui demandait, il en ferait librement un roman. Son narrateur s’appellerait Jacques Bauchot, c’est sous ce pseudonyme que paraîtrait le livre. En 2015, ce fut chose faite : La fête des mères parut une première fois, mais demeura confidentielle. Remanié, le roman renaît huit ans plus tard sous la signature de Richard, un Richard dont on ne sait plus s’il s’est fait Jacques, ou si c’est Jacques qui est entré en lui.
Ce Jacques de papier grandit à Versailles dans les années 1960, dans une famille bourgeoise dont l’obsession de tenir son rang masque une intimité toxique et destructrice. Entre l’absence d’un père banquier et la beauté glacée d’une mère castratrice, inaccessible et inflexible, qui entend les dresser à la dure, le garçon et ses trois frères oscillent longtemps entre attachement et exécration dans un pourrissement de rancoeurs et de jalousies, se transformant peu à peu en adolescents, puis en hommes dévorés par le mal-être jusqu’à la névrose, la maladie et pis encore, contraints de fuir pour tenter de se construire, loin, mal, douloureusement, et bientôt tragiquement.
L’écrivain dont la vie s’est durement bâtie autour du trou noir qui a englouti son enfance trouve ici un double bouleversant, une extension de lui-même qu’il investit des fulgurances de l’écriture avec laquelle, d’un livre à l’autre, il fouille ses plaies – seule façon pour lui de ne pas succomber. Sa poésie noire, zébrée de crudité et d’ironie, est cruellement désenchantée, dérangeante jusqu’au vertige, brutale dans sa lucidité sans filtre. Elle accompagne une réflexion profonde, essentielle, obsessionnelle, sur l’identité, la filiation et la prédestination, montrant à quel point le soi est finalement une résultante environnementale, le produit d’un héritage et d’une éducation dont on ne se libère jamais, surtout lorsqu’ils pèsent comme des boulets.
Singulier, voire déstabilisant, dans sa manière presque provocante de raconter entre violence et sentiment, crûment, ce livre de toute évidence écrit avec les tripes, comme en réponse à une injonction vitale, celle qui vous fait chercher la lumière dans les ténèbres, ne peut qu’impressionner par son travail de fouille, maîtrisé, intelligent, d’une thématique aussi essentielle pour l’auteur que pour son narrateur. (3,5/5)
L’écrivain avait d’abord refusé, avant d’imposer ses conditions. Cette biographie qu’on lui demandait, il en ferait librement un roman. Son narrateur s’appellerait Jacques Bauchot, c’est sous ce pseudonyme que paraîtrait le livre. En 2015, ce fut chose faite : La fête des mères parut une première fois, mais demeura confidentielle. Remanié, le roman renaît huit ans plus tard sous la signature de Richard, un Richard dont on ne sait plus s’il s’est fait Jacques, ou si c’est Jacques qui est entré en lui.
Ce Jacques de papier grandit à Versailles dans les années 1960, dans une famille bourgeoise dont l’obsession de tenir son rang masque une intimité toxique et destructrice. Entre l’absence d’un père banquier et la beauté glacée d’une mère castratrice, inaccessible et inflexible, qui entend les dresser à la dure, le garçon et ses trois frères oscillent longtemps entre attachement et exécration dans un pourrissement de rancoeurs et de jalousies, se transformant peu à peu en adolescents, puis en hommes dévorés par le mal-être jusqu’à la névrose, la maladie et pis encore, contraints de fuir pour tenter de se construire, loin, mal, douloureusement, et bientôt tragiquement.
L’écrivain dont la vie s’est durement bâtie autour du trou noir qui a englouti son enfance trouve ici un double bouleversant, une extension de lui-même qu’il investit des fulgurances de l’écriture avec laquelle, d’un livre à l’autre, il fouille ses plaies – seule façon pour lui de ne pas succomber. Sa poésie noire, zébrée de crudité et d’ironie, est cruellement désenchantée, dérangeante jusqu’au vertige, brutale dans sa lucidité sans filtre. Elle accompagne une réflexion profonde, essentielle, obsessionnelle, sur l’identité, la filiation et la prédestination, montrant à quel point le soi est finalement une résultante environnementale, le produit d’un héritage et d’une éducation dont on ne se libère jamais, surtout lorsqu’ils pèsent comme des boulets.
Singulier, voire déstabilisant, dans sa manière presque provocante de raconter entre violence et sentiment, crûment, ce livre de toute évidence écrit avec les tripes, comme en réponse à une injonction vitale, celle qui vous fait chercher la lumière dans les ténèbres, ne peut qu’impressionner par son travail de fouille, maîtrisé, intelligent, d’une thématique aussi essentielle pour l’auteur que pour son narrateur. (3,5/5)
Citations :
(…) c’était la première fois que je mentais comme si j’avais compris à mon insu que pour savoir, il fallait d’abord mentir, avancer un argument fallacieux, contestable, comme une première arche jetée sur l’abîme. Les mensonges renvoyaient forcément des échos, il fallait les entendre, les interpréter.
J'étais perdu de mère.
Sans le rêve, on ferait comment pour supporter notre existence ?
J’aurais voulu me rapprocher de lui, qu’on puisse échanger nos secrets et peines mais je voyais bien que c’était impossible, autant pour lui que pour moi. Marcillac était noir et ses parents blancs et moi blanc avec des parents blancs, le secret de Marcillac était lié à la couleur et moi… Moi mon secret était invisible, c’était le secret de mes parents qui m’enfermait dans son silence.
Il avait un visage si étroit que dans sa meurtrière, on distinguait à peine deux yeux compressés et un nez écrasé par les tempes. Je le plaignais d’être dans cette prison, de face il avait l’air d’être de profil. J’imaginais que son cerveau avait fini par prendre la forme de son crâne, que c’était cette torture qui poussait Smith à se réfugier dans le sommeil. Échapper à sa face d’angle mort devait être un réflexe de survie.
— J’ai tout fait pour tenir mon rang, a-t-elle dit, et je continue. C’est dérisoire, je le sais. Je mène une vie inutile, je le suis. Je suis dépassée par tout ce que je n’ai pas fait, aurais pu faire…
Elle m’a dévisagé avec une acuité qui m’a fait peur :
— J’ai tout fait pour être n’importe qui. Je mourrai n’importe quoi, c’est absurde tout ça.
Maman était le starter qui faisait marcher notre moteur à plein régime, elle nous épuisait et nous maintenait dans sa vie. C’était elle notre destinée, on se destinait tous à elle, on était tous son négatif sur lequel elle filmait son drame personnel. Sans elle pas de nous, pas de moi. Je la regardais et j’ai vu le pire survenir sur son profil de Cléopâtre. Bien sûr, forcément ! Forcément, un jour, je la verrais morte et je serais libre. Mais de quoi ?
Je me trompais, mon histoire c’était impossible. On était toujours dans une autre histoire, écrite par d’autres. Une autre histoire qui annihilait la nôtre, qui nous captait, nous utilisait, puis nous laissait… Seuls, délaissés par les histoires et les êtres, tout seuls le long de la route.
Elle a ouvert la boîte et les yeux emplis de diamants, elle a bouclé autour de son cou la belle rivière de larmes.
J'étais perdu de mère.
Sans le rêve, on ferait comment pour supporter notre existence ?
J’aurais voulu me rapprocher de lui, qu’on puisse échanger nos secrets et peines mais je voyais bien que c’était impossible, autant pour lui que pour moi. Marcillac était noir et ses parents blancs et moi blanc avec des parents blancs, le secret de Marcillac était lié à la couleur et moi… Moi mon secret était invisible, c’était le secret de mes parents qui m’enfermait dans son silence.
Il avait un visage si étroit que dans sa meurtrière, on distinguait à peine deux yeux compressés et un nez écrasé par les tempes. Je le plaignais d’être dans cette prison, de face il avait l’air d’être de profil. J’imaginais que son cerveau avait fini par prendre la forme de son crâne, que c’était cette torture qui poussait Smith à se réfugier dans le sommeil. Échapper à sa face d’angle mort devait être un réflexe de survie.
— J’ai tout fait pour tenir mon rang, a-t-elle dit, et je continue. C’est dérisoire, je le sais. Je mène une vie inutile, je le suis. Je suis dépassée par tout ce que je n’ai pas fait, aurais pu faire…
Elle m’a dévisagé avec une acuité qui m’a fait peur :
— J’ai tout fait pour être n’importe qui. Je mourrai n’importe quoi, c’est absurde tout ça.
Maman était le starter qui faisait marcher notre moteur à plein régime, elle nous épuisait et nous maintenait dans sa vie. C’était elle notre destinée, on se destinait tous à elle, on était tous son négatif sur lequel elle filmait son drame personnel. Sans elle pas de nous, pas de moi. Je la regardais et j’ai vu le pire survenir sur son profil de Cléopâtre. Bien sûr, forcément ! Forcément, un jour, je la verrais morte et je serais libre. Mais de quoi ?
Je me trompais, mon histoire c’était impossible. On était toujours dans une autre histoire, écrite par d’autres. Une autre histoire qui annihilait la nôtre, qui nous captait, nous utilisait, puis nous laissait… Seuls, délaissés par les histoires et les êtres, tout seuls le long de la route.
Elle a ouvert la boîte et les yeux emplis de diamants, elle a bouclé autour de son cou la belle rivière de larmes.
Nous les Bauchot étions les coucous des enfers, nous sortions nos faces de carême tous les quarts d’heure pour claironner la marche du temps vers le néant… Enfin le nôtre, notre néant de poche. Si j’avais dû faire un bilan, à cet instant, j’aurais dit que je n’allais pas si mal que ça. Je prenais moins de médicaments, vivais un peu mieux. J’aurais pu réintégrer Hoche, mais ne voulais pas. Je préférais rester isolé, pour me préparer, un jour, à affronter la comédie humaine que je savais féroce, j’avais payé pour le savoir.
— Est-ce qu’on a le droit de s’aimer ?
— Mais oui ! C’est indispensable, sinon…
— Tu t’aimes ?
J’étais coincé, on a ri ensemble, c’était peut-être un peu factice, mais tous les deux nous avions vu arriver le danger. Si on avait poursuivi, il aurait fallu aborder le sujet : notre solitude d’être. Ce qui était impossible car elle était incluse dans notre condition d’être. C’était certainement pourquoi on avait besoin de l’œil de Dieu, la fiction divine nous permettait de supporter l’immense silence aveugle qui prenait la place du placenta dès que nous jaillissions dans le monde.
Après les camps, le métier d'humain était devenu presque impossible.
Le problème, avec le langage, c'était qu'il dénaturait toujours la pensée, il nous dénaturait tout court.
Il n'y a pas d'éternité pour l'amour mais des romans pour le raconter.
— Est-ce qu’on a le droit de s’aimer ?
— Mais oui ! C’est indispensable, sinon…
— Tu t’aimes ?
J’étais coincé, on a ri ensemble, c’était peut-être un peu factice, mais tous les deux nous avions vu arriver le danger. Si on avait poursuivi, il aurait fallu aborder le sujet : notre solitude d’être. Ce qui était impossible car elle était incluse dans notre condition d’être. C’était certainement pourquoi on avait besoin de l’œil de Dieu, la fiction divine nous permettait de supporter l’immense silence aveugle qui prenait la place du placenta dès que nous jaillissions dans le monde.
Après les camps, le métier d'humain était devenu presque impossible.
Le problème, avec le langage, c'était qu'il dénaturait toujours la pensée, il nous dénaturait tout court.
Il n'y a pas d'éternité pour l'amour mais des romans pour le raconter.
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